Message au peuple de Centrafrique

Publication de la déclaration des évêques de Centrafrique suite à l’escalade de violence politico-militaire dans ce pays et à l’occasion de la conférence de presse de Mgr Nzapalainga, archevêque de Bangui à la Maison de la Conférence des Évêques de France lundi 24 juin 2013.


Télécharger le texte de la Conférence de presse de Mgr Nzapalainga, archevêque de Bangui

Message des évêques de Centrafrique aux chrétiens de bonne volonté
Rendons compte de notre foi et de notre espérance (1 P 3, 15)

Chers frères et sœurs dans le Christ et vous tous femmes et hommes de bonne volonté.
Du 12 au 23 de ce mois qui s’achève, Nous, Pasteurs de l’Eglise, sommes réunis en session ordinaire au Siège de la Conférence Episcopale Centrafricaine (CECA) à Bimbo. Nous avons saisi l’occasion pour partager au sujet des questions relatives à la vie de l’Eglise, portion du peuple de Dieu en Centrafrique. Nous avons, par ailleurs, échangé sur le cours des événements qui font l’actualité politique, économique et social au niveau de la Nation.
Par notre diverse provenance, nous constituons autant de fenêtres sur les horizons de notre cher pays. Ainsi, tour à tour, il nous avait été donné d’entendre le témoignage des Pères Evêques sur la grande souffrance imposée à nos compatriotes par cette énième escalade de violence politico-militaire. Dans les affres de cette rébellion, nous manifestons notre compassion à toutes les familles et aux personnes qui sont affectées dans leur âme et dans leur chair. Nous les assurons de notre solidarité dans la prière, la proximité et les différentes initiatives que nous avons prises depuis le commencement de cette crise.

I. REALITES PRESENTES, LES EFFETS ET LEURS IMPACTS

« Du jamais vu ! » Voilà les mots qui disent le sentiment général du peuple face au déferlement des éléments de la SELEKA.Jamais l’on n’a connu sur notre terre un conflit aussi grave dans son ampleur et dans sa durée. Jamais aucun trouble militaro-politique ne s’était disséminé avec autant de violences et d’impacts sur l’ensemble de notre territoire. Jamais une rébellion ne nous a drainé une aussi forte présence de combattants étrangers. Jamais une crise ne nous a fait courir un aussi grave risque de conflit religieux et d’implosion du tissu social. Un spectacle « du jamais vu » sur tous les plans.

1. Sur le plan social
Sur le plan social, on n’a pas fini de dresser le bilan en terme de perte de vies humaines, de viols, de pillages, de villages incendiés, de destruction de champs, de violation et spoliation de domiciles privés, des familles illégalement expropriées de leurs maisons qui sont occupées de manière indue par un homme fort ou une bande armée. Le tissu social a été complètement déchiré. Les valeurs et repères sociaux ont été travestis. Le peuple a été soumis à un énorme traumatisme dont les conséquences sont manifestes dans les cas de suicides et de dépressions.

2. Sur le plan économique
Sur le plan économique, jamais une crise n’avait engendré une destruction aussi systématique et programmée de ce qui restait du faible tissu industriel et économique du pays. Quel héritage allons-nous légué à la génération montante ? L’envie d’assouvir des intérêts égoïstes et mesquins ne saurait justifier l’irresponsabilité dont nous faisons aujourd’hui montre dans la gestion irrationnelle de nos ressources.

3. Sur le plan politico-administratif
Sur le plan politico-administratif, jamais le peuple n’a compris l’obstination avec laquelle les combattants de la coalition SELEKAont détruit les archives de l’administration publique et des collectivités locales. Que se cache-t-il derrière cette volonté de destruction et d’annihilation de la mémoire nationale ? Jamais le peuple n’a compris leur acharnement sur les représentants du gouvernement ainsi que sur les agents de l’Etat en mission dans les écoles, leshôpitaux et les divers services administratifs sur toute l’étendue du territoire. Ces actes ont porté atteinte à l’existence même de notre Nation. L’autorité de l’Etat est mise en questionpar des groupes armés qui ont établi une administration parallèle dans différentes localités de l’arrière-pays.

4. Sur le plan éducatif et scolaire
Sur le plan éducatif et scolaire, le risque d’une année blanche est réel. En dépit des montages faits par les techniciens du Ministère de l’Enseignement et des appels répétés, lancés par les autorités compétentes, la reprise des activités scolaires s’est faite très timidement dans certains établissements de l’Enseignement Catholique Associé de Centrafrique (ECAC) à Bangui, Bangassou, Kaga-Bandoro, Bouar, Berbérati et dans quelques autres établissements publics. Un programme d’examens (concours d’entrée en sixième, BC, BAC) vient d’être communiqué par les services d’Examens et Concours. Que fait-on de la majorité des écoles saccagées et de celles qui restent encore fermées ?

5. Sur le plan sécuritaire et militaire
Sur le plan sécuritaire et militaire, l’armée nationale et républicaine a cédé le pas à un agrégat de factions en mal de cohésion, manquant d’éthique et de déontologie professionnelles. Ces éléments continuent à se comporter en rebelles. Ils défient toute hiérarchie et donnent uniquement allégeance à « leur chef militaire ». Ils prennent avantage des armes en leur possession pour imposer leurs lois. En dépit des pillages et des nombreuses exactions qu’ils ont commises sur la population, ils refusent de se faire désarmer. Par ailleurs les mercenaires exigent encore d’être payés. Tel est le cas des Soudanais qui occupent à ce jour la caserne des sapeurs pompiers. Même si un début de sécurisation est perceptible à Bangui, il n’en est pas le cas dans l’arrière-pays où le cantonnement des éléments de SELEKA devient un souffre-douleur pour la population livrée à leur merci. Ces hommes supposés assurer la sécurité des personnes se transforment en leurs bourreaux. Ils s’arrogent le droit de commettre toutes les exactions. La vie du Centrafricain n’a désormais aucun prix. Ces éléments de SELEKA, pour la plupart des Tchadiens et des Soudanais, peuvent impunément tuer, violer, piller, saccager, incendier des maisons, des greniers, des villages entiers, en représailles à la légitime défense opposée par les populations. Nous déplorons la dissémination, à travers le pays, des armes de tout calibre, qui augmente le sentiment et le fait d’insécurité. Alors que nous venons de célébrer le dimanche 19 juin 2013 la Journée de ‘l’Enfant Africain’, nous condamnons la pratique des enfants soldats qui ne crée aucun climat propice à l’épanouissement de l’enfant et de la jeunesse en Centrafrique.

6. Sur le plan religieux et cultuel
Sur le plan religieux et cultuel, l’ardeur et la déterminationavec lesquelles les éléments de SELEKAont profané des lieux de culte chrétien et se sont pris de manière ciblée aux biens des chrétiens, ont ébranlé les fondements de notre cohésion sociale. L’unité du peuple centrafricain est ainsi mise à rude épreuve surtout à la vue des comportements de complicité que nous déplorons chez certains de nos frères musulmans. Ces attitudes répondent-elles à un agenda caché comme certains éléments le laissent présager ? Toutefois nous exhortons les autorités politiques à tout mettre en œuvre pour ne pas exacerber ces tensions dont l’implosion causera beaucoup de mal à notre pays. Nous réitérons notre attachement au principe de laïcité qui a façonné notre pays. Par ailleurs nous compatissons avec certaines communautés musulmanes qui ont été prises en otage et doivent la sécurisation de leurs biens, grâce à un système d’omerta qui consiste à verser, par anticipation, une rançon aux éléments de SELEKA avant que ces derniers n’entrent dans une ville.

II. NOUS SOMMES TERRASSES, MAIS PAS ANEANTIS (2 Co 4, 9)

1. Dépositaires de la Bonne Nouvelle du Salut
Chers frères et sœurs dans le Christ et vous tous, femmes et hommes de bonne volonté, face à cette situation nouvelle qui génère tant de souffrances, nous sommes plus que jamais invités à rendre compte de la foi et de l’espérance qui nous habitent. Dépositaires de la BONNE NOUVELLE DU SALUT, continuons à annoncer l’Evangile et à en vivre à la manière de la première communauté chrétienne. Le livre des Actes des Apôtres raconte, en effet, le récit de la persévérance des Apôtres, nos Pères et Modèles à la suite du Christ, dans les épreuves. Alors que les autorités juives tentaient d’éliminer le CHRIST RESSUSCITE et d’empêcher la pratique de la foi, les Apôtres n’ont jamais reculé. Bien au contraire, ils ont exhorté à la conversion et à la connaissance du Christ. Avec patience et courage, ils ont proclamé Jésus-Christ, Vainqueur de la Peur et du Mal (cf.Ac 5, 40-42).

2. Témoins de l’Evangile
Chers frères et sœurs dans le Christ, vous ne pouvez plus vivre votre foi aujourd’hui comme vous l’aviez fait par le passé dans la tiédeur et sans ferveur. Les problèmes nouveaux auxquels nous sommes confrontés constituent autant de défis qui vous appellent à un plus grand attachement au Christ et à une plus forte affirmation des valeurs chrétiennes qui nous caractérisent. Nous vous exhortons, vous, en tant que témoins authentiques de l’EVANGILE, à investir, conformément à votre engagement chrétien, les champs politique, économique et social. Telle est la vocation qui vous est propre selon les termes du Décret pour l’Apostolat des Laïcs au n° 7:
Les laïcs doivent assumer comme leur tâche propre le renouvellement de l’ordre temporel. Eclairés par la lumière de l’Evangile, conduits par l’esprit de l’Eglise, entraînés par la charité chrétienne, ils doivent en ce domaine agir par eux-mêmes d’une manière bien déterminée. Membres de la cité, ils ont à coopérer avec les autres citoyens suivant leur compétence particulière en assumant leur propre responsabilité, et à chercher partout et en tout la justice du Royaume de Dieu. L’ordre temporel est à renouveler de telle manière que, dans le respect de ses lois et en conformité avec elles, il devienne plus conforme aux principes supérieurs de la vie chrétienne et soit adapté aux conditions diverses des lieux, des temps et des peuples.
Il vous revient donc la gestion du temporel, l’animation de la vie politique et la conduite des affaires publiques. Ainsi votre lumière est appelée à rayonner au cœur des pratiques douteuses qui constituent un frein au développement de notre pays et affectent, par ailleurs, notre cohésion sociale. Il s’agit notamment du népotisme, du régionalisme, du clientélisme, de la corruption, de l’impunité, de l’accaparement ou la destruction des biens publics, de la violation des droits de l’homme, des détournements … que nous ne cessons de déplorer.
Pris dans les structures de péché, nous semblons avoir cédé à la haine, à l’envie de vengeance personnelle en privilégiant plutôt des intérêts égoïstes et mesquins. Nous manquons d’ambition et de vision claire pour la Nation toute entière. Chers frères et sœurs et vous, femmes et hommes de bonne volonté, qui animez la vie politique nationale, nous tenons à vous rappeler que la foi comporte une dimension socio-politique. Quelles sont nos responsabilités individuelles et collectives dans les crises qui affectent notre pays ? Combien de temps encore allons-nous nous laisser manipuler par des puissances étrangères qui nous utilisent, nous infantilisent et font de nous des prédateurs contre notre peuple ? Par patriotisme, nous vous exhortons à la vigilance.

3. Vers un chemin de réconciliation et de reconstruction sociale
Par ailleurs, nous saluons et encourageons la mise en place de la plateforme des leaders religieux, catholiques, protestants et musulmans, et tout le travail qui s’y fait en vue de la décrispation de la tension religieuse qu’on a voulu nous imposer. Solidaires de cette initiative, nous vous appelons, chers frères et sœurs dans le Christ, à ne pas céder à la tentation d’une confrontation avec nos frères musulmans. Ne brisons donc pas la bonne harmonie qui a caractérisé nos différentes communautés religieuses. En effet, catholiques, protestants et musulmans ont toujours cohabité de manière conviviale en Centrafrique. Telle est l’exhortation que le Pape Benoit XVI a lancé aux fidèles à l’endroit « des musulmans qui adorent le Dieu Un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes » (AM n° 94).
En cette année de la foi, chers frères et sœurs, l’occasion nous est accordée de nous affermir dans le témoignage de la charité. En effet, « la foi sans la charité ne porte pas de fruit et la charité sans la foi serait un sentiment à la merci constante du doute. Foi et charité se réclament réciproquement, si bien que l’une permet à l’autre de réaliser son chemin » (Lettre apostolique Porta Fidei, n° 14). Ce témoignage est rendu possible par l’attachement personnel de chaque fidèle au Christ.
Confions notre pays à la grâce et à la miséricorde de Notre Dieu qui est Père, Fils et Saint-Esprit, par l’intercession de l’Immaculée Conception, Reine de la Paix et Mère de Centrafrique.

Donné en l’année du Seigneur, le 23 juin 2013 au Siège de la CECA

S. E. Mgr Dieudonné NZAPALAINGA, Président de la CECA et Archevêque de Bangui
S. E. Mgr Nestor Désiré NONGO AZIAGBIA, Vice-Président et Evêque de Bossangoa
S. E. Mgr Edouard MATHOS, Evêque de Bambari
S. E. Mgr Albert VANBUEL, Evêque de Kaga-Bandoro
S. E. Mgr Juan José AGUIRRE MUNOZ, Evêque de Bangassou
S. E. Mgr Peter MARZINKOWSKI, Evêque d’Alindao
S. E. Mgr Guerrino PERIN, Evêque de M’Baïki
S. E. Mgr Dennis Kofi AGBENYADZI, Evêque de Berbérati
S. E. Mgr Armando GIANNI, Evêque de Bouar
S. E. Mgr Cyr Nestor YAPAUPA, Evêque coadjuteur d’Alindao

 

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