Méditation spirituelle pour la paix, donnée par Mgr Shomali et Mgr Rantsya aux évêques de France
Éminences et Excellences, Pères, Frères et Sœurs.
Permettez-moi de commencer par quelques paroles de Jésus qui résonnent fort. « Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division » (Luc 12,51). « […]Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive » (Mt. 10,34).
La guerre et le meurtre : ce sont les divisions les plus radicales qui traversent l’humanité. En ces temps de guerre dans le monde, en cette période de soif de paix en Ukraine, en Terre sainte et ailleurs, l’évocation de ces phrases, la mention du glaive, peut être perçue comme une provocation. Certains, cependant, instrumentalisent ces paroles pour mobiliser les gens en faveur d’une guerre sainte messianique contre une civilisation décadente, qu’ils considèrent comme un foyer du mal…
À la naissance du Christ, les anges proclamèrent la «paix sur la terre » (Luc 2,14). Tout au long de sa vie, le Christ n’a jamais accepté le rôle d’un Messie guerrier. Lors de la Cène, le Christ a parlé de la paix : d’abord après la promesse du Saint-Esprit : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » (Jean 14,27) ; puis après l’annonce de la trahison : « Je vous ai parlé ainsi, afin qu’en moi vous ayez la paix » (Jn 16,33). Après sa Résurrection, lors de son apparition aux apôtres, il a dit : « La paix soit avec vous ! » (Luc 24:36 ; Jean 20:19). Jésus était un homme de paix. Mais pourquoi alors ces paroles sur la division, sur le glaive, refont-elles surface ?
Les livres sapientiaux de l’Ancien Testament enseignent qu’il existe un ordre éternel et divin des choses dans le monde, et que l’art de vivre consiste à reconnaître cet ordre et à le respecter par sa droiture. La droiture, à son tour, conduit au שָׁלוֹם [Shalom], mot traduit dans les langues européennes par paix. Mais, ce terme hébreu, dont les racines sont communes pour plusieurs langues sémitiques, possède un éventail de connotations plus larges, « entièreté », « complétion », « plénitude », « bien-être », « état parfait », « intégrité », « ordre ».
Dans la spiritualité orientale, la paix est indissociable de l’ordre intérieur, de la sainteté. La paix est incompatible avec le mal et le péché, qui sont la déviation de l’ordre. Pour cela, la paix de Dieu est le fruit d’un choix conscient de l’ordre divin, tant dans la sphère intérieure que dans la sphère extérieure. Peut-être Jésus appelle-t-il à un choix aussi radical avec les paroles sur la division, sur le glaive ; un choix radical de Dieu et de son ordre.
Il ne s’agit pas seulement de spiritualité orientale, mais aussi du Magistère catholique. Voici la première phrase de l’encyclique Pacem in Terris de Jean XXIII : « La paix sur la terre, objet du profond désir de l’humanité de tous les temps, ne peut se fonder ni s’affermir que dans le respect absolu de l’ordre établi par Dieu »[1]. Soit, nous nous plaçons du côté de Dieu, dans son ordre, שָׁלוֹם, et par sa grâce nous triomphons du mal, soit ce mal resté invaincu laisse ses métastases se propager, ce qui provoque des divisions internes et nous déchire.
« Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang dans votre lutte contre le péché » (Hé 12,4). On parle beaucoup d’abus. On peut établir certaines analogies, même si elles sont un peu simplificatrices. Un candidat imaginaire, portant certaines blessures, une incomplétude, un manque de l’ordre interne, entre au séminaire avec de bonnes intentions. Mais, au lieu d’un travail intérieur, à cause d’un manque de discernement des formateurs, certains germes du désordre et du péché peuvent demeurer longuement cachés. Des métastases se développent et explosent, et voici les abus. Ce qui aurait pu et dû être guéri, a longtemps été voilé, a explosé causant beaucoup de mal et privant de la paix de nombreuses personnes.
Du point de vue ukrainien, une situation similaire s’est produite en Russie, au niveau de l’État, de la société, de l’Église. Un mal, un désordre y mûrissait, car la communauté internationale fermait les yeux sur certains processus, se contentant d’une paix dénuée de valeurs et de l’ordre intérieur, se satisfaisant d’un ordre superficiel, d’une belle image en couleur. Et ce mal a explosé sous forme d’abus de guerre, visant à violer son voisin jusqu’à le privé de la dignité, de la liberté, visant à l’anéantir.
Ce mal ne s’apaisera pas tant que l’objectif ne sera pas le שָׁלוֹם, l’ordre, l’intégrité, qui à son tour ne sont pas possibles sans justice. C’est pourquoi la communauté internationale peine à comprendre pourquoi le peuple qui souffre le plus de la guerre et qui a le plus besoin de paix refuse unanimement tout compromis impliquant des pertes territoriales ou des restrictions de souveraineté.
Les guerres en Ukraine, en Terre sainte et ailleurs ne trouveront de solution que si l’objectif est l’instauration d’un ordre et d’une justice, et non une simple trêve masquant les métastases sous-jacentes et donnant l’illusion de la paix. De même que la réputation extérieure d’une personne n’écarte pas le risque que des métastases du mal, si elles ne sont pas guéries, la poussent à l’agression, à l’abus, ou la mènent à la destruction.
Le grand métropolite ukrainien Andreï Sheptytsky, primat de l’Église gréco-catholique ukrainienne dans la première moitié du XXe siècle, c’est-à-dire pendant les deux guerres mondiales et la guerre ukraino-polonaise, écrivit ces simples mots depuis Lviv occupé : « La paix qui ne tiendrait pas compte des besoins des peuples, et où ceux-ci se sentiraient – et seraient réellement – lésés, ne serait pas une paix du tout. Elle ne serait que la cause de nouvelles, et toujours plus graves, complications et de haines mutuelles, menant inévitablement à de nouvelles guerres »[2].
C’est précisément dans cette attitude apparemment pacifiste que réside le piège dangereux : ignorer les valeurs introduites de telles distorsions dans le monde que ce qu’on prétend protéger, à savoir la paix, se trouve menacée. Et c’est le Christ qui nous met en garde contre cela : « celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la trouvera » (Mt 16, 25).
Le monde, l’Europe, ne peut bâtir un système de sécurité efficace – c’est-à-dire une paix juste – en déformant ou en ignorant les valeurs. C’est ce que souligne le pape Jean XXIII : « Un ordre qui repose sur la vérité, se construit selon la justice, reçoit de la charité sa vie et sa plénitude, et enfin s’exprime efficacement dans la liberté ».[3] De même, nous ne pouvons construire notre vie spirituelle en ignorant ou en relativisant la vérité sur nous-mêmes.
C’est pourquoi les Ukrainiens, tout comme la paix, aspirent à la vérité et défendent des valeurs. Ils défendent leur pays et soutiennent le gouvernement, mais dénoncent aussi la corruption qui gangrène la société et les cercles du pouvoir, métastase héritée du passé soviétique. Les Ukrainiens, même russophones, mènent un combat non seulement pour leur intégrité territoriale, mais aussi pour les valeurs humaines universelles, un combat contre l’autoritarisme et l’imposition d’un mode de vie qu’ils ont rejeté lors de la rupture avec l’Union soviétique. Pourtant, les Ukrainiens sont confrontés à des appels à céder des territoires à la Russie pour mettre fin à ce bain de sang interminable. Les règles de la bienséance politique et diplomatique incitent nombre d’Européens à considérer les deux parties, l’agresseur et la victime, comme moralement égales, ignorant ainsi la réalité. Ceux qui partagent de telles croyances risquent une défaite morale. Les métastases resteront et poursuivront leur œuvre destructrice.
L’ancien prisonnier politique soviétique et vice-recteur actuel de l’Université catholique ukrainienne de Lviv Myroslav Marynovych écrit : « La guerre actuelle en Europe de l’Est est un conflit d’identités à somme nulle, insoluble par principe. Il est impossible de concilier, d’une part, le désir des Ukrainiens de préserver leur liberté et leur indépendance nationale, et, d’autre part, la volonté de la Russie de les priver de leur souveraineté et de restaurer son empire. Or, la coexistence d’une Ukraine indépendante et d’une Russie impériale est impossible, elles sont incompatibles »[4]
Il ne s’agit pas ici de principes de paix applicables uniquement au contexte ukrainien ; les mêmes principes s’appliquent partout. Et ils ne sont pas purement politiques, car ils nous appellent véritablement à l’ordre, au שָׁלוֹם. « Voici les paroles que vous mettrez en pratique : chacun dira la vérité à son prochain ; au tribunal vous rendrez des jugements de paix dans la vérité. » (Zacharie 8, 16). En matière de paix, les chrétiens, et les gens de bonne volonté, doivent choisir non pas entre dire la vérité ou non, mais entre la manière de la dire : avec la haine pour le menteur ou par amour de la vérité. Le manque d’amour ouvre la porte à la tromperie et au mensonge, rendant toute compréhension impossible. Cependant, ignorer la vérité empêche l’amour qui conduit au pardon de se manifester.
Les chrétiens prient beaucoup pour la paix. Ici à Lourdes en particulier, ils prient la Vierge Marie, leur Mère, qui y a appelé à prier pour la conversion des pécheurs. C’est également elle qui, à Fátima, a appelé à prier pour la conversion de la Russie
Depuis des siècles, les chrétiens, et plus particulièrement les chrétiens orientaux, se tournent vers Marie comme leur Avocate auprès de Dieu pour demander la paix. L’image de la Vierge est profondément liée à l’idée de la paix intérieure, de l’ordre intérieur, est liée à l’harmonie et à la beauté intérieure. « La paix ne saurait régner entre les hommes, si elle ne règne d’abord en chacun d’eux, c’est-à-dire si chacun n’observe en lui-même l’ordre voulu par Dieu » nous dit l’encyclique Pacem in Terris[5]. « Ton âme veut-elle vaincre les passions qui sont en elle ? », interroge saint Augustin. Et il répond : « Qu’elle se soumette à celui qui est en haut et elle vaincra ce qui est en bas. Et tu auras la paix : la vraie paix, la paix sans équivoque, la paix pleinement établie sur l’ordre.[6]
En quête du שָׁלוֹם, de l’ordre dans le monde et dans nos vies, nous nous tournons en prière vers le Seigneur, le Roi de la Paix, et demandons l’intercession de la Θεοτόκος, Notre-Dame de Lourdes.
L’Ukraine, qui, au nom du désarmement, a remis son arsenal nucléaire et reçu des garanties de sécurité de la Russie, des États-Unis et de la Grande-Bretagne, est aujourd’hui victime d’une invasion brutale de la part de l’un des garants, elle implore le rétablissement d’une paix juste.
Les peuples d’Europe de l’Est, de plus en plus conscients de la menace de la guerre, s’élèvent pour réclamer la paix.
Les peuples de la Russie aspirent à la liberté, à la vérité, à la paix, même s’il n’en prend pas encore pleinement conscience.
Les peuples de Terre sainte aspirent à un ordre juste, afin de pouvoir coexister pacifiquement sur la terre d’Abraham, d’Isaac, de Jacob.
De l’Europe de l’Est, qui gémit sous les roquettes et les drones quotidiens, au Moyen-Orient sous les bombardements, du Soudan, Congo, Yémen au Myanmar, où gangs et insurgés font rage, les peuples sont unis dans leurs supplications : donnez-nous la paix.
Des enfants dont l’enfance a été volée par la guerre ; ceux qui ont perdu leurs parents au front, qui ont vécu des années dans des abris souterrains au lieu d’aller à l’école ; ceux qui ont été déportés d’Ukraine vers les confins de la Russie : tous implorent la même chose : rendez-nous la paix.
Des réfugiés du monde entier – de Syrie, d’Afghanistan, d’Ukraine et des pays africains – ont été contraints de fuir l’absence de paix, risquant leur vie sur les flots de la Méditerranée ; leur seul souhait : le retour de la paix dans leurs pays.
Les victimes d’abus qui vivent depuis des années sous le poids d’un traumatisme spirituel et psychologique, en proie à une guerre intérieure, recherchent désespérément la guérison et la paix.
Seigneur, toi qui as accordé à l’Europe une paix durable pendant de nombreuses décennies, nous te supplions aujourd’hui, par l’intercession de Notre-Dame de Lourdes, d’allumer dans les cœurs des hommes et des nations un ardent désir de l’ordre et de l’harmonie que tu as prescrit, et de les aider à mettre en pratique l’établissement d’une paix juste et durable en Europe, au Moyen-Orient et dans le monde entier.
Merci…
[1] Pape Jean XXII, Pacem in Terris (Rome, 11 avril 1963), §1.
[2] Андрей Шептицький. Документи і матеріали 1899-1944 рр..Львів, Артос, т. 3. Пастирські послання 1939–1944 рр., 2010, с. 290.
[3] Pacem in Terris (Rome, 11 avril 1963), §37.
[4] Мирослав Маринович, Пастка добросердного пацифізму [Myroslav Marynovych, Le piège du pacifisme bienveillant]. En ligne sur https://risu.ua/pastka-dobroserdnogo-pacifizmu_n142211 du 5 septembre 2023. Notre propre traduction de l’ukrainien.
[5] Pape Jean XXII, Pacem in Terris (Rome, 11 avril 1963), §167.
[6] Augustin d’Hippone, Sermones post Maurinos reperti, Rome, 1930, p. 633.
« Un regard chrétien sur la paix en Terre sainte », méditation de Mgr William Shomali, évêque
Depuis un siècle, la terre qui a vu naître le Prince de la Paix est un théâtre de conflits. Israéliens et Palestiniens, deux peuples liés par l’histoire, la géographie et un profond amour pour le même morceau de terre, ont maintes fois déclaré leur désir de paix. Pourtant, depuis cent ans, la paix reste un mirage lointain, une promesse sans cesse brisée par la peur, la vengeance et des revendications. En tant que disciples du Christ, nous sommes appelés à être des artisans de paix, à porter notre regard sur cette lutte insoluble avec les yeux de l’Évangile. Cette espérance n’est pas un vœu pieux, mais une vision exigeante et robuste, ancrée dans le travail ardu de la justice, la puissance transformatrice du pardon et la possibilité divine de la réconciliation, le tout soutenu par une prière fervente.
Le cri séculaire pour la paix et l’échec de la force
La soif de paix dans le cœur des Israéliens et des Palestiniens ordinaires est authentique. C’est le désir d’un parent à Sderot d’élever son enfant sans la terreur des tirs de roquettes, et l’espoir d’une famille à Gaza de vivre dans la dignité, libérée du blocus et des décombres des bombardements. C’est l’aspiration d’un jeune en Cisjordanie à un avenir sans les checkpoints et l’occupation militaire, et le souhait d’un Israélien pour une sécurité si profonde qu’elle n’aurait pas besoin d’être prouvée par une force écrasante.
Pourtant, cette soif mutuelle a été systématiquement trahie par un cycle de violence. La voie de la militarisation et de la riposte n’a fait qu’enfoncer les blessures, semant les graines de la haine que chaque génération successive récolte. Nous devons l’affirmer sans équivoque : la voie de la force n’a pas apporté la sécurité ; elle n’a fait que garantir le prochain cycle de violence.
Dans ce contexte, nous devons formuler une condamnation morale claire des atrocités récentes. L’attaque menée par le Hamas le 7 octobre 2023 , le massacre délibéré de 1200 Israéliens, la brutalisation de civils et la prise de centaines d’otages représentent une violation flagrante de tous les principes du droit international et divin. De telles actions ne peuvent être justifiées.
Dans le même temps, nous devons aussi condamner le caractère disproportionné de la réponse militaire israélienne. Si un État a le droit et le devoir de défendre ses citoyens, cette défense doit s’opérer dans le cadre du droit international et de la proportionnalité morale. L’invasion et les bombardements de Gaza qui ont suivi, tuant des dizaines de milliers de Palestiniens, en très grande majorité des civils, et créant une catastrophe humanitaire, ne peuvent être justifiés comme une simple légitime défense. Cette riposte massive, qui a déplacé presque toute la population et laissé une génération traumatisée et sans abri, alimente le ressentiment et le désespoir mêmes dont se nourrit l’extrémisme. En tant que disciples du Christ, nous sommes appelés à pleurer avec ceux qui pleurent, qu’ils soient Israéliens ou Palestiniens, et à dénoncer l’injustice et la souffrance partout où elles se produisent, sans partialité.
Les récits opposés
Comprendre ce conflit, c’est comprendre qu’il s’agit d’une lutte entre deux récits puissants, captivants et mutuellement exclusifs.
Pour le peuple juif, la Terre d’Israël (Eretz Yisrael) est l’accomplissement d’une promesse divine, la patrie historique dont ils ont été exilés et vers laquelle ils sont retournés après des siècles de persécutions culminant avec la Shoah. L’État d’Israël n’est pas seulement un projet politique ; pour beaucoup, il est un témoignage de la survie juive, un havre de paix, et pour certains Juifs messianiques, même un accomplissement de la prophétie biblique. La mémoire d’avoir existé au bord de l’anéantissement fait de la sécurité la pierre angulaire non négociable de leur existence nationale.
Pour le peuple palestinien, cette même terre est la Palestine (Filastin), leur patrie ancestrale, où ils ont vécu pendant des générations. La création d’Israël en 1948 fut la Nakba—la « Catastrophe »—un moment de perte profonde, de dépossession et d’exil qui forme un élément fondateur de leur identité. Pour les chrétiens palestiniens, ce lien est doublement profond ; ils se voient comme les descendants des premières communautés chrétiennes, les gardiens fidèles des lieux saints depuis deux millénaires. De ce point de vue, Israël est souvent perçu comme un projet de colonisation, une entité construite sur une injustice systémique.
Ce ne sont pas que des positions politiques ; ce sont des identités. Un conflit insoluble comme celui-ci est défini par la perception que les objectifs de l’autre sont une menace existentielle pour les siens. Lorsque la survie même est perçue comme étant en jeu, le compromis est vu comme un suicide, et le dialogue devient impossible.
Briser cette impasse nécessite un changement radical. Il exige de passer d’un état d’esprit de « Je dois gagner » à « Comment pouvons-nous tous deux trouver une existence juste et sûre ? » Cela ne peut être réalisé par des moyens militaires, qui ne font que renforcer les craintes existentielles des deux côtés. Cela nécessite une percée morale et spirituelle.
Les conditions fondamentales pour une paix juste et durable
Pour que la paix passe du rêve à la réalité, certaines conditions fondamentales doivent être établies.
Premièrement, l’honnêteté et la bonne intention sont primordiales. Les dirigeants des deux côtés doivent véritablement vouloir la paix plus qu’ils ne veulent la terre, la victoire ou leur survie politique. Ils doivent avoir le courage de dire à leur propre peuple les dures vérités sur les compromis nécessaires à la coexistence.
Deuxièmement, il doit y avoir une reconnaissance profonde de la souffrance de l’autre et de son droit à vivre dans la dignité. Les Israéliens doivent vraiment entendre la douleur de la Nakba, l’humiliation de l’occupation et le désespoir d’un peuple privé de droits fondamentaux. Les Palestiniens doivent vraiment comprendre la terreur existentielle que la Shoah et des générations d’antisémitisme ont gravée dans l’âme juive, et les craintes sécuritaires authentiques qui guident la politique israélienne. Ils’agit de reconnaître l’humanité de l’autre.
Troisièmement, la communauté internationale a un rôle crucial et impartial à jouer. Cela inclut la mise en œuvre des résolutions de l’ONU qui ont longtemps tracé une voie claire, mais qui ont été ignorées le veto d’une superpuissance.
Enfin, l’expression la plus pratique de ces principes reste la solution à deux États. Cependant, elle ne peut être une version vidée, cosmétique. Elle doit être une solution viable basée sur les frontières de 1967, avec des échanges de territoires mutuellement convenus, une Jérusalem partagée servant de capitale pour les deux États, une résolution juste pour les réfugiés palestiniens et des garanties de sécurité pleines et entières pour Israël. Ce n’est pas une idée radicale ; c’est le cadre endossé internationalement qui reconnaît les aspirations nationales légitimes des deux peuples.
Les piliers spirituels : respect, pardon et réconciliation
Les seuls accords politiques sont fragiles. Une paix durable doit être construite sur les piliers solides d’une transformation spirituelle : le respect, le pardon et la réconciliation.
Le respect est le point de départ. C’est la décision de voir l’autre non comme un démon ou une abstraction, mais comme un être humain créé à l’image de Dieu, avec un droit inhérent à la vie, à la liberté et à l’autodétermination.
Le pardon est la contribution la plus radicale et distinctement chrétienne à ce processus. Ce n’est pas oublier les torts commis, ni un déni de justice. C’est plutôt la décision consciente et volontaire de renoncer au droit à la vengeance. C’est le refus de laisser le passé empoisonner à jamais l’avenir. Le pardon brise le cycle sans fin de la riposte. Comme le Christ a prié pour ses bourreaux : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font », nous sommes appelés à la tâche surhumaine de pardonner à nos ennemis. Ce n’est pas une œuvre seulement humaine ; c’est une grâce divine qui doit être ardemment recherchée.
La réconciliation est le but ultime et la restauration de la relation. C’est le parcours qui mène d’anciens ennemis à devenir voisins, et peut-être un jour, même partenaires. Cela ne signifie pas une amitié superficielle, mais un engagement mutuel envers un bien commun où le bien-être de l’un est compris comme étant lié au bien-être de l’autre.
La preuve que la paix est possible : les leçons de l’Histoire
Le scepticisme est compréhensible, mais l’histoire nous offre de puissants exemples montrant que même les ennemis les plus acharnés peuvent choisir une voie différente.
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- La réconciliation franco-allemande : après deux guerres mondiales qui ont laissé des millions de morts et un héritage de haine profonde, la France et l’Allemagne ont choisi la réconciliation. Ce fut un acte visionnaire qui a jeté les bases de l’Union européenne, transformant un continent de guerre en un continent de paix.
- La fin de l’Apartheid en Afrique du Sud : le système de l’apartheid était un régime brutal de racisme sanctionné par l’État. Son démantèlement pacifique n’était pas inévitable ; beaucoup prédisaient une guerre raciale sanglante. Pourtant, grâce au leadership de Nelson Mandela, sorti de 27 ans de prison en prêchant la réconciliation, et de F.W. de Klerk, qui eut le courage de négocier la sortie de pouvoir de son propre gouvernement, un miracle s’est produit.
- L’accord du Vendredi Saint en Irlande du Nord : pendant des décennies, le conflit en Irlande du Nord entre catholiques et protestants semblait insoluble, une impasse sanglante de bombes et de représailles. L’Accord du Vendredi Saint de 1998 a prouvé qu’avec une diplomatie persistante, l’inclusion de toutes les parties (même les anciens militants) et le soutien de la communauté internationale, un arrangement de partage du pouvoir pouvait mettre fin à la violence.
- La paix entre l’Égypte, la Jordanie et Israël : aux frontières mêmes de la Terre Sainte, Israël a conclu des traités de paix durables avec l’Égypte et la Jordanie. Ces accords, bien que souvent décrits comme une « paix froide », ont tenu pendant des décennies. Mais pour atteindre ce but, deux leaders politiques furent sacrifiés : Sadat et Rabine.
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Ces exemples montrent que la paix entre les ennemis est possible.
Les ennemis de la paix et la puissance unificatrice de la prière
Le chemin vers la paix est semé d’obstacles redoutables. Nous devons les nommer pour les surmonter.
- Obstacles internes et spirituels : Les ennemis premiers sont :
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- L’orgueil : le refus d’admettre ses torts;
- La haine et le ressentiment qui réclament vengeance ;
- L’indifférence, un cœur fermé à la souffrance de ceux de l’autre côté du mur.
- Les préjugés qui alimentent la méfiance mutuelle ;
- Un manque d’éducation à la paix qui n’enseigne pas le dialogue et la résolution non violente des conflits ;
- La manipulation de l’opinion publique par les médias et une rhétorique haineuse qui diabolise l’autre.
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- Obstacles politiques et géopolitiques : de puissants intérêts économiques et stratégiques prospèrent souvent du commerce des armes.
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- La prolifération des armes fait de la violence un but.
- Enfin, l’exploitation de l’identité religieuse est un obstacle particulièrement pernicieux. Lorsque Dieu est enrôlé comme un partisan dans le conflit, la lutte devient une guerre sainte, faisant paraître le compromis comme une hérésie. La religion, qui devrait être une source de compassion et de clarté morale, devient une arme pour durcir les idéologies et justifier l’atrocité. Le conflit, dans son essence, est national et politique, mais avec un arrière-fonds religieux.
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Face à ces défis redoutables, le rôle de la prière est crucial. La prière est un engagement actif dans le combat spirituel contre la haine et le désespoir.
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- Nous prions d’abord pour que la sagesse illumine les dirigeants politiques.
- Nous prions pour l’intervention divine—pour adoucir les cœurs endurcis, pour ouvrir les yeux aveuglés par l’idéologie et pour créer des opportunités de dialogue là où il n’en semble exister aucune.
- Nous prions pour les victimes, les traumatisés, les endeuillés et les otages.
- Nous prions pour les artisans de paix sur le terrain, Israéliens et Palestiniens, qui risquent leur sécurité et leur réputation pour construire des ponts. Il en existe dans les deux camps.
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De plus, il est impératif que les chrétiens du monde entier unifient leur position. Aujourd’hui, les chrétiens en politique sont tragiquement polarisés, certains soutenant sans critique la politique israélienne sous la bannière du sionisme chrétien, et d’autres soutenant la cause palestinienne au point de justifier la violence. Cette division est un scandale qui affaiblit notre témoignage. Nous devons trouver une voix unifiée qui défende constamment la valeur de toute vie humaine, israélienne et palestinienne ; qui condamne l’injustice et la violence de toute part ; et qui proclame l’Évangile de la paix comme la seule alternative véritablement porteuse d’espérance. Cette unité doit se refléter dans notre engagement commun pour une paix juste pour tous les enfants d’Abraham en Terre Sainte.
Conclusion
La voie vers la paix en Terre Sainte est étroite et escarpée, jonchée de tentatives avortées. Elle coûtera beaucoup aux deux parties. Elle exigera des Israéliens qu’ils risquent leur sécurité concrète pour une paix qui est, par nature, incertaine. Elle exigera des Palestiniens qu’ils renoncent au rêve d’une rapatriement total et qu’ils acceptent un État qui est moins que l’intégralité de leur patrie historique.
Mais le coût d’un conflit continu est immensément plus élevé—plus d’enfants morts, plus de familles brisées, plus d’âmes rongées par la haine. La voie de la Croix nous enseigne que la rédemption vient souvent par le sacrifice. Le sacrifice exigé aujourd’hui n’est pas de sang, mais d’orgueil, de récit historique, de l’idolâtrie de la terre et de la sécurité au détriment du commandement d’aimer notre prochain.
Notre défi est de regarder vers l’avant, inspirés par les exemples de l’Afrique du Sud, de l’Irlande du Nord et de l’Europe, et de travailler pour l’avenir promis où la réconciliation est achevée. C’est précisément dans cette terre, où notre Seigneur a marché, est mort et est ressuscité, que son message d’amour radical et de réconciliation est le plus désespérément nécessaire et le plus puissamment mis à l’épreuve.
Prions pour qu’un jour, du fleuve jusqu’à la mer, ce ne soit plus un cri de guerre que l’on entende, mais le chant de la réconciliation. Que la paix de Dieu, qui dépasse toute intelligence, garde les cœurs et les pensées de tous ceux qui appellent la Terre Sainte leur foyer.
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