« L’espérance de l’Afrique vient de sa jeunesse et de ses vocations », interview du père Pecqueux

Pecqueux Pierre-Yves - Service national de la Mission universelle de l'Eglise

Le 4 octobre s’ouvre le 2e synode pour l’Afrique à Rome. Plus de 360 participants se rassembleront sur le thème « L’Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix », auquel est rattaché ce verset de l’Évangile : « Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière du monde » (Matthieu 5, 13-14).
200 évêques venus de toute l’Afrique seront présents au Vatican, parmi lesquels les présidents des conférences épiscopales africaines et de nombreux évêques africains élus par leurs confrères. Des cardinaux des dicastères de la Curie romaine, de nombreux évêques émérites ainsi que de nombreux experts, théologiens membres d’organismes d’évangélisation et de développement africain ou d’organismes internationaux qui interviennent sur le continent africain (Caritas, Justice et Paix, etc) participeront également à ce synode.
Le cardinal André Vingt-Trois, nommé par le Saint Père, participera comme président de la conférence des évêques de France et archevêque de Paris.

Le père Pierre-Yves Pecqueux est le directeur du service national de la mission universelle. Son service est très impliqué dans les relations de l’Eglise en Afrique. Familier de ce continent, le père Pecqueux nous explique les enjeux de ce 2e synode pour l’Afrique.


Pourquoi ce thème ?

L’Afrique est un continent très abimé par les nombreux conflits des dernières décennies. La démarche synodale est de travailler sur les questions de réconciliation, de justice et de paix qui traversent ce continent et de soutenir les engagements de l’Eglise sur le continent.

Quelles ont été les conclusions du 1er synode de 1994 ?
Les conclusions du synode de 1994 concernaient la mise en valeur théologique de l’Eglise comme famille de Dieu et comme lieu d’action évangélique au plus près du terrain, avec la mise en avant des communautés ecclésiales vivantes, ou communautés ecclésiales de base, et celle d’une Eglise engagée et solidaire des réalités concrètes de développement et d’éducation.

Quels sont les enjeux de ce synode ?
Le premier enjeu consiste à faire un état des lieux de la situation de l’Afrique. Ce synode devrait permettre une évaluation du 1er synode et de ce qui s’est passé depuis 15 ans – déjà mise en lumière dans l’Instrumentum laboris remis en mars aux épiscopats africains, à Yaoundé, par le Saint Père. L’Afrique est un continent dynamique au niveau des baptêmes, de l’évangélisation, des vocations et de l’engagement de l’Eglise concernant le développement, l’éducation et la santé. Mais c’est aussi un continent très fragilisé par les conflits. Depuis 1994, des conflits ont éclaté au Rwanda, au Burundi, en République démocratique du Congo, en Sierra Léone, au Darfour, en Somalie, en Côte d’Ivoire, à Madagascar, en Angola. L’Afrique est aussi fragile au niveau de son économie : 18% de la population mondiale vit en Afrique pour une masse budgétaire de 2%. C’est aussi un continent très jeune : 50% de la population a moins de 25 ans. Si ce continent ne se développe pas de façon équilibrée, la jeunesse va perdre l’espérance et fuir.

Le deuxième enjeu est de dresser un état des lieux de l’Eglise et de son engagement dans les questions d’aujourd’hui en Afrique, avec ses richesses et ses faiblesses. L’Eglise manque de formateurs. Elle a beaucoup de candidats et des vocations, pour être catéchistes, animateurs en pastorale, responsables de communautés et aussi pour le ministère presbytéral, mais elle n’a pas assez de formateurs. La courbe des baptêmes et des ordinations est en hausse, celle des formateurs est stable voire en baisse, du fait aussi du vieillissement du personnel formateur, notamment de la raréfaction des missionnaires étrangers.

Il s’agit aussi de situer l’Eglise catholique, qui représente 20% de la population africaine, face à d’autres grands courants : l’Islam, la multiplicité des Eglises protestantes, les nombreux courants des religions traditionnelles et animistes, les Evangélistes, les sectes. Depuis 1960, l’Eglise a un épiscopat autochtone qui prend ses responsabilités, mais l’Eglise catholique est aussi souvent perçue comme une réalité venue d’ailleurs.

Il ne faut pas non plus rater le dialogue avec l’Islam. Si ce dialogue devient un affrontement, il n’y aura pas d’avenir solide dans les relations avec l’Afrique. En Afrique sub-saharienne, musulmans et catholiques sont à peu près le même nombre, et il convient de se parler. Il s’agit d’avancer dans un dialogue où les religions se respectent et soutiennent les efforts de développement et de paix.

L’Eglise, du fait de sa dimension universelle et de sa présence dans le monde entier, est vécue par de nombreux régimes politiques comme une instance critique. Quand elle rappelle avec persévérance les questions de justice et de paix ou les questions des droits de l’homme, elle dérange certains pouvoirs, qui préfèreraient avoir affaire à une Eglise plus effacée. Beaucoup ne sont pas contre une spiritualité ou une présence religieuse, à condition qu’on ne se mêle pas de droits de l’homme ou de justice. Des pressions sont d’ailleurs parfois exercées sur certains évêques en Afrique.

A quels défis doit faire face l’Eglise catholique en Afrique ?
L’un des défis de l’Afrique est celui de la fraternité. Il y a eu trop de conflits ethniques. Ce défi existe aussi au sein de l’Eglise, entre communautés, prêtres, évêques. Le théologien M.J. Agossou avait publié un livre sur ce sujet, Christianisme africain, la fraternité au-delà de l’ethnie.

Autre défi : celui du développement. L’Afrique est un continent qui a des richesses, surtout minières, sans oublier une richesse incalculable qui est sa jeunesse. Mais en même temps, c’est le continent le plus pauvre du monde, avec des déséquilibres très grands. Certaines personnes ont de grandes fortunes, et d’autres vivent avec moins d’un dollar par jour. Et les sociétés internationales participent à une exploitation des matières premières sans qu’il y ait toujours justice dans la fixation des prix. Les matières premières sont une réalité économique essentielle pour ces pays comme pour ceux d’Occident, sans oublier la présence de plus en plus grande de la Chine sur le marché africain, avec l’uranium ou des matériaux qui servent de base aux composants informatiques.

Un autre défi est la santé. C’est un continent qui connaît de grandes endémies, avec le paludisme, première cause de mortalité, la tuberculose, le sida. L’Eglise se trouve heureusement très engagée dans les questions d’éducation et de santé.

La question des droits de l’homme et des droits des femmes est également importante. Dans de nombreux endroits, la femme n’est pas reconnue, elle n’a pas de droit de parole ou de responsabilité, alors que là où les femmes sont présentes, dans les associations, les mairies et dans quelques rares gouvernements, elles apportent un plus et ouvrent un avenir plus dialoguant et plus pacifique.

La question de l’éducation et de l’enseignement est aussi un défi : le continent n’a pas un taux d’éducation et d’alphabétisation à la hauteur des engagements pris au sein de l’Unesco. L’alphabétisation n’atteint pas 20% dans certains pays. Dans beaucoup de pays, l’école s’arrête majoritairement en primaire. L’Eglise est engagée depuis le commencement de sa présence en Afrique dans de nombreuses responsabilités en ce domaine, mais hélas souvent entravée soit par les politiques soit par manque de moyens financiers.

Se pose aussi la question des médicaments. On trouve très peu de médicaments fabriqués en Afrique, notamment des médicaments génériques et pas chers. On a souvent abandonné les pharmacopées, les médecines douces à base de plantes. L’accès au soin est un privilège réservé aux riches. Il n’y a pas de protection sociale à la façon européenne dans la plupart des pays, d’où la nécessité de mener une réflexion dans ce domaine. De même, il n’y a pas de système de retraite dans beaucoup de pays africains. La prise en charge des personnes âgées était effective dans les villages, elle ne l’est plus dans les villes et bidonvilles. Le continent africain semble abandonné à lui-même et doit s’inventer une forme de protection sociale mais il ne dispose ni de modèle et ni de moyens de financement.

L’Eglise, dans son souci des pauvres et avec ses congrégations religieuses, fournit un gros engagement de solidarité, grâce à l’aide des Caritas, des CCFD, de l’Aide à l’église en détresse (AED), et la multiplication d’autres associations. Au sein même de l’Eglise, on trouve les Œuvres Pontificales Missionnaires, qui aident l’Eglise dans ses œuvres de formation et de développement ainsi que l’Aide aux Eglises d’Afrique, créée au 19e s. par le cardinal Lavigerie, fondateur des Pères Blancs.

Le pape Benoît XVI a déclaré : l’Afrique «est la grande espérance de l’Église». Comment les évêques africains peuvent-ils faire entendre leurs voix sur ce continent ?
L’espérance vient de sa jeunesse et de ses vocations. Le défi est celui de la qualité de la formation. La collégialité épiscopale entre les continents est un facteur essentiel pour le soutien aux Eglises d’Afrique. Ce synode qui concerne le continent africain est aussi l’affaire de toute l’Eglise, dans sa dynamique missionnaire et dans sa sollicitude pastorale, mais encore dans le partage indispensable avec toutes les Eglises pour permettre d’espérer là même où beaucoup d’indicateurs pourraient dessiner des perspectives inquiétantes. Tous les continents doivent entendre la voix de l’Afrique et comprendre les enjeux internationaux qui se vivent sur ce continent. Pour les évêques d’Afrique, c’est une responsabilité missionnaire et une responsabilité de communion qu’ils portent avec l’Eglise universelle.