Les enjeux de la réforme du droit d’asile

Le 6 février 2002, dans notre déclaration «Accueillir les demandeurs d’asile» – publiée en ouverture au livre Asile en France, état d’urgence, réalisé par les trois commissions que nous présidons – nous rappelions que le droit d’asile s’inscrit dans toute la tradition biblique et dans l’enseignement de l’Église. Nous invitions les responsables politiques à prendre plu- sieurs mesures d’urgence, afin d’améliorer la qualité de l’accueil de ces demandeurs d’asile et de les traiter avec humanité. Ces mesures portaient sur cinq points: 

  • Nous regrettions la durée excessive des procédures de demande d’asile. 
  • Nous affirmions que les demandeurs d’asile, pour avoir les moyens de vivre, devaient se voir reconnaître le droit de travailler lorsque le délai de réponse à leur demande dépasse six mois. 
  • Nous regrettions que les procédures d’accès à l’asile territorial, prévu par la loi de 1998, soient inadaptées et opaques. 
  • Nous invitions à améliorer les droits sociaux et l’hébergement des demandeurs d’asile. 
  • Nous attirions enfin l’attention sur la situation des mineurs isolés.

Quinze mois plus tard, au moment où le Parlement est saisi d’un projet de loi sur la réforme de l’asile, nous voulons attirer l’attention des parlementaires et des citoyens – et parmi eux, des chrétiens de notre pays – sur des points qui nous tiennent à cœur comme citoyens et comme témoins de l’Évangile: ! La situation des demandeurs d’asile demeure alarmante. En leur refusant le droit de travailler, on les oblige à vivre dans une précarité extrême, inacceptable au regard de la dignité due à tout homme. Des droits humains vitaux – se nourrir, se loger – ne sont pas assurés (surtout depuis la fin du dispositif d’hébergement d’urgence). Les associations qui les soutiennent sont débordées. Il est anormal que les pouvoirs publics se déchargent totalement de l’aspect humanitaire du problème sur les militants associatifs.

  •   La situation des demandeurs d’asile demeure alarmante. En leur refusant le droit de travailler, on les oblige à vivre dans une précarité extrême, inacceptable au regard de la dignité due à tout homme. Des droits humains vitaux – se nourrir, se loger – ne sont pas assurés (surtout depuis la fin du dispositif d’hébergement d’urgence). Les associations qui les soutiennent sont débordées. Il est anormal que les pouvoirs publics se déchargent totalement de l’aspect humanitaire du problème sur les militants associatifs.
  • Du fait de la suppression de l’asile territorial, il est créé un guichet unique pour les demandeurs d’asile, guichet géré par l’OFPRA. Cela pose les questions suivantes :
    – À centraliser toutes les demandes au siège de l’OFPRA, n’y a-t-il pas le risque de rendre plus difficile l’accès à la procédure? Ne faut-il pas décentraliser ce siège en régions, là où arrivent les demandeurs?
    – Il est heureux que des mesures soient prévues pour accélérer les procédures, mais il faut veiller à ce que cela ne soit pas au détriment des demandeurs : un exa- men rapide ne doit pas être un examen sommaire, conduisant à des rejets en masse. Quelles garanties peuvent être données sur ce point?
    – De quelles informations et de quel soutien le demandeur bénéficie-t-il pen- dant la procédure, dans l’attente de la décision?
  • Les informations que nous recevons sur ce qui se passe dans les zones d’attente sont très préoccupantes. S’y donneraient libre cours des pratiques scandaleuses: vio- lences, arbitraire, non respect de la personne, non respect du droit à l’asile… Ces dérapages ne sont ils pas dus au fait que la zone d’attente est mal définie? La loi devrait donner une délimitation claire de ce qu’est une «zone d’attente». Il faudrait aussi élargir l’accès des associations à ces zones, car les risques de dérapages dimi- nuent sous un regard extérieur. 
  • D’une manière générale, l’accès à l’asile pose problème. Les personnes en danger doivent pouvoir présenter leur demande d’asile, et donc avoir accès au territoire. Si l’Union européenne porte tout son effort sur le contrôle de l’immigration irrégu- lière, elle développe une logique qui vient contredire celle du droit d’asile. En effet, comme la plupart des demandeurs d’asile arrivent irrégulièrement, se fermer à toute entrée irrégulière équivaudrait à se fermer à l’asile. Ce serait, en pratique, obliger les demandeurs à recourir aux filières de passeurs, qui sont aussi des filières d’exploita- tion humaine. 
  • La question des délais ne doit pas se poser dans un seul sens : les textes fixent aux demandeurs des contraintes précises, mais restent silencieux sur les obligations de l’administration. Qu’en est-il des observations du président de la République, le 14 juillet 2003, sur cette question des délais? Quant à la proposition d’accorder aux demandeurs d’asile le droit de travailler s’ils n’ont pas obtenu de réponse au bout de six mois, devient-elle sans objet? 
  • En ce qui concerne les critères d’attribution du statut de réfugié, il importe de pré- ciser la portée de notions comme «pays sûr», «autorité de fait» ou «zone interne de sécurité». Le recours à ces notions, nouvelles en droit français, est-il conforme à notre tradition de l’asile? Ne portent-elles pas en elles le risque d’une diminution de l’effectivité de la protection? & Enfin, certaines mesures urgentes sur lesquelles nous attirions l’attention en 2002 ne semblent pas abordées: en particulier celles qui concernent les droits sociaux et l’hébergement des demandeurs d’asile, ainsi que la situation des mineurs. 

Sur les enjeux de ces difficiles débats, ne faut-il pas informer davantage les citoyens et ouvrir un vrai débat? Même si ce débat semble difficile à court terme, ne préparerait-il pas un avenir plus serein? Quand on a la possibilité de mettre des mots sur des peurs, des souffrances, des griefs, le chemin de la réconciliation avec soi-même et avec l’étran- ger est déjà amorcé, et le regard sur l’autre devient moins injuste et moins caricatural.

Nous invitons les chrétiens à aborder ces questions avec le souci de respecter, certes, le droit de tout État à définir les conditions d’accès à son territoire, mais à prendre aussi en considération le devoir d’accueil de tout homme en détresse. Beaucoup, déjà, dans diverses associations, proposent aux demandeurs d’asile un accompagnement pour les aider à se réapproprier leur histoire et devenir acteurs de leur propre devenir. Comme le disait Jean-Paul II en 1996, «La solidarité est une prise de responsabilité à l’égard de ceux qui sont en difficulté. Pour le chrétien, le migrant n’est pas simplement un individu à respecter selon des normes fixées par la loi, mais une personne dont la présence l’interpelle et dont les besoins deviennent un engagement dont il est responsable.»

Les débats à venir sur l’asile portent sur des questions fondamentales, qui prennent aujourd’hui un relief particulier, quand le fracas du monde risque de rendre plus fragiles encore et plus démunis ceux qui vivent dans les régions troublées du globe. Notre société ne peut les ignorer. Dans la réforme qui s’engage, notre pays, qui s’est montré soucieux de la paix, doit chercher à mieux honorer le troisième terme de sa devise : «fraternité»

. + MGR OLIVIER DE BERRANGER
Évêque de Saint-Denis
Président de la Commission sociale de la Conférence des évêques de France

+ MGR JEAN LUC BRUNIN
Évêque auxiliaire de Lille
Président du Comité épiscopal des migrations

+ MGR LUCIEN DALOZ
Archevêque de Besançon
Président de Justice et Paix-France