Le prochain pape de Georges Weigel

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du mercredi 31 mars 2021 à propos du livre :  » Le prochain pape » de Georges Weigel.

Il est d’usage de dresser le bilan de la vie d’un pape lorsque celui-ci quitte ses fonctions ou rejoint le Père. Telle n’est pas la démarche de George Weigel dans son livre Le prochain pape où il présente ce que devraient être les principales tâches du successeur du pape François. L’auteur, qui a signé entre autres ouvrages une biographie de Jean-Paul II, fait partie des intellectuels catholiques américains que nous dirions conservateurs. Avant d’examiner le paradoxe de son approche, parcourrons rapidement l’ouvrage.

Weigel présente d’abord sa vision de l’Église d’aujourd’hui, tout en insistant sur la continuité qui l’anime depuis Léon XIII. Le coeur de l’Église est son enracinement dans le Christ, qui l’entraîne à proclamer l’Évangile avec ferveur et foi, une constante que Weigel retrouve chez Jean XXIII (Gaudet Mater Ecclesia), Paul VI (Evangelii nuntiandi) et Jean-Paul II (Novo millenio ineunte). Selon l’auteur, la décadence des Églises occidentales viendrait de leurs accommodements et compromis avec des cultures et des morales opposées au christianisme, alors que celles qui sont restées fermes dans la proclamation de la foi porteraient du fruit. De ce point de vue, il n’y a pas de place selon lui pour un « catholicisme allégé » qui ne peut que conduire à la déchristianisation. Plus encore, les crises engendrées par les scandales sexuels et financiers le confortent dans la nécessité de maintenir une stricte fermeté sur l’engagement moral et le respect des valeurs chrétiennes. Au regard de l’esprit du monde, le futur pape devrait assurer la défense de l’humanisme chrétien, centré sur le modèle du Christ, qui est vivement mis à mal par « le culte idolâtrique du Moi » (p. 68). L’autorité du pape sur l’Église doit être reconnue par tous, une responsabilité que partagent les évêques (p. 78). Et il ne saurait être question de soutenir des tendances divergentes au sein d’Églises nationales qui rappellent fâcheusement les schismes d’autrefois. (Si Weigel ne cite pas de pays, il a peut-être en vue l’Allemagne.)

Il déroule ce que doivent être selon lui les principales missions de l’évêque : l’évangélisation, la sanctification des croyants par la célébration des sacrements, et la gouvernance. Sur ce dernier point, l’auteur recommande d’appliquer plus largement le principe de subsidiarité et de confier cette tâche à des laïcs. Il mentionne également l’engagement des évêques dans la lutte contre les persécutions qui frappent durement les chrétiens dans le monde. Pour Weigel, la procédure du choix des évêques est sinon défaillante, du moins perfectible. Il revient à plusieurs reprises sur la notion synodalité, entre les évêques, mais aussi entre fidèles d’un diocèse. Il semble suivre le modèle des Églises orientales qui choisissent et nomment leurs évêques, et critique vivement l’action des dicastères romains (p. 81-84). Il valorise pour leur choix le recours à un mode électif et non décisionnel, en insistant sur l’importance de préserver l’autonomie de l’Église par rapport aux États. Il mentionne la Chine et le Vietnam comme pays qui imposent d’avoir la dernière voix dans la nomination des évêques (et il aurait pu ajouter la France qui est dans la même situation, quoique le droit de censure prévu par la loi de 1905 ne soit plus exercé).

La réforme du sacerdoce et de la vie consacrée doit pour Weigel répondre à la grave crise de fidélité et d’identité qui affecte l’Église depuis Vatican II. Si, de manière répétée, il insiste sur la nécessité de combattre le cléricalisme, il souligne par ailleurs l’intangibilité du célibat des prêtres, et l’accueil de vocations centrées sur une « conversion totale » au Christ (p. 98). Quant aux laïcs, ils forment cette armée des croyants qui, avec Lumen gentium, est appelée à la sainteté au même titre que les personnes consacrées et ordonnées. Dans l’esprit de Jean-Paul II, Weigel rappelle que tout baptisé est prêtre, prophète et roi. Marie devient ainsi le modèle du disciple « radicalement converti » (p. 107).

De même qu’il avait proposé un recours régulier au collège des cardinaux pour la gouvernance morale et théologique de l’Église, l’auteur réclame une « gouvernance collaborative » de la Curie où les laïcs devraient trouver une plus large place. On notera toutefois l’absence de toute position féministe dans l’ouvrage. Concernant le dialogue oecuménique, Weigel soutient l’échec des échanges avec les protestants qui restent séparés de l’Église. De même avec les orthodoxes, le privilège accordé à l’Eglise orthodoxe russe, qui reste inféodée politiquement à la Russie, devrait selon lui être abandonné. Quant au dialogue avec l’islam, il ne saurait s’inscrire dans le même ordre, et Weigel récuse toute référence aux « trois religions abrahamiques ». Le prochain pape devrait finalement d’un côté engager un recentrage de l’Eglise sur la tradition christique en exhaussant son autorité morale, et d’un autre côté l’ouvrir à plus de collégialité.

L’ensemble des propositions de l’auteur reflète clairement sa position conservatrice, et en même temps suscite diverses interrogations. Par exemple la valorisation de la collégialité et la critique vigoureuse du cléricalisme devraient valoriser l’autonomie du synode, une institution tombée en désuétude dans l’Église latine et réintroduite par Vatican II. En 2020, Weigel avait ainsi vivement critiqué la « mascarade » du synode sur l’Amazonie, qui ne reflétait selon lui qu’une tendance limitée de l’Eglise, ainsi que le document conclusif du pape François qui avait ignoré les débats. Mais Weigel aurait-il par ailleurs souscrit à l’ouverture du diaconat aux femmes proposé par ce synode, lui qui n’a jamais fait figure d’un défenseur du féminisme, bien au contraire ? S’il est évident que le rite latin est très en retard par rapport aux Églises d’Orient sur la vie synodale, l’auteur, tout en voulant combattre le cléricalisme, est pourtant loin d’accepter toutes les conséquences d’un exhaussement du pouvoir de la collégialité.

Il faut aussi se demander si cet ouvrage ne constitue pas en réalité une opposition à peine masquée au pape François, voire un avertissement à ses futurs successeurs. L’action du Souverain pontife est décrite dans la continuité de ses prédécesseurs, ce qui est une faiblesse dans l’esprit de Weigel qui voudrait voir réformées la Curie romaine, la gouvernance de l’Église et la rigueur du sacerdoce. Plusieurs critiques directes sont émises à l’encontre du Pape, comme son « activisme médiatique » qui occulterait les responsabilités locales (p. 51-52). L’auteur insiste aussi sur la nouvelle évangélisation qui était au coeur du pontificat de Jean-Paul II… mais pas de ses successeurs qu’il ne mentionne pas (p. 39-42). Le rôle du Saint-Père en matière de politique internationale, secondaire selon Weigel, est également pris à partie à plusieurs reprises, de même que la diplomatie vaticane et les nonces (p. 131-132). Sans aller jusqu’à la répulsion affective analysée par Yves Chiron (Françoisphobie, Cerf, 2020), l’auteur est donc très hostile au pape.

Si la synthèse opérée par George Weigel n’est pas totalement objective, elle ouvre néanmoins des axes de réflexion souvent très pertinents. Ainsi l’extension de l’autonomie des synodes diocésains. De même la révision de la position de l’Église à l’égard de la Russie, de la Chine ou de l’islam. Mais surtout, ce projet lance un appel récurrent à proclamer publiquement un christianisme engagé et décomplexé. En France, il a fallu les mesures discriminatoires et anticonstitutionnelles du gouvernement à l’occasion de la COVID pour que le peuple chrétien, des fidèles aux évêques, revendique son droit d’exprimer et de vivre sa foi. Sonia Mabrouk réclame elle aussi de « désinhiber le christianisme » dans son dernier livre (Douce France, où est (passé) ton bon sens ? (Plon, 2019). Cette convergence de vues étrangères l’une à l’autre n’est certainement pas fortuite.

Vincent Aucante

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