Jeanne D’Arc, une figure d’héroïsme et de sainteté | Documents épiscopat
Les évêques de France ont souhaité marquer le centenaire de la canonisation de Jeanne d’Arc et de l’institution d’une fête «nationale et patriotique» en son honneur. En revenant sur cette grande figure, ils nous invitent à saisir l’importance dans l’histoire de l’Église, et aussi dans notre histoire nationale, de l’héroïsme et de la sainteté de Jeanne.
Edito de Mgr Batut
Peu de figures de l’histoire de l’Église et de notre histoire nationale sont aussi paradoxales que celle de Jeanne d’Arc: une jeune fille qui a eu un rôle géopolitique majeur à une époque où l’engagement des femmes dans la vie de la cité était encore inimaginable; une chrétienne obéissante à l’Église et mise à mort après une condamnation en bonne et due forme par un tribunal ecclésiastique; une figure politiquement inclassable, mais revendiquée tour à tour par les mouvances les plus diverses; une sainte magnifiée par la république laïque comme une figure emblématique de la construction de notre identité nationale. Au bout du compte, Jeanne d’Arc apparaît comme fédératrice des contraires et réconciliatrice des oppositions en apparence les plus irréductibles, sans pour autant se laisser récupérer par personne : elle se tient sur cette ligne de crête qu’ont occupée de nombreux saints, à l’image de leur Seigneur qui a brisé le mur de la haine et qui « des deux n’a fait qu’un seul » (Ep 2, 14).
C’est sans doute pour cette raison que la postérité spirituelle de Jeanne est également si multiforme. À côté des hagiographes et des historiens, peintres, sculpteurs, compositeurs, réalisateurs et poètes l’ont magnifiée dans des œuvres majeures. À quoi tient l’attrait étonnant qu’elle exerce ? Sans doute en premier lieu à la beauté d’une vie qui s’est déroulée toute droite, pleinement identifiée à la mission qu’elle avait reçue d’en-haut. Notre époque, souvent plus familière des paroles galvaudées que des paroles tenues, a grand besoin de tels exemples. À la fragilité aussi d’une jeune fille qui ose s’aventurer dans un monde brutal et dont l’innocence et l’autorité naturelle tiennent en respect les plus retors :
« Et c’est le souvenir qu’a laissé sur ces bords
Une enfant qui menait son cheval vers le fleuve.
Son âme était récente et sa cotte était neuve.
Innocente elle allait vers le plus grand des sorts.
Car celle qui venait du pays tourangeau,
C’était la même enfant qui quelques jours plus tard,
Gouvernant d’un seul mot le rustre et le soudard,
Descendait devers Meung ou montait vers Jargeau » [1].
Mais peut-être y a-t-il aussi dans le « mystère » de Jeanne d’Arc quelque chose de plus approprié encore pour une époque comme la nôtre, à ce point assaillie d’angoisses qu’elle n’arrive qu’à grand peine à se projeter dans l’avenir. Venue d’un lointain XVe siècle marqué par le grand schisme d’Occident, par une guerre dite « de Cent Ans » qui dura en fait cent seize ans et fit tomber la population de la France de 15 à 10 millions d’habitants, puis par le fléau de la peste qui élimina près de la moitié des habitants de l’Europe, son indéfectible espérance fait songer à cette réflexion d’un biographe de saint Augustin : « Il nous apprend, par son exemple, un art de vivre par temps de catastrophe » [2].
Les évêques de France, et en particulier la quinzaine de diocèses directement concernés par l’épopée de Jeanne d’Arc, ont souhaité marquer le centenaire de sa canonisation et de l’institution en France d’une fête « nationale et patriotique » en son honneur par une série de commémorations et par le numéro de Documents Épiscopat que vous avez entre les mains. Nous souhaitons qu’il puisse aider à prendre la mesure de l’importance de sainte Jeanne d’Arc dans l’histoire de l’Église et dans notre histoire nationale en particulier, qui, en dépit des drames qui la jalonnent, a été et demeure une histoire d’héroïsme et de sainteté.
Mgr Jean-Pierre Batut,
évêque de Blois
[1] Charles Péguy, Châteaux de Loire, 1913.
[2] Henri Marrou, Saint Augustin et l’augustinisme, éd. Seuil, 1955, p. 7.