Jean de Saint-Cheron, les bons chrétiens
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 2 février 2022 à propos de l’ouvrage Les bons chrétiens de Jean de Saint-Cheron.
C’est un livre réjouissant à bien des égards ! Dans cette époque troublée de fake news et de théories du complot y compris au sein du catholicisme, un chrétien de 35 ans ose l’expression de sa foi sans complexe et avec une réelle pétulance. Il est un de ces bons chrétiens que l’on qualifie parfois de « versaillais » – l’expression est dans l’ouvrage. Jean de Saint-Chéron est surtout un lecteur, un découvreur de la tradition chrétienne et de la mystique, des Confessions de Saint Augustin à Flannery 0’Connors. Il se confronte avec la littérature si possible un peu ou beaucoup polémiste, celle de Péguy et de Bernanos. Il acquiert l’audace d’un Nietzsche ou d’un Pascal qui obligent à penser par soi-même un attachement au Christ, fût-ce en allant jusqu’aux racines du don ultime de soi. Bref il n’a pas peur de la vocation à la sainteté. La mystique des Thérèse d’Avila la grande et de Lisieux la petite ne lui sont pas inconnues, telle une forme d’effroi et d’appel. La théologie fondamentale est convoquée comme une autorité, celles de Hans Urs Von Balthasar, de de Lubac, et de Benoît XVI. Enfin le témoignage de la littérature comme autant de résonances d’une époque passe par Dostoïevski et aboutit à Michel Houellebecq.
Bon d’accord cela tourbillonne un peu. Et il ne faut pas en chercher une lecture systématique, plutôt une valse impressionniste qui entraîne le lecteur à penser ou à repenser en liberté. Engagé dans l’église, au service de l’université catholique, l’auteur est diplômé de Sciences po et de la Sorbonne. Itinéraire classique qui, par la confrontation directe avec une culture chrétienne de l’intelligence, s’ouvre à une conversion personnelle celle de prendre au sérieux l’appel à la sainteté : « Ainsi celui qui monte ne s’arrête jamais d’aller de commencement en commencement par des commencements qui n’ont jamais de fin » (Grégoire de Nysse, cité page 72). L’auteur conclut par le chapitre sur l’impossible conversion ou le métier des Armes.
Alors que l’époque renouvelle le risque des exclusions entre chrétiens de différentes chapelles, les expériences de la Foi puisent dans l’expression de Flannery O’Connor et plongent le lecteur dans la « miséricorde » de Dieu comme une initiation fondatrice de cette « Surabondance de Dieu ». En Jésus Christ, Dieu ne se donne pas par petit bout, mais comme un torrent parfois de larmes et toujours de grâces.
La critique du christianisme bourgeois est dévoilement d’une connivence intime qui dans le ton polémique demeure amicale – il y a parfois du Jacques Brel dans l’écriture. Refuser que Dieu soit fade, c’est laisser apparaître le réalisme de son amour, de sa justice et de la charité. La vie minuscule de la petite Thérèse indique la possible expérience du « verbe fait chair » : Dieu avant tout, est salut !
L’ouvrage s’éloigne des catégories d’un christianisme intransigeant qui construit des barrières et des distinctions voire des exclusions entre les bons chrétiens et les autres, dans ou hors de l’église ! Bref une minorité toujours plus minoritaire et rétrécie ! Le dialogue avec l’athéisme qui n’est pas apologétique sous forme de réduction aboutit à un « catéchisme des hommes sans Dieu ». Librement et au-delà des préjugés, l’auteur accepte de percevoir ce qu’un ami nommait les « prophètes du dehors », comme autant de témoins d’un monde en attente de salut ! Ces témoins capables d’indiquer l’inouï, comme une espérance encore et toujours ouverte, sans forcément la confesser dans une dogmatique convenue.
Le livre s’achève par un glossaire où l’auteur se risque à quelques définitions : Le chrétien, la sainteté, la foi (les œuvres, ou l’inconfort de croire), les sacrements, la prière, la parole de Dieu : en fait un témoignage direct d’un engagement personnel de Jean-François de Saint-Chéron dans l’acquisition des Écritures qui fait signe à l’approche biblique d’une nouvelle génération : « De toute éternité, Dieu parle, il est conversation ».
Le dernier terme du glossaire est « l’ascèse » et il clôt l’ouvrage par ces derniers mots : « Seul le fruit juteux de l’ascèse en révélera la sagesse incompréhensible. » Tel est ce pamphlet sympathique, intelligent et réfléchi, comme une gourmandise : celle de la conversion à la résurrection du Christ, un événement sans fin qui nous entraîne sur son chemin.
Hugues Derycke