La chambre d’à côté, film de Pedro Almodovar ( 2024 )
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 15 janvier 2025, n°2, à propos de La chambre d’à côté, film de Pedro Almodovar ( 2024 )
S’il en était besoin, La chambre d’à côté confirmerait que Pedro Almodovar est un des meilleurs cinéastes d’aujourd’hui.
On aime retrouver dans ce film ce qui le caractérise, en particulier son style, lié aussi à des personnes qui travaillent avec lui sur chacun de ses films, en particulier le musicien Alberto Iglesias, et ce depuis 1995 et La fleur de mon secret.
Avec cet actuel opus, Almodovar a travaillé aux Etats-Unis et avec des actrices de langue anglaise, la britannique Tilda Swinton et l’américain Julianne Moore.
Soit deux femmes qui se sont connues et, de manière inattendue, se retrouvent pour vivre ensemble des moments ultimes. A l’occasion de la dédicace d’un de ses livres, Ingrid (Moore) apprend qu’une amie qu’elle a perdu de vue est hospitalisée pour être traitée d’un cancer, il s’agit de Martha (Swinton).
Le film, essentiellement centré sur leurs échanges et leurs dialogues raconte comment Martha, ayant accepté un traitement expérimental, alors qu’apprenant le diagnostic s’était préparée à la mort, devant l’échec du protocole de soins, décide de mettre fin à ses jours grâce à une pilule achetée sur le darknet.
Martha souhaite de pas affronter seule ce moment. Ancienne reporter de guerre, ayant traversé des drames, elle a toujours pu le faire grâce à ceux qui lui étaient proches ; là aussi, elle veut qu’il y ait quelqu’un dans « la chambre d’à côté » de celle où elle prendra cette pilule. Le fait qu’Ingrid trouve un jour la porte de la chambre fermée, et non entrouverte, sera le signe qu’elle a posé ce geste définitif.
Il serait erroné de voir dans ce film une œuvre militante en faveur de l’euthanasie ; il s’agit d’une méditation sur la mort, sur les manières dont nous la rencontrons, l’acceptons, la combattons ; que ce soit notre propre mort que la mort des proches.
En cela, Almodovar réalise une œuvre universelle ; en effet, y a-t-il une autre réalité humaine à laquelle chacun soit affronté ? On peut ou non être mère, père, vivre ou non une relation amoureuse, mais, mourir, nul n’y échappe.
A travers les réactions, les émotions, de Martha, d’Ingrid, ou de celui qui fut un ami de l’une et de l’autre, Damian (John Turturro), chacun pourra se sentir proche ou plus éloigné de ce qui est exprimé dans ce très beau film.
D’aucuns ont reproché à Almodovar de déployer, ici aussi, et dans un film qui parle de la mort, son esthétique habituelle : couleurs vives, harmonies des cadres et des décors, inspiration des toiles d’Edward Hopper, etc. Il y a aussi plusieurs références aux Gens de Dublin, tant le livre de James Joyce que le film qu’en tira John Huston (titre original : The Dead). Est-ce que l’élégance d’un propos, l’élégance de la vie tout simplement serait un mensonge, ou même un mépris pour qui que ce soit ? C’est bien plutôt le contraire, toutes les formes d’élégance sont des actes de bienveillance, de charité même. Pourquoi faudrait-il que la violence, quelle qu’en soit l’expression, apportât quelque chose de juste ou de bon ? Cher Almodovar, chez ses personnages, nulle esthétisation de la mort, mais de la délicatesse, de la noblesse.
La chambre d’à côté est une méditation sur la mort, ou plutôt sur cette mort-ci de cette personne-là. La mort n’est jamais une abstraction, elle est le moment suprême où l’humanité se manifeste, souvent débarrassée de bien des faux-semblants.
Chacun vivra cette méditation selon les harmoniques, les sentiments, les émotions qui jailliront en lui.
Les chrétiens seront en consonnance, eux qui sont invités, chaque soir, par la liturgie, avec la prière de complies, à méditer sur leur propre mort et à s’en remettre dans la confiance à… Dieu certainement, à… des frères et sœurs humains, souhaitons-le.
Enfin, j’aime entendre dans le titre du film d’Almodovar un signe de la fraternité humaine, un signe et un appel. Qui peut vivre sans se soucier de ce qui se joue dans « la chambre d’à côté », que ce soit celle de la pièce où quelqu’un vit la fin de sa vie, mais aussi celle de ses voisins, du pays d’à côté comme de l’ensemble de la planète. Ne pas porter ce souci, fermer la porte plutôt que de la laisser entrouverte, ou bien penser que personne n’aurait souci de nous, ce serait, comme le dit Damian (Turturro), le triomphe du néolibéralisme et des populismes, lesquels prétendent que tout irait mieux pour moi, pour mon pays, sans les autres.
Pascal Wintzer, OFC