Fin de vie, cinéma et littérature par Jean Duchesne

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 4 juin 2025, OFC 2025, n°19 sur Fin de vie, cinéma et littérature de Jean Duchesne

L’actualité peut être éclairée par des œuvres bien antérieures aux débats du moment. Ainsi, le cinéma et la littérature peuvent contribuer à discerner les enjeux de l’« aide à mourir » qui occupe actuellement le Parlement et l’opinion publique. Voici trois exemples.

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À Cannes, la palme d’or vient d’être décernée à l’Iranien Jafar Panahi (né en 1960) pour Un simple accident. Ce n’est pas seulement un opposant au régime théocratique dans son pays qui a été distingué, ni même un cinéaste de talent, mais aussi un sujet difficile : la vérité sans laquelle il n’est pas de justice : un homme qui a été torturé en prison tombe par hasard sur quelqu’un en qui il reconnaît son ancien bourreau ; mais ce dernier nie, et le doute s’instille.
Or il se trouve qu’un film iranien qui a déjà été primé à Cannes en 1997, et qu’il soulevait un dilemme moral qui n’est pas si différent – celui précisément de l’« aide à mourir » : peut-il, en certains cas, être juste de tuer et ou de faciliter un suicide ? Dans Le Goût de la cerise d‘Abbas Kiarostami (1940-2016), le « héros » cherche celui qui voudra bien combler la fosse dans laquelle il se sera empoisonné. Il offre une substantielle rétribution et il suffira de s’être assuré qu’il est bien mort. Trouver qui veut bien écouter cette requête est déjà difficile. Et ceux qui y consentent ne manquent pas de présenter objections, réticences et embarras, entre la sympathie serviable et le refus instinctif ou motivé. La fin de l’histoire ne tranche ni dans un sens, ni dans l’autre, mais le problème apparaît dans sa pleine acuité. À voir et méditer avant de voter ou de répondre à un sondage ?

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Dans Le Dernier Homme (2005), roman de la Canadienne Margaret Atwood (née en 1939), on a affaire à une dystopie, comme dans Le Meilleur des mondes (1932) d’Aldous Huxley ou 1984 (1949) de George Orwell. Ce qui justifie le titre est que, dans un futur hypothétique, les trois principaux personnages (un petit génie fou, son meilleur ami sympathiquement moins sûr de lui et la fille qui les aime bien tous les deux) sont les survivants de l’humanité qui a disparu dans une catastrophe écologique et sanitaire, provoquée par l’hubris scientifique et le cynisme capitaliste (ou idéologique). Elle est remplacée (grâce aux trois qui ont réussi à se mettre à l’abri) par des créatures qui sont génétiquement modifiées afin d’échapper aux désagréments subis par l’ancienne espèce de l’homo sapiens. C’est une société « parfaite », à la fois jouisseuse et docile, où la mort est programmée sans drame ni perspective d’au-delà. Le transhumanisme n’apporte donc pas l’immortalité, mais l’euthanasie pour tous.
Le tableau est complexifié par des retours en arrière, qui expliquent comment on en est arrivé là et qui décrivent les relations tortueuses entre les « héros ». L’histoire se développe d’ailleurs en une trilogie, avec deux autres volumes : Le Temps du déluge (2009) et MaddAddam (2014), où les conflits se multiplient du fait des inégalités et des prétentions d’animaux hybrides et de sectes. Mais cette fiction permet d’entrevoir où conduit un monde d’où est éliminée toute vie jugée ne pas mériter d’être vécue si elle n’est pas contrôlée.

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Un autre roman, un peu plus ancien, confirme que l’euthanasie s’inscrit dans une logique de fin de l’humanité. L’auteure anglaise, P.D. James (1920-2014), a été saluée comme l’héritière d’Agatha Christie dans l’art du polar. Elle s’écarte du genre avec Les Fils de l’homme (1992), une dystopie où elle imagine que, pour une raison qui reste mystérieuse, les humains sont devenus stériles : plus aucun enfant ne naît. Et la société britannique s’organise. C’est une projection assez saisissante de ce qui s’amorce dans les pays où des couples de plus en plus nombreux refusent de procréer. Les plus jeunes sont choyés et s’en montrent indignes. Des gens adoptent leurs animaux domestiques ou des poupées. Un dictateur a pris le pouvoir et veille d’une main de fer à sauver les apparences d’une bienveillante normalité. On prépare des messages pour les extra-terrestres qui débarqueront peut-être un jour.
On pourrait s’attendre à ce que les derniers humains s’entraident pour se prolonger solidairement par tous les moyens. Eh bien, non : on se débarrasse plus ou moins franchement et médicalement des plus âgés, qui coûtent de plus en plus cher, afin que les moins vieux continuent à « profiter » jusqu’au bout. D’où des scènes poignantes, où des vieillards, pourtant dûment endoctrinés ou anesthésiés, regimbent (en vain) au moment d’être liquidés.
La conclusion n’est toutefois pas pessimiste. Le narrateur, universitaire retraité, divorcé et sans enfant, au départ désabusé et impuissant, se lie peu à peu à une petite bande de jeunes doux dingues qui s’entraiment gratuitement, sans arrière-pensées, et contestent par leur seule désobéissance la tyrannie mortifère. Il s’engage à leur côté et découvre bientôt qu’une fille parmi eux est « miraculeusement » enceinte. L’espérance renaît parce qu’il y a été cru.
En bonne chrétienne (anglicane), comme on le détecte aisément dans le reste de son œuvre où elle ne fait pourtant pas d’apologétique, P.D. James n’avait pas oublié que Dieu a promis à Noé de ne pas laisser disparaître de la Terre les hommes qui s’y conduisent si lamentablement et la ravagent (Genèse 6-9).
Un film a été tiré en 2006 des Fils de l’homme par le réalisateur mexicain Alfonso Cuarón (né en 1961). Cette adaptation est beaucoup plus violente et le dénouement est surtout politique (la résistance s’institutionalise aux Açores). On peut lui préférer l’original littéraire.

Jean Duchesne