Relire Mauriac
Mgr Hubert Herbreteau, évêque d’Agen et Président de l’Observatoire Foi et Culture, se penche sur la pensée de l’écrivain François Mauriac (OFC 2016, n° 27).
Situé aux confins de plusieurs régions touristiques et viticoles, le centre culturel François Mauriac est un site exceptionnel dominant la vallée de la Garonne, la ville de Langon et la forêt des Landes. En 1843, Jean Mauriac, arrière-grand-père de l’écrivain, se porte acquéreur du domaine de Malagar comprenant une maison de maître enserrée par deux chais, un bâtiment de ferme prolongé par deux auvents, un parc de quatre hectares et un vignoble de quatorze hectares. François Mauriac aimait ces lieux. En visitant Malagar, l’occasion est donnée de relire cet auteur sous deux aspects : Les OEuvres autobiographiques, (NRF Gallimard, La Pléiade, 1990), en particulier Ce que je crois ; les romans d’une grande finesse psychologique et si merveilleusement écrits qui traduisent l’itinéraire spirituel de l’écrivain.
Dans Ce que je crois, (écrit en 1962 et édité chez Grasset) Mauriac met l’accent sur l’acte de foi lui-même. L’écrivain distingue savoir et croire. « Ce que je crois ne se confond pas avec ce que je sais : voilà une première équivoque dont il faut venir à bout. Que de fois des gens auront feint de m’envier : “Que vous êtes heureux de vous croire immortel !” Comme si la foi se ramenait à la possession d’une certitude fondée sur l’évidence. Mais la foi est une vertu – l’une des trois vertus appelées “théologales”, et la première nommée. Qui dit vertu, dit aussi usage de la volonté, et usage méritant, usage difficile » (OEuvres autobiographiques p. 567).
Un autre point à retenir : le rapport à l’Église. À la fin de Ce que je crois, Mauriac exprime des scrupules par rapport à ce qu’il vient d’écrire. « D’abord certains de mes propos marquent de la froideur pour l’Église visible, ou du moins un parti pris d’indifférence et de détachement à l’égard de ses structures, de tout son aspect humain. Je le comprends mieux, au moment où j’écris ceci, à l’heure où vient de s’ouvrir à Rome le Concile oecuménique et où le pape Jean XXIII a dit les paroles de miséricorde que j’ai toujours souhaité d’entendre à Rome et qu’il les a dites en présence de nos frères séparés, et qu’en ce comble de gloire, il a su s’effacer et s’anéantir, de sorte qu’à travers le vieillard, c’est l’Esprit même, l’Esprit d’amour et de consolation qui a parlé au monde ; oui je comprends enfin la force de mon attachement à la sainte Église, même sous son aspect de société humaine et quelle qu’ait été dans le passé son histoire confondue avec celle de César » (p. 624). Cf aussi France Culture : XXème siècle (4/5 : François Mauriac – Jean-Paul Sartre 08.2014).
La vie de François Mauriac est marquée par une fidélité constamment déchirée. Né Bordelais, bourgeois et catholique, il a créé une oeuvre littéraire marquée par une poésie enracinée à sa terre, une activité politique liée à la sagesse de son milieu. Après avoir appartenu au Sillon, il s’engage ensuite à l’Action Française. Il gardera une sympathie pour la démocratie chrétienne et refusera le régime des bien-pensants de Vichy.
À travers cela, Mauriac s’est souvent posé la question : « Que vaut ma foi ? » Il éprouvait une sympathie pour les convertis. Il avait peut-être le sentiment que son christianisme, imposé dès l’enfance, n’était pas vraiment authentique. Il note parfois dans ses écrits les lacunes et les défauts de son éducation religieuse. Dans la préface des Mains jointes, il rejette une dévotion trop affective et sensible qui met un accent démesuré sur des vétilles, des formes et des formules. Il se présente parfois comme en révolte contre ce christianisme de dévotion.
Pierre-Henri Simon, (dans Mauriac par lui-même, Seuil, Écrivains de toujours, p. 80-87), répartit les personnages des romans de Mauriac en quatre catégories : les âmes saintes ; les âmes mortes ; les égarés de l’amour ; les bien-pensants et les dévots.
• Les âmes saintes ont trouvé plus ou moins immédiatement la paix du Christ. Ce sont des personnages peu nombreux dans l’ensemble de l’oeuvre. Ils sont là, non au premier plan de l’action, mais pour porter témoignage à la lumière et éclairer le drame des autres. Dans Le mystère Frontenac, Blanche Frontenac, restée veuve avec cinq enfants, ne recherche pas le bonheur personnel. La seule chose essentielle est d’agir dans l’intérêt de la famille. Dans Le fleuve de feu, Lucile de Villeron conseille Gisèle, désespérée, et tente de lui faire voir que les plus grandes pécheresses trouvent leur salut dans la foi et son intense pratique. Le drame, c’est le conflit entre les convoitises du coeur charnel et l’amour de Dieu. Les âmes saintes, ouvertes à l’amour des choses et des êtres, ont la mission d’aider les autres à découvrir la paix intérieure.
• Les âmes mortes sont enfouies dans le bien-être, la bonne chère et l’argent, intellectuellement et moralement nulles. C’est le mari de Thérèse Desqueyroux ou le père Gornac. Ces âmes sont décomposées par l’habitude du désordre et les jouissances charnelles. Elles sont repliées sur leur égoïsme, vidées d’amour et de vie. Mais, tout n’est pas perdu. Il reste toujours une chance de salut.
• Les égarés de l’amour forment une troisième catégorie. Ce sont aussi des pécheurs, mais qui le sont moins par dépravation de la volonté que par faiblesse ou par misère. Leur milieu social les a déçus et blessés. Pour ceux-là, Mauriac est plein de pardon. Ils sont pour lui la brebis égarée de l’Évangile. Ce sont souvent des jeunes gens, des femmes qu’une sensibilité, souvent froissée par la vie, expose à la tempête des passions. Ce sont parfois des hommes mûrs, comme le docteur Courrèges ou le héros du Noeud de vipères. Tous ces personnages sont à la fois épris de Dieu et livrés au mal comme Thérèse Desqueyroux ou Irène de Blénauge.
• Enfin, le quatrième groupe de personnages, celui des bien-pensants et des dévots, n’a pas la faveur de Mauriac. Il s’agit de ceux qui ont entendu la parole du Christ, reçu le baptême, accepté les lois de l’Église, vécu les sacrements. Mais ce sont des bien-pensants, parfois des dévots. Autant Mauriac incline à la miséricorde pour les pécheurs, autant il se montre sévère pour la fidélité de pratique, le formalisme et la bonne conscience du pharisien.
Mauriac est un fin connaisseur de l’âme humaine avec ses turpitudes, ses élans d’amour, ses passions charnelles. Il n’est pas étonnant alors qu’une réflexion sur le péché se dessine au foyer de son oeuvre. Mauriac est persuadé que la question du salut se ramène à trouver les voies de l’amour, que seuls sont intéressants aux yeux de Dieu ceux qui aiment, ceux qui brûlent. Le Christ « vomit les tièdes », le christianisme ne souffre pas les coeurs médiocres.
On retrouve souvent, dans les romans, les aspects contradictoires de la psychologie mauriacienne : d’une part l’analyse cruelle des âmes livrées à leurs sens, à leur orgueil, à leur avarice ; et, d’autre part, le thème de la purification et de l’exaltation dans la charité surnaturelle. Prenons deux exemples :
Genitrix. Les personnages de ce roman sont peu sympathiques. Fernand est sous l’emprise de sa mère Félicité au détriment de Mathilde son épouse. La servante Marie de Lados toute dévouée à son maître finit par se laisser aller. C’est un roman qui nous parle des relations qui étouffent l’autre. Mathilde meurt. Puis la mère de Fernand aussi, à partir du moment où celui-ci cherche à retrouver son amour pour la défunte. La jalousie est omniprésente, mais aussi les calculs pour détruire l’autre. Bien évidemment Dieu n’a pas sa place dans un tel univers.
Thérèse Desqueyroux. Ce chef d’oeuvre de Mauriac montre une femme dans sa difficulté d’être. La métaphore de la claustration est très présente tout au long du récit, de même que le thème de l’étouffement (12 emplois). Le roman repose sur un jeu des mots : d’un côté, il y a la tentative d’étouffement de l’affaire de l’empoisonnement. Le père de Thérèse déclare : « Le silence, l’étouffement, je ne connais que ça. J’agirai, j’y mettrai le prix ; mais pour la famille il faut recouvrir tout ça… Il faut recouvrir » (Livre de poche, p. 26). D’un autre côté, Thérèse étouffe à Argelouse, enfermée derrière les barreaux d’une famille : « Elle aspira de nouveau la nuit pluvieuse, comme un être menacé d’étouffement » (p. 26).
Mauriac lui-même disait que le drame de Thérèse Desqueyroux, c’était le drame de l’inadaptation à la vie. Coupée de tout, Thérèse reste cependant ouverte à Dieu malgré sa déclaration de non foi.
Mgr Hubert Herbreteau
Evêque d’Agen, Président de l’Observatoire Foi et Culture (OFC)