« L’Ukraine vaincra », le message de l’archevêque de Kiev

découvrez l'interview de sa Béatitude Shevchuk

Mgr Sviatoslav Shevchuk, Primat de l’Église gréco-catholique, 54 ans, est venu en France, accompagné d’une délégation pour une visite officielle d’une dizaine de jours durant laquelle il a rencontré les représentants officiels de la République et les représentants de l’Église en France. Il s’agissait de sa première visite à la Conférence des évêques de France (CEF) à Paris ainsi qu’à l’Assemblée plénière des évêques (5-10 novembre 2024) à Lourdes. L’objectif ? Soutenir et renforcer les liens entre l’Église en France et l’Église. Interview.

Quelle est la raison de votre venue officielle en France ?

Je remercie Dieu de pouvoir répondre à la visite de courtoisie de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, Président de la Conférence des évêques de France (CEF) et du P. Hugues de Woillemont, Secrétaire général, qui s’étaient rendus en Ukraine en septembre 2022, après le départ des forces russes, dans les environs de Kyiv. Ils ont vu les blessures du peuple ukrainien. En partant, je leur ai dit de témoigner en France de ce qu’ils avaient vu et entendu. À Paris, lors de ma rencontre avec le Président de la République, M. Emmanuel Macron m’a demandé pourquoi l’Ukraine continuait de combattre. « Pourquoi résistez-vous ? Quel est le secret de la résilience, du courage et de l’indomptabilité des Ukrainiens ? ». J’ai répondu de la part de la jeunesse ukrainienne, car c’est sur leurs épaules que repose le poids de la guerre. Il y a des valeurs sans lesquelles la vie n’a pas de sens comme la dignité humaine et la liberté. Ils se battent parce qu’ils n’ont pas envie de revenir à une Union soviétique restaurée. J’ai aussi rencontré le Ministre de l’Intérieur, M. Bruno Retailleau, pour évoquer le sort des réfugiés ukrainiens en France.

découvrez la visite de Mgr Shevchuk au Ministère de l'Intérieur

Des milliers d’Ukrainiens, majoritairement des femmes et des enfants ont fui le pays. La France accueille 118 000 réfugiés ukrainiens…

Depuis le début de la guerre, le nombre d’Ukrainiens sur le sol français a doublé. La France a accueilli chaleureusement les réfugiés. L’Église tâche d’être une « bonne mère » en favorisant l’intégration et travaille au bien-être des nouveaux arrivants. Pour nous, la légalité et le respect de l’humain sont très importants, car ils protègent de la criminalité, en particulier du trafic d’êtres humains dont les réfugiés peuvent être victimes.

Au sein même des frontières, les déplacés internes sont encore nombreux. Comment l’Église fait-elle face au défi humanitaire ?

Grâce à la solidarité, nous avons gagné sur le front humanitaire. Au bout de presque 1000 jours de guerre en Ukraine, personne n’est mort de faim ni de froid. La Russie détruit systématiquement les infrastructures énergétiques. Chaque hiver, les Russes tentent de faire mourir de froid les Ukrainiens. Dieu merci, il existe en France des associations comme l’Œuvre d’Orient qui sauvent des vies. Je ressens une grande solidarité de la part des catholiques de France. L’indifférence tue, mais l’empathie sauve des vies. L’Ukraine est fatiguée, mais pas vaincue. L’Ukraine est blessée, mais résiliente ! Elle se bat. L’Ukraine vaincra !

En Ukraine, quels sont les liens avec les fidèles à l’intérieur des territoires occupés ?

Notre Église est malheureusement interdite dans les régions sous occupation. Il ne reste plus un seul catholique ! À Donetsk, la cathédrale gréco-catholique a été fermée par les autorités. Les fidèles ont immédiatement réagi en comparant cette fermeture à l’apposition des scellés au tombeau du Christ par les Romains. Mais le Christ va briser les scellés et nous ouvrirons les portes de notre Église. Les prêtres, en dehors des territoires occupés, essayent de garder le contact avec les fidèles restés sur place pour les encourager à organiser clandestinement — comme à l’époque soviétique — des réunions de prière.

Et avec les fidèles de la diaspora ?

La situation est différente, car notre Église existe partout où il y a des Ukrainiens. Nous essayons d’envoyer nos prêtres en mission auprès des Ukrainiens qui partent en Europe. En septembre 2024, j’ai passé un mois à visiter les communautés en Pologne, en Allemagne, en Suède, en Turquie, en Italie et aujourd’hui en France. Des milliers de personnes sont venues participer à ces rencontres. À Stockholm, j’étais debout pendant plus de trois heures pour bénir les fidèles. Ces personnes sont blessées, elles ont besoin d’être entourées par leur Église. Le chef de l’Église devient alors la courroie de transmission pour les réunir.

La Russie instrumentalise aujourd’hui la religion pour la transformer en arme

Le Parlement ukrainien (le Verkhovna Rada) a voté en août 2024 une loi « sur la protection de l’ordre constitutionnel dans le domaine des activités des organisations religieuses » pour contrer l’influence du Patriarcat de Moscou en Ukraine. Qu’en pensez-vous ?

L’État ukrainien a le devoir de protéger les organisations religieuses contre l’agresseur russe. Dans le milieu confessionnel, un dialogue s’est opéré entre les autorités gouvernementales ukrainiennes et le Conseil des églises composé d’organisations catholiques, orthodoxes, protestantes, juives et musulmanes. Nous avons formulé les quatre principes suivants :

  1. L’État ukrainien est un état laïc. Mais il ne doit pas y avoir de séparation entre l’État et les organisations religieuses. Au contraire, une coopération doit s’effectuer pour le plus grand bien des citoyens.
  2. Toutes les organisations, grandes ou petites, ont les mêmes obligations vis-à-vis de l’État. Nous sommes tous divers et tous égaux. Cela suppose qu’il n’y a pas de religion d’État ou d’églises interdites.
  3. Les Églises ne doivent pas interférer dans les affaires de l’État et celui-ci ne doit pas interférer dans les affaires de l’Église.
  4. Toutes les religions sont égales vis-à-vis de l’État lorsqu’il s’agit de la sécurité du pays. La Russie instrumentalise aujourd’hui la religion pour la transformer en arme. Le Patriarche Kirill, chef de l’Église orthodoxe russe a proclamé la guerre contre l’Ukraine et prétend qu’au nom de cette guerre sainte, on peut tuer. C’est un phénomène de déshumanisation. Il promet que celui qui va tuer des Ukrainiens en guerroyant sur le front obtiendra le pardon de tous ses pêchés. Imaginez-vous ce que doit penser un Ukrainien de l’Église orthodoxe du Patriarcat de Moscou qui entend les paroles de ce chef !

Comprenez-vous la position du Pape de rester neutre dans ce conflit. Avez-vous des discussions à ce sujet avec le Vatican ?

Les Ukrainiens ne comprennent pas que le Pape ne prenne pas position plus clairement. Ils aimeraient que le Vatican soutienne l’Ukraine avec force, comme le fait la France ! Comment peut-on être neutre quand on tue des innocents ? Cela fait 1000 jours que je tente de répondre à cette question.

Nous distinguons deux formes de neutralité : la neutralité diplomatique et la neutralité morale. En ce qui concerne le Vatican, la neutralité est diplomatique mais en aucun cas morale. Cela permet au Saint-Père de garder des contacts aussi bien avec l’Ukraine qu’avec la Russie. Cela donne des capacités et des possibilités extrêmement importantes de sauver des vies. Après chaque visite, je transmets au Pape des listes de prisonniers. Si le Vatican garde cette neutralité diplomatique, du point de vue moral, le Pape est du côté de la victime innocente. Dernièrement, sa déclaration a été très forte : « Que cessent les attaques aériennes contre la population civile, qui est toujours la plus frappée. Cela suffit de tuer des innocents ! ». L’Église catholique apporte son soutien et son aide au peuple ukrainien dans sa souffrance.

le pape reçoit les reponsables religieux grec-catholiques, en 2019Pouvez-vous nous partager l’Espérance que vous portez pour l’Ukraine ? et pour l’Église gréco-catholique ?

Je vais m’appuyer sur un cas concret. Après trois jours de guerre, la ville était encerclée par les troupes russes. Le front s’est arrêté à 20 kilomètres de chez moi. L’organisation d’autodéfense de notre quartier a réussi à refouler les groupes qui attaquaient notre cathédrale. L’un des garçons de cet organisme d’autodéfense m’a appelé pour me dire : « L’Ukraine va vaincre ».

Les Russes ont un comportement d’une grande sauvagerie vis-à-vis des personnes des territoires occupés. Il y a beaucoup de haine en Ukraine. Nous ne pouvons pas nous permettre qu’elle occupe nos cœurs. La capacité à pardonner et à aimer sa patrie doit être plus fort. Celui qui est dominé par sa propre haine, ses forces flétrissent très vite. La haine assèche et prive du sang vital le cœur des hommes. Car Confucius disait : « si tu hais ton ennemi, ton ennemi a déjà emporté la victoire dans ton cœur. »  Grâce à notre esprit et à notre volonté, nous devons changer la haine en courage. L’action du Saint-Esprit transforme le courage humain en Espérance. Ce front spirituel en Ukraine est important, voire décisif.

L’Église gréco-catholique en quelques chiffres

Population : 44 983 019 habitants (incluant la Crimée)/ 42 153 201 (sans la Crimée)

Nombre de chrétiens : 99% de la population

Nombre de catholiques 8% soit 4 millions d’habitants

Nombre de gréco-catholiques 7% soit 3,5 millions de pratiquants

Nombre de communautés gréco-catholiques : 3438 communautés actives, dont 48 qui étaient en cours d’enregistrement en 2021

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