Homélie du dimanche 30 mai 2021

Dimanche 30 mai 2021
La Sainte Trinité

On peut fêter la mémoire d’un saint au jour où il est définitivement né à la vie trinitaire dans l’éternité de Dieu, après les cheminements chaotiques de toute vie humaine. On peut fêter l’annonce faite à Marie, la naissance de l’enfant de Bethléem et tous les mystères de l’Incarnation et de la vie du Fils de Dieu fait homme. Par ses actes et ses paroles, par cette totale  participation divine à la vie humaine, il nous entraîne jusqu’à la divinisation, participation plénière à l’héritage de Dieu « avec le Christ… pour être avec Lui dans la gloire. » (Romains 8. 17)

AU CŒUR DU MYSTERE DE DIEU.
Mais la Trinité ne se fête pas comme un mystère de cette alliance humano-divine. Le mystère trinitaire est le mystère même de Dieu dans l’infini de tout son être, le tout de toute vie, de toute la vie. C’est pourquoi la liturgie, et surtout orientale, n’est qu’un hymne ininterrompu à la louange de la Sainte Trinité, tous les jours et à toute heure de la liturgie du « temps présent ».
Par le baptême « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit », nous sommes associés aux Trois Personnes Divines, et chaque Eucharistie exprime notre relation avec chacune d’elles. Nous prions le Père par le Fils à qui nous sommes unis dans l’Esprit-Saint qui nous fait s’écrier : « Abba ! Père ! » (Romains 8. 15) « Par Lui, avec Lui et en Lui, à Toi Dieu le Père Tout-Puissant, dans l’Unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire. »

L’EVOLUTION LITURGIQUE
Les Divines Liturgies de saint Basile comme de saint Jean Chrysostome, dans les Eglises orientales, catholiques et orthodoxes, ne connaissent pas cette « fête » particulière. Il en fut de même pendant des siècles en Occident. L’Eglise n’éprouvait pas le besoin de lui consacrer un dimanche, puisque chaque dimanche et chaque liturgie sont trinitaires. Bien plus, dans l’antique rite romain, le dimanche qui suivait la grande nuit baptismale de la Pentecôte ne connaissait aucune liturgie particulière . L’on disait «  Dominica vacat » Un dimanche vacant …
Il fallut 8 siècles pour que l’on commence à voir apparaître, à Rome seulement et dans les calendriers romains, un octave de la Pentecôte, à l’instar du dimanche « in albis » de l’octave pascal. D’ailleurs, aux origines de cette liturgie propre au diocèse de Rome, l’évangile était celui du colloque du Seigneur avec Nicodème en Jean 3. 1 à 16, où il est question de l’efficacité de l’action de l’Esprit-Saint dans la régénération baptismale.
Au 9ème siècle, nous voyons se créer une messe « votive » axée sur les conséquences de notre participation au mystère trinitaire, dans notre vie quotidienne,
La lecture de l’évangile, qui était alors tirée de saint Luc, chapitre 6, de 36 à 42, voulait nous mettre à la suite du Père et du Fils « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux … Le disciple n’est pas au-dessus du maître. »

UNE CONFESSION, NON PAS UNE DEVOTION
Pour des raisons qui lui sont propres, et par son insistance sur le mystère de l’Incarnation, l’Occident n’était pas porté « naturellement » à la louange trinitaire en tant que telle. Au 10ème siècle, on sentit le besoin de promouvoir une solennité spéciale en l’honneur de ce mystère. L’on vit alors certains diocèses introduire une fête de la Sainte Trinité comme pour marquer le début du cycle des dimanches de l’année « après la Pentecôte » au moment où se clôt le temps pascal. Les passages tirés de l’évangile de saint Jean et de saint Luc ne s’imposèrent plus et, trois siècles plus tard, devant l’extension de cette liturgie, le pape Jean XXII instaura, en 1334, une fête nouvelle en l’étendant seulement à tout le rite romain latin.
Cette fête ne s’est pas établie par simple dévotion. Elle a voulu la confession annuelle et solennelle, humble et reconnaissante, du plus grand de tous les dogmes, du mystère central de la foi chrétienne.
Elle voulait nous rappeler cette dignité, cette perfection possible qui est la nôtre. Même vécue imparfaitement dans le quotidien de nos doutes, de nos faiblesses, de notre offrande, de notre foi, chacune de nos vies est habitée par la Vérité divine. Nous en avons déjà la possession intégrale. Cela, nous l’oublions trop souvent. Ou bien, nous n’en tenons pas toujours compte.
Aujourd’hui cette liturgie est loin d’être inutile. Au nom d’un dialogue inter-religieux, nous risquons de ne plus affirmer aussi clairement le dialogue de Dieu en sa Trinité. « Le Seigneur est Dieu là-haut dans le ciel, comme ici-bas sur la terre, et il n’y en a pas d’autre. » (Deutéronome 4. 35) Il n’y en a pas d’autre que Dieu en sa Trinité. « De toutes les nations, faîtes des disciples, baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés. » (Mat. 28. 19)
En affirmant cela, le chrétien n’est pas moins monothéiste qu’un autre croyant en Dieu Unique. Le mystère trinitaire n’est pas une forme déguisée d’un polythéisme de fait. Trois Dieux ? Non ! Le Père ne disparaît pas de notre horizon. L’Esprit-Saint n’est pas le prête-nom d’une absence psychologique intérieure. Le Fils n’est pas le seul à garder le privilège divin, au point d’en oublier Dieu qui est Père et Esprit.
Le Christ nous a affirmé cette unité de Dieu par cette conjonction : « Le Père ET le Fils ET le Saint-Esprit. » Ce n’est pas une curiosité stylistique. Ce qui est désigné et nommé ainsi, c’est un rapport tout particulier entre les personnes divines.

PAR DELA NOS PAROLES HUMAINES.
Les mots humains ne pourront jamais dire et exprimer l’Etre Unique en Trois Personnes. A travers tout l’Evangile et au travers la prédication des apôtres, nous en découvrons l’unique réalité qui peut s’énoncer en trois propositions :
L’Esprit-Saint ne parle pas de Lui. Il est écoute et perception du Fils. Il est celui qui dit Dieu comme le Christ nous l’a dit. Quant au Fils, il ne parle pas de lui-même. Il parle de son Père et de l’amour qui les unit. Il est l’envoyé du Père pour qu’à notre tour, sauvés par Lui, nous puissions dire avec confiance : « Notre Père qui es aux cieux. » Et c’est ainsi qu’il est accueil et médiateur du Père. Enfin le Père se livre au Fils de telle sorte que tout ce que possède le Père, il le remet au Fils pour le constituer en son être de Fils. Il est don.
« La vie éternelle, c’est qu’ils Te connaissent, Toi le seul véritable Dieu et ton envoyé Jésus-Christ. » (Jean 17. 3) « L’Esprit de vérité ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu’il entendra, il le dira. Il me glorifiera, car c’est de mon bien qu’il prendra pour vous en faire part. Tout ce qu’a le Père est à moi. Voilà pourquoi je vous dis : C’est de mon bien qu’il prendra. » (Jean 16. 13 à 15)
Chacune des Trois Personnes se réfère ainsi à l’autre. Elle n’est « existant » que dans les deux autres. C’est dans ce mystère de communion, ce « va-et-vient » d’un amour qui s’épanche et partage, que réside la vie de la plus haute unité qui soit, celle de Dieu.

QUE TRANSCRIRE DANS NOS VIES ?
Quelles qu’elles soient, à quel que moment qu’elles aient été prononcées durant sa vie, les paroles du Christ ne nous éloignent jamais de cette vie trinitaire. Elles nous donnent de la rejoindre et même la rejoignent.
La réalité fondamentale de notre vie comme de toute vie, ce n’est pas la fixité, la rigidité d’une chose, d’une habitude, d’une attitude. Elle est mouvement vital de notre cœur et de notre esprit qui se met en route vers nos frères tout autant que vers Dieu. La parole de saint Thomas d’Aquin est d’une portée incommensurable quand il dit : « Vita in motu. La vie est dans le mouvement. »
Quand on cherche ainsi à rapprocher le mystère trinitaire de Dieu des réalités humaines qui sont les nôtres, quand on cherche à fonder l’unité de notre personne humaine sur les relations à autrui, ce n’est pas du sentimentalisme ou de l’affectivité. Le mouvement, l’échange, sont un besoin inné, fondamental de tout notre être.
C’est rejoindre la nature divine dont nous sommes à l’image et à la ressemblance. Lorsque nous nous tournons vers nos frères, ce n’est donc pas un simple instinct d’humanité, c’est l’expression de notre être profond créé par Dieu, en fonction de ce mystère qui constitue l’unité de Dieu. Et nous ne pouvons jamais être en dehors de cette réalité. « C’est l’Esprit-Saint lui-même qui affirme à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. » (Romains 8. 16)

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Même si nous percevons la démesure de notre prière et de notre foi, nous osons la dire et lui répéter inlassablement : « Notre Père ! » – « Dieu notre Père, nous fait dire l’oraison de ce jour, tu as envoyé dans le monde ta Parole de Vérité et ton Esprit de Sainteté pour révéler aux hommes ton admirable mystère. Donne-nous de professer la vraie foi en reconnaissant la gloire de l’éternelle Trinité, en adorant son Unité toute-puissante. »

année liturgique B