Le voyage apostolique du pape Benoît XVI au Bénin avait un triple objectif : remettre l’
exhortation apostolique, fêter le 150ème anniversaire de l’évangélisation du Bénin et rendre hommage au
cardinal Gantin. Analyse du P. Pierre-Yves Pecqueux, Directeur du Service national de la Mission universelle de l’Eglise.
Que retenez-vous du voyage de Benoît XVI au Bénin ?
Ce qui me paraît marquant, c’est le climat de fête et la diversité des groupes rencontrés, ce qui lui a permis de cibler les problèmes de paix, de justice et de
réconciliation. Auprès des gouvernants, le pape Benoît XVI a insisté sur la responsabilité des hommes politiques et la bonne gouvernance des pays, essentielles pour l’avenir de l’Afrique. Aux évêques, il a rappelé le témoignage qu’ils doivent donner. Il a invité les enfants à devenir instruments de
réconciliation. Aux religieux et religieuses, il a demandé d’être d’authentiques témoins dans le monde d’aujourd’hui. Il a aussi dit aux chefs coutumiers qu’ils avaient quelque chose à apporter à la modernité mais aussi à recevoir d’elle. Il insiste aussi sur l’importance du
dialogue interreligieux. Ce qui m’a touché aussi, c’est l’hommage au
cardinal Bernardin Gantin (1922-2008) que Benoît XVI présente comme son frère dans l’épiscopat et avec qui il a travaillé de longues années.
Quelle analyse faites-vous de « Africae Munus » ?
Ce texte se situe dans la continuité d’« Ecclesia in Africa » (1995). Il fait preuve d’une grande fidélité aux propositions des Pères synodaux. Les 57 propositions sont prises en compte avec beaucoup de sérieux. Benoît XVI respecte vraiment la démarche synodale. Quand je vois tous les synodes qu’il y a eu, je me dis qu’il y a progressivement un nouveau type de réflexion et de gouvernement qui se met en place dans l’Eglise. Le Pape inscrit la mission Ad Gentes dans la dynamique de la Nouvelle Evangélisation. L’
exhortation apostolique est d’un style classique – il cite son prédécesseur, les synodes précédents – mais en même temps, il approfondit beaucoup la dynamique de la
réconciliation, plus d’ailleurs que la justice et la paix. Ce qui est frappant aussi, c’est l’hommage rendu aux catéchistes dont la place est prépondérante dans l’Eglise africaine – leurs familles doivent être des modèles – et à l’ensemble des
laïcs – ils ont à s’engager dans l’avenir de l’Afrique, y compris au plan social et politique, d’où l’importance d’un autre élément qui traverse « Africae Munus », c’est son renvoi à la Doctrine sociale de l’Eglise, à connaître davantage et à vivre. Cela impacte la formation, initiale et permanente, et l’accompagnement pastoral en général. Un certain nombre de centres de formation existe en Afrique, comme l’Institut de la famille à Cotonou (Bénin) ou l’Institut Jean-Paul II à Ouagadougou (Burkina Faso). Ce que le Pape veut montrer, c’est que la Doctrine sociale de l’Eglise n’est pas un accessoire. Si l’Afrique veut se développer et avoir un avenir qui respecte l’Homme, la Doctrine sociale de l’Eglise est une clé à ne pas négliger.
Il y a aussi des éléments intéressants, comme le long développement sur le diaconat permanent, qui existe peu en Afrique. C’est d’ailleurs la reprise de l’une des propositions du Synode. Il y a toute une insistance sur la famille à travers le diaconat permanent, les catéchistes et les laïcs en général. Il insiste sur la situation des migrants, des déplacés, des réfugiés et la précarité dans laquelle sont toutes ces personnes. Elles passent d’un pays à l’autre, prennent le risque de traverser la Méditerranée ou l’Atlantique avec le nombre d’accidents que l’on sait. Il invite à s’engager toujours davantage dans le développement et à mettre en place la pastorale qui l’accompagne. De la même façon, il invite à lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants. Il redit que les femmes ont un rôle très important pour l’avenir de l’Afrique. On peut noter aussi un encouragement aux Communautés ecclésiales vivantes (CEV) qui doivent être un lieu où l’on pratique la Lectio Divina et où l’on met en oeuvre la charité, la réconciliation, la justice et la paix.
Que va devenir ce texte ?
Le Pape renvoie à chaque conférence épiscopale le soin de travailler ce texte pour en dégager les applications concrètes. Invitation très forte est faite à travailler en région. L’Afrique est divisée en 9 régions. C’est l’ouverture d’un chantier. D’une certaine façon, le deuxième synode avait fait une évaluation des 15 ans du synode antérieur. Avec « L’engagement de l’Afrique », Benoît XVI leur donne une feuille de route. Pour le Service national de la Mission universelle, nous relevons tout un passage sur les missionnaires qui ont apporté l’
Evangile, qui ont parfois donné leur vie. Ainsi la mission Ad Gentes est à poursuivre. La question des prêtres
Fidei Donum, du service de la mission entre Eglises est toujours d’actualité. Il y a à travailler entre conférences épiscopales et entre évêques. Mais la toile de fond est vraiment d’être agents de
réconciliation et de trouver les modalités pratiques.
Quel message l’Europe et l’Occident doivent-ils entendre ?
Dans une interview récente (
La Croix du 18 novembre 2011, NDLR), le numéro deux du Conseil pontifical pour la Culture, Mgr Barthélémy Adoukonou, dénonce l’Occident athée. Quand le pape Benoît XVI dit que l’Afrique doit participer à la Nouvelle Evangélisation, il met aussi en garde contre les sectes dont le développement doit nous interroger. L’Afrique est un poumon spirituel et doit l’être toujours davantage. L’
exhortation apostolique du premier synode s’intitulait « Ecclesia in Africa » : L’Eglise en Afrique. Celle-ci, « Africae Munus » : L’engagement de l’Afrique. J’y vois une étape. L’Eglise d’Afrique s’engage dans l’universel. Ce n’est pas un sous-continent. La prochaine étape ? Un pape africain, pourquoi pas ! L’Eglise d’Afrique a des problèmes réels mais c’est le continent qui progresse le plus en nombre de baptisés et de vocations, d’où la nécessité des églises locales de mettre en place un vrai sérieux de la formation, pour mieux prendre ses responsabilités dans le continent et dans le monde. Constatons combien de fois l’Eglise a été présente dans les conseils de
réconciliation nationale. De là émerge, dans l’épiscopat, un certain nombre de responsables particulièrement engagé dans Justice et Paix. Il y a déjà, à Rome, des responsables de dicastères, comme le
cardinal Robert Sarah, président du conseil pontifical Cor Unum, ou le
cardinal Peter Turkson, président du Conseil Pontifical « Justice et Paix ». Alors pourquoi pas ?