« Les évêques africains au synode » par Mgr Feillet
Réflexion de Mgr Bruno Feillet, évêque auxiliaire de Reims, sur la contribution des évêques africains au Synode des évêques sur la famille (Rome, 4-25 octobre 2015).
Peu de temps avant l’ouverture du synode, le symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar a rendu publique sa contribution intitulée : « L’avenir de la famille, notre mission ».
Reprenant l’ordre de l’Instrumentum laboris, les évêques d’Afrique et de Madagascar nous font part de leurs réflexions. Certaines sont communes avec celles des évêques de France, d’autres leur sont propres. Ils méritent que nous les écoutions et que nous portions aussi dans nos prières leurs espérances sur la famille et les soucis qu’elle rencontre.
En premier lieu, ils sont heureux de nous partager la richesse des traditions auxquelles « les peuples africains accordent une grande importance ». La famille demeure la première cellule de la société et de l’Eglise. Sur le continent africain et à Madagascar, la famille ne se réduit pas au père, à la mère et aux enfants. Elle se comprend au sens large avec des liens culturels et de solidarité.
Mais il est clair, lorsqu’on lit le document de synthèse, que la famille aujourd’hui souffre petit-à-petit des mêmes maux qu’en occident. Ainsi, sa réduction au format nucléaire que l’on connaît en occident (parents et enfants) fait que ces familles sont plus isolées. Elles ont plus de mal à évoluer vers le mariage et lorsqu’elles vivent le mariage, elles ont plus de mal à s’y maintenir. Avec les difficultés économiques et ou de sécurité que connaissent nombre de régions d’Afrique ou de Madagascar, on comprend combien les familles africaines se fragilisent.
Les évêques regrettent ce qui faisait une des grandes richesses des traditions familiales africaines, le soin apporté aux personnes âgées. L’urbanisation avec des logements plus petits, l’individualisme et l’hédonisme qui arrivent de l’occident conduisent parfois à l’abandon des aînés, éventuellement « sous l’accusation de sorcellerie » alors qu’autrefois ils étaient si considérés et « entourés d’une vénération particulière ».
J’ai beaucoup aimé le N° 11 que je cite intégralement : « Le presbyterium manque parfois d’être pour ces communautés le reflet de la lumière d’amour et de communion dont elles ont besoin pour vivre leur foi ». Les évêques africains pensent que le mode de vie des prêtres pourrait être source d’un véritable encouragement pour les familles. Leur remarque laisse entendre qu’entre prêtres il pourrait y avoir un esprit de famille qu’ils regrettent de ne pas voir aussi souvent qu’ils le souhaiteraient. Je trouve que c’est une bonne question pour nous en occident. Notre manière de vivre entre prêtres relève-t-il de la vie de famille ?
D’autres remarques enfin m’ont paru tout-à-fait spécifiques au continent africain.
En ce qui concerne le veuvage, les évêques se plaignent de certaines limites des traditions africaines qu’ils aimeraient faire bouger. Ainsi dans certaines cultures, les veuves subissent des vexations, voire des violences ou sont encore parfois obligées de se remarier avec un frère du défunt.
Les personnes handicapées sont souvent rejetées des familles et de la communauté. « Livrées à elles-mêmes, elles passent le clair de leur temps à mendier aux carrefours des villes ».
Pour la polygamie, on connait la difficulté du polygame qui se convertit à la foi chrétienne et qui doit, s’il veut vivre pleinement sa foi, choisir une épouse parmi ses femmes. On devine les questions de justice et d’éducation des enfants. Les évêques notent que « les polygames qui participent à la vie ecclésiale n’attendent pas, de manière habituelle, de l’Eglise de les accepter aux sacrements avec leur statut matrimonial ». Il y a un rapport pacifié, d’une certaine manière, entre mode de vie et accès à tous les sacrements de l’Eglise. Peut-être que l’occident aurait à apprendre de cette sagesse pour d’autres questions.
Enfin, les évêques valorisent le mariage par étape. Mais non pas pour dire, comme on a pu l’entendre en occident, que l’on pourrait commencer une vie conjugale et, petit-à-petit, avancer vers le sacrement du mariage, comme une « confirmation » de cette vie maritale. Il s’agit plutôt de développer une meilleure préparation au mariage, à travers quelques rites initiatiques, avant la mise en couple et de mieux articuler le mariage coutumier et le mariage religieux catholique. Les familles devraient être associées de manière plus étroite à la préparation au mariage de leurs enfants. L’occident a su faire ce genre de travail entre tradition germanique de la consommation et tradition latine du consentement. Pourquoi l’Afrique n’arriverait-elle pas à construire une synthèse entre mariage coutumier et mariage sacramentelle ? C’est une vraie bonne question.
Le document de nos frères africains est évidemment beaucoup plus riche que ces quelques notes. Il faut espérer que leurs questions seront entendues non seulement au synode mais aussi chez nous car elles pourraient revitaliser quelques approches de la vie de famille que nous aurions pu oublier.
Mgr Bruno Feillet
Evêque auxiliaire de Reims