« Le christianisme comme bouleversement de la réalité du mariage » par Mgr de Moulins-Beaufort
Réflexion sur l’institution du mariage par Mgr Eric de Moulins-Beaufort, évêque auxiliaire de Paris, alors que se tient le Synode des évêques sur la famille (Rome, 4-25 octobre 2015).
La fonction de l’institution matrimoniale, là où elle existe, a été historiquement d’assurer à un homme que les enfants qu’on lui donne à élever sont les siens, ou, là où les enfants sont élevés par le frère de leur mère, sont bien ceux dont il est légitime qu’il s’occupe. La situation est inégale, en effet : jusqu’à la récente mise au point du test ADN, seule la parole de la femme garantissait à un homme que les enfants qu’on lui demandait d’élever et pour lesquels il travaillait, auxquels il imaginait laisser ses biens, étaient vraiment les siens ou ceux que sa sœur avait conçus dans des conditions susceptibles de lui convenir.
Ce privilège des femmes a une conséquence : dans l’institution matrimoniale, il y a place pour la méfiance et une certaine violence. Car, pour un homme, être assuré que ses enfants sont bien les siens est une nécessité : avoir des enfants est la meilleure manière de se survivre.
Le message du Christ vient bouleverser ce fonctionnement spontané. Les chrétiens, à partir du moment où ils font confiance à la parole du Christ, n’ont plus à se soucier de leur survie. Ils savent ne pas être réduits à se prolonger dans la mémoire de leurs enfants ; ils se savent promis à vivre vraiment – chacun en son irréductibilité à tout autre – pour toujours. La proclamation de l’Evangile libère les hommes et les femmes du problème de leur propre survie. Elle vient heurter « à la verticale » l’institution matrimoniale.
Dans ce choc apparaît une autre possibilité de l’institution matrimoniale : Jésus lui-même ose présenter la différence des sexes comme rendant possible une rencontre qui n’a pas à s’achever : « Que l’homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni ! » (Mt 19, 4-6). Dans le mariage, les chrétiens se tenant au niveau de leur foi ne visent pas d’avoir des enfants pour se survivre et surmonter l’angoisse de la mort. Puisque tous sont promis à vivre pour toujours en Dieu, chaque être humain vaut la peine qu’une femme ou un homme consacre sa vie à le rencontrer ou à la rencontrer jusqu’au bout, puisque ce « jusqu’au bout » aboutit à la plénitude de la vie, dans la Vie éternelle.
Ce bouleversement n’aura jamais fini de pénétrer l’institution et sa compréhension culturelle. Le sacrement progressivement défini par l’Église a dû se couler dans les formes de l’institution matrimoniale qu’il a trouvées pour y déployer ses effets. Il les a progressivement transformées. En un sens, ce n’est qu’au XXe siècle que l’institution matrimoniale est culturellement conçue comme la rencontre d’un homme et d’une femme. Mais la tension est de toujours à toujours, entre les capacités et les besoins de la société et la perception dont les croyants tâchent de vivre et la compréhension que l’Église acquiert du don de Dieu ; au fil des siècles, elle produit des remaniements dans l’institution ou dans la manière de la mettre en œuvre. Croyons que ce travail se poursuit : les sociétés humaines sont loin d’avoir fini d’absorber la nouveauté chrétienne !