Ils sont aumôniers auprès des personnes en prison : garder foi en ce qu’il y a des meilleur en chaque détenu

l'Eglise réunit comme tous les 6 ans ses aumôniers de prison

Six cents participants sont attendus pour les Rencontres nationales 2024 de l’aumônerie catholique des prisons, dont Frère Benoît, Béatrice et Jacky. Ces trois aumôniers interviennent auprès des personnes incarcérées, ils ont accepté de nous livrer leur témoignage de foi, ce qui fait « socle commun » même derrière les barreaux. Portraits recueillis par Florence de Maistre.

“Les détenus m’apprennent la liberté”

Frère Benoît Dubigeon, ofm, 69 ans, est aumônier à Fleury-Mérogis (91) depuis douze ans. Il est également prêtre accompagnateur d’une paroisse du diocèse d’Évry-Corbeil-Essonnes et auteur du livre : C’est ton visage que je cherche.

“C’est ma dernière année de mission à Fleury-Mérogis. Après quelque temps, il s’agit de ne pas s’accaparer la cellule de quelqu’un et de ne jamais s’habituer à refermer la porte sur lui. En avril, l’ancien bâtiment pour les jeunes détenus a été transformé en centre de détention : j’ai tenu à être présent auprès de ces personnes détenues depuis longtemps. Fleury-Mérogis est la plus grande maison d’arrêt d’Europe, avec près de 5000 détenus, répartis en six bâtiments. Cinq, dont un réservé aux femmes, sont pour les prévenus en détention provisoire.

Une Église fraternelle

J’ai participé au dernier congrès national en 2018. J’en retiens le dynamisme, le partage des pratiques vécues au sein des différents établissements pénitentiaires. Et aussi ce souffle spirituel : il faut être habité d’une véritable profondeur spirituelle pour bien vivre cette mission. Nous avons un gros effort à faire dans notre équipe pour intensifier ce souffle, car bien que nous soyons l’aumônerie la plus nombreuse au regard des autres confessions présentes, j’observe une baisse considérable de ses acteurs. Nous étions trente il y a 12 ans et nous sommes une petite douzaine aujourd’hui.

Mon bonheur dans ce ministère : c’est expérimenter, au sein de cette équipe d’aumônerie, l’Église de demain. Une Église animée par des laïcs, une Église fraternelle tournée vers les plus pauvres. Saint Vincent de Paul, le premier aumônier de prison, disait que les pauvres sont nos enseignants et nos maîtres. Alors que je ne suis pas privé de liberté, les détenus m’apprennent à être plus libre. La parole de Dieu tient également une place importante en prison. Il faut l’entendre là et la mettre en pratique, surtout lorsque, seul en cellule, on est confronté au mal ou au déni.

De la même humanité

Au rassemblement des aumôniers de prison, j’espère vivre un temps fraternel et de célébration de ce que nous vivons au quotidien, de formation aussi ouverte sur les initiatives des autres équipes. Je suis heureux de prendre avec d’autres les moyens de relire ma pratique, de me remettre en question, d’apprendre des autres. J’aimerais être plus appelant et susciter des vocations nouvelles. Le récent film La visite montre de façon très juste, ce que l’aumônier reçoit, ce qu’il donne et comment. J’aimerais que ces journées de rencontres soient un moteur, y compris pour les prêtres et les évêques. Que cette mission est équilibrante, le ministère y coule de source !

Le thème me touche comme franciscain. Il s’agit de marcher au pas de l’autre, dans l’humilité, mineur, c’est-à-dire capable d’humanité avec notre frère. C’est la spiritualité de la visitation que je développe dans mon livre. Si je porte le meilleur de moi-même en cadeau, alors l’autre risque aussi de porter le meilleur de lui-même. Ensemble nous pouvons cheminer et tressaillir comme Élisabeth au-dedans de nous. Je dis souvent à mes frères détenus qu’une feuille mince comme du papier à cigarette nous sépare : nous pourrions être l’un à la place de l’autre. Je n’ai pas commis d’acte délictueux, mais nous sommes de la même humanité, appelés à être sauvés par Dieu ! Les personnes que je visite renouvellent ma vie baptismale et de prêtre ! Notre monde est dur, il juge de manière violente. J’aimerais crier par toute ma vie que notre réalité d’homme et de femme, c’est d’être enfant de Dieu quels que soient les actes commis. Dieu voit le péché, mais il aime le pécheur.  En ce moment, j’accompagne un infanticide qui me bouleverse beaucoup, mais je découvre une personne extraordinaire.”

frère Benoît Dubigeon, ofm et aumônier à Fleury-Merogis

“Une première pour mon équipe et moi”

Béatrice Courtois, 57 ans, est aumônier du centre pénitentiaire pour femmes à Rennes (35) depuis six ans. Célibataire, journaliste pigiste pour la presse institutionnelle, elle a la chance de gérer son agenda comme elle l’entend.

“La prison des femmes de Rennes est la seule et unique prison en France exclusivement réservée aux femmes. C’est, me semble-t-il, la plus grande prison d’Europe pour femmes. Entre 200 et 230 femmes sont incarcérées au sein de la maison d’arrêt, du centre de détention et, depuis 2 ans, il y a aussi un quartier pour femmes radicalisées. Comme toutes les aumôneries, nous nous appuyons sur trois piliers. Des rencontres individuelles auprès des femmes en cellule : il s’agit d’un accompagnement humain et spirituel, à la demande, qui est fait d’écoute, de compassion, d’attention aux souffrances. Des temps collectifs sont également proposés à travers l’animation d’ateliers autour de la Parole de Dieu, et de petits bricolages, fabrication de cartes postales, etc. Les femmes aiment beaucoup travailler de leurs mains. Nous célébrons aussi la messe tous les dimanches, proposons des temps de prière et d’adoration, offrons la possibilité de rencontrer un prêtre pour un échange personnel.

Un regain d’énergie pour la mission

Je n’ai pas pu participer aux journées de rencontres nationales lors de ma première année d’engagement et je me réjouis de vivre ce prochain temps fort. Nous bénéficions déjà de rendez-vous en région deux fois par an. Ce sont des moments très importants de partage d’expérience, qui motivent à nouveau pour le service. Je rentre toujours gonflée à bloc de ces rencontres régionales. J’imagine qu’à Lourdes, l’effet sera décuplé par le nombre de participants et la grâce du lieu. J’attends de ce congrès un regain d’énergie pour repartir en mission. C’est une première pour mon équipe et moi ! Nous étions encore quatre récemment, mais une personne vient de quitter l’aumônerie pour raison d’âge. Elle nous a beaucoup encouragés à participer au rassemblement national. Nous avons recruté trois nouveaux aumôniers, dont un couple. Ils viennent de recevoir leur agrément, mais ne sont pas encore pleinement autonomes. Nous sommes cinq sur une équipe de six à répondre à l’invitation d’octobre : trois aumôniers expérimentés et deux novices. C’est une chance pour chacun de découvrir la grande famille de l’aumônerie nationale avec toutes nos différences. Je crois aussi en l’importance d’être soudé en équipe. Je ne me suis pas encore penchée sur la thématique proposée autour de la fraternité. Je verrai sur place comment cela s’articule. Je me laisse porter.

Tous les fruits que l’on reçoit

Nous recevons énormément de confidences. J’ai beaucoup d’intentions à déposer aux pieds de la Vierge. Je pense en particulier à une femme que j’accompagne en catéchuménat depuis un an à peine. Je suis édifiée par sa vie de foi, par cette rencontre magnifique qu’elle a faite avec le Christ. Je suis ressortie très heureuse de notre dernière entrevue : je vois les merveilles que Dieu fait dans les cœurs. Je demanderai à la Vierge de la guider sur son chemin et dans son étape de baptême. L’aumônerie est une belle aventure, avec ses joies dans l’accompagnement vers les sacrements. C’est aussi une mission très bousculante, sur les plans humains et spirituels. Ça déstabilise, mais c’est comme ça que l’on avance, y compris quand on met un pied devant l’autre ! C’est encore très riche et plein de surprises. Je me suis engagée dans l’idée d’aider les autres. J’étais loin d’imaginer tous les fruits que l’on reçoit pour soi-même. Au travers de ce que ces femmes sont et me partagent, elles m’apportent beaucoup. J’ai l’impression d’être consolée par elles, on ne suppose pas que cela puisse se vivre dans ce sens-là ! Je m’aperçois de façon de plus en plus incroyable, que le Christ ne vous appelle pas à n’importe quelle mission, mais à celle qui vous fait du bien. C’est très délicat de sa part !”

Béatrice Courtois, aumonier du centre pénitencier de Rennes

“Que les prisons s’humanisent un peu”

Jacky Courvoisier, 68 ans, est aumônier de la maison d’arrêt de Lons-le-Saunier (39) depuis six ans. Agriculteur-éleveur à la retraite, marié, père de trois enfants et grand-père de cinq petits-enfants, il a été ordonné diacre permanent pour le diocèse de Saint-Claude en 2008.

“Une dame était venue témoigner au cours d’une rencontre de jeunes. Elle visitait les prisonniers. Son enthousiasme m’avait interpellé : pourquoi pas moi ? Cette question m’a travaillé pendant quarante-cinq ans ! À Lons-le-Saunier, c’est une maison d’arrêt, c’est-à-dire que les personnes sont là pour des peines de moins de cinq ans, ou qu’elles attendent leur jugement. Il y a autour de quarante, parfois jusqu’à soixante-quinze détenus. Je ne leur demande jamais ce qu’ils ont fait. Je viens voir les personnes, découvrir avec eux la perle qui est en eux, même s’il faut parfois gratter un peu fort la carapace. Je ne suis pas de leur côté, mais à leurs côtés.

Accepter ce que je dois vivre

Je me suis rendu au rassemblement national, il y a six ans, et je suis content d’y retourner. C’est toujours intéressant de rencontrer des collègues. On apprend beaucoup en découvrant d’autres manières d’intervenir et en réfléchissant ensemble. Les discussions et la convivialité sont importantes pour moi. La dernière fois, le sujet était sur l’approche des différentes religions. Depuis, j’ai noué des relations avec mon homologue protestant évangélique. Je me rends à la maison d’arrêt deux fois par semaine. Une équipe, de huit à dix bénévoles occasionnels, accompagne les temps collectifs. Vivien, 30 ans, aumônier bénévole auxiliaire, me soutient beaucoup. Notre région a mis en place un temps de relecture avec une supervision trois fois par an. C’est un vrai plus dans notre mission. “Rejoints par le Christ”, rien que le titre m’émeut. Je ne sais pas si… Souvent, je viens avec cette idée qu’en chaque personne le Christ est présent. Mais en même temps, je suis tellement stressé. Je demande au Seigneur de m’aider à accepter ce que je dois vivre : le refus de la visite prévue, la remarque d’un surveillant. Je ne me sens capable de rien. Au printemps dernier, nous aurions dû célébrer un baptême, mais le gars a été transféré juste avant. Il y a un tel turn over ! J’ai réussi à contacter le nouveau centre, je l’espère maintenant baptisé. Quand une demande surgit, il faut savoir l’écouter et en tenir compte. Mes autres grandes déceptions : voir les gars revenir. J’en ai vu un une fois, qui avait peur de sortir. De fait, il est revenu au bout de quatre jours ! Pour un autre, c’est sa mère qui a rappelé les gendarmes. C’est très dur de voir ça, de voir leurs liens familiaux si détériorés. C’est difficile de m’en détacher. La prière m’aide.

Sache que je prie pour toi

Pour Lourdes, on a proposé aux gars d’écrire une carte avec leurs intentions de prière. La mienne : que les prisons s’humanisent un peu. Que l’on essaie davantage de réinsérer plutôt que de punir. Il y a encore tant de travail à accomplir. Et puis, cette attente. Ces délais sont atroces ! Dans l’angoisse, ils attendent de savoir combien ils vont prendre. Une fois jugés, ils peuvent commencer à se projeter, ne serait-ce que compter les jours et les mois. Je ne me lève jamais un matin sans avoir une prière pour eux. Souvent je leur dis, que tu souhaites me rencontrer ou pas, sache que je prie pour toi. Quand j’attends les ouvertures de portes, je prie une dizaine de chapelet. La directrice adjointe m’appelle Monsieur Courvoisier. Les gens me connaissent tous par Jacky, c’est mon prénom usuel, même si Jacques est celui de mon baptême. L’autre jour, alors que je ne m’y attendais pas, un surveillant m’a dit au-revoir Jacky. Ça m’a touché. J’ai senti ce petit rapprochement, qui peut être un appui pour moi. Ça dit quelque chose de s’appeler par son prénom. Je ne suis pas un intervenant comme les autres, je deviens un familier.”

 

Jacky Courvoisier, aumônier de la maison d'arrêt de Lons-le-Saunier

À lire

C’est ton visage que je cherche, Frère Benoît Dubigeon, Éd. Artège 2023

À voir

La visite, un documentaire réalisé par Élodie Buzuel, septembre 2024

Au cœur d’une prison pour femmes, un documentaire réalisé par Éric Lemasson, 2021

sur le même sujet

liens utiles

  • Annuaire de l'administration pénitentiaire.
    Les personnes qui désirent rentrer en contact avec un aumônier sont invités à se rapprocher de l’administration de l’établissement pénitentiaire concerné, en précisant dans l'adresse : "Aumônerie catholique des prisons".

vous êtes aumônier ?

Site intranet de l'Aumônerie catholique des prisons