Entretien avec Mgr Hippolyte Simon, archevêque de Clermont

Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris la réintégration des quatre évêques intégristes ?

Simon Hippolyte - Clermont

Je crois qu’il faut être très précis : les quatre évêques ne sont pas réintégrés (1). Ils ne seront réintégrés, éventuellement, qu’après un temps de dialogue et si un jour ils reçoivent une mission canonique. Pour l’instant, ils n’ont pas de mission canonique. Je comprends l’émotion du grand public devant les informations qui sont données, mais ces informations ne sont pas tout à fait exactes. Il faut donc reprendre les choses de façon un peu précise. Je comprends que nos catégories et les termes employés par l’Eglise puissent vous paraître un peu compliqués, mais dans une affaire de ce genre, on ne peut pas se contenter d’approximations. Sinon on confond les plans et on devient victimes des simplifications qui ne profitent qu’à ceux qui veulent faire de la provocation.

Que s’est-il passé ? Les évêques de la Fraternité Saint-Pie-X, fondée il y a plus de trente ans par Mgr Lefebvre, avaient mis deux préalables à la reprise du dialogue : premièrement, la libéralisation du Missel de 1962, ce qui a été fait par le motu proprio, en juillet 2007 et, deuxièmement, la levée des excommunications.
C’est quoi, la levée des excommunications ? Pour prendre des comparaisons familières, disons que, quand Mgr Lefebvre est sorti, c’est-à-dire quand il a désobéi en ordonnant quatre évêques malgré l’avis formel du Pape, c’est comme s’il y avait eu, automatiquement, une barrière qui était tombée et un feu qui s’était mis au rouge pour dire qu’il était sorti (2). Et donc, si, un jour, celui qui est sorti veut rentrer, il faudra qu’il demande à rentrer. Là, ses successeurs, vingt ans après, disent : « Nous sommes prêts à prendre le dialogue, mais il faut un geste symbolique de votre part. Levez la barrière et mettez le feu au clignotant orange ! » Le Pape, pour mettre toutes les chances du côté du dialogue, a levé la barrière et a mis le feu au clignotant orange. Reste à savoir maintenant si ceux qui demandent à rentrer vont le faire. Est-ce qu’ils vont rentrer tous ? Quand ? Dans quelles conditions ? On ne sait pas. Comme dit le cardinal Giovanni Battista Re [préfet de la Congrégation des évêques], « il s’agit de stabiliser les conditions du dialogue ». Peut-être que le Pape, dans un délai que nous ne connaissons pas, leur donnera un statut canonique. Mais pour l’instant, ce n’est pas fait. Le préalable au dialogue est levé, mais le dialogue n’a pas encore commencé.

(1) Je vous renvoie au commentaire officiel du Cardinal Ricard, Archevêque de Bordeaux , qui suit ces questions pour notre Conférence : « La levée de l’excommunication n’est pas une fin mais le début d’un processus de dialogue. Elle ne règle pas deux questions fondamentales : la structure juridique de la Fraternité Saint Pie X dans l’Eglise et un accord sur les questions dogmatiques et ecclésiologiques. Mais elle ouvre un chemin à parcourir ensemble. Ce chemin sera sans doute long. Il demandera meilleure connaissance mutuelle et estime. » Lire l’intégralité de cette Déclaration

(2) On peut comprendra ainsi l’expression latine : « latae sententiae » = sentence automatique.
 

Beaucoup de médias focalisent sur Mgr Richard Williamson, qui a tenu des propos négationnistes…

Ces propos sont in-to-lé-ra-bles ! Mais, pour l’instant, Mgr Williamson ne dépend pas du Vatican ; il dépend de la Fraternité Saint-Pie-X. Et c’est à Mgr Fellay, qui est son supérieur hiérarchique, de se désolidariser complètement de ces propos-là. J’ai lu qu’il l’a fait ce 27 Janvier par un communiqué où il dit ceci : « Les affirmations de Mgr Williamson ne reflètent en aucun cas la position de notre société. C’est pourquoi je lui ai interdit, jusqu’à nouvel ordre, toute prise de position publique sur des questions politiques ou historiques. » C’était le moins qu’il puisse dire, mais on peut regretter qu’il ait fallu presque une semaine pour énoncer cette évidence. Encore une fois, il faut comprendre que Mgr Williamson n’a pas, à ce jour, de statut canonique vis-à-vis du Vatican. Et je trouve que c’est un peu terrible que les médias fassent un procès au Pape alors que le décret de reprise du dialogue était préparé avant que ces propos ne soient connus à la télévision suédoise. Donc, dire que le Vatican a réintégré un évêque négationniste n’est pas vrai, puisque, au moment où le décret a été signé, ces propos n’étaient pas encore publics. Et, encore une fois, les quatre évêques ne sont pas réintégrés : ils sont en situation de commencer un dialogue sur le fond.
 

Donc, la libéralisation de la messe en latin par le pape Benoît XVI allait dans le sens de l’ouverture du dialogue…

C’était pour faciliter le dialogue, parce que le Pape considère qu’il doit tout faire, même en péchant par excès… de bonté, pour ramener les quatre évêques dans le Collège épiscopal, pour éviter que le ministère épiscopal soit utilisé de façon sauvage, si je puis dire, en dehors de la communion du Collège épiscopal. Donc, il est prêt à un maximum de gestes symboliques pour refaire l’unité du Collège épiscopal. On est devant une situation tout à fait fondamentale pour l’Église, parce qu’il y va du sacrement de l’Ordre. Si on juge du point de vue idéologique, etc., on peut effectivement faire tous les commentaires que l’on voudra, mais, sur le fond, il s’agit de sauver l’unité du ministère apostolique.
 

L’objectif de l’Église, ce ne sont pas les quatre évêques, mais plutôt les fidèles qui les suivent…

Je comprends que le Pape, vingt ans après, dise : dans ces communautés, il y a des jeunes. Ils n’étaient pas en âge de comprendre il y a vingt ans, ils ne pouvaient donc pas choisir en connaissance de cause. Est-ce qu’il faut les enfermer dans l’erreur ou la faute de « leur grand-père », de Mgr Lefebvre, encore vingt ans après ? On dit que les Papes du XVIème siècle ont eu tort de ne pas pratiquer la levée des excommunications à l’égard des protestants. On ne peut pas refaire l’histoire. Mais est-ce qu’il vaut mieux pécher par excès de magnanimité ou par excès de rigorisme ? En décembre, j’ai rencontré le cardinal Hoyos [président de la Commission pontificale Ecclesia Dei], il disait, en parlant pour lui-même et pour le Pape : « Au moins nous, nous aurons la conscience d’avoir fait tout ce que nous pouvions – et même plus – pour faciliter la reprise du dialogue. » Donc, on peut dire qu’ils en font trop, mais au moins c’est au bénéfice de l’unité du Collège épiscopal et pour ne pas enfermer les jeunes qui sont nés dans cette communauté dans une faute qu’ils n’ont pas commise.
 

Il y a donc des conditions des deux côtés. Est-ce que cela passe aussi, pour la Fraternité Saint-Pie-X, par la reconnaissance des enseignements de Vatican II ?

Bien sûr ! Et c’est la raison pour laquelle je reprends complètement aujourd’hui ce que j’ai écrit l’année dernière dans Le Monde : « Le Pape a accordé aux intégristes tout ce qu’ils veulent sur la forme des rites, mais, sur le fond, sur le Concile, lorsqu’il a affirmé qu’il n’existe pas deux rites mais deux formes d’un même rite, il a ruiné leur argumentaire. » (lire le texte de Mgr Simon : « Pourquoi j’obéis au pape ») Le Pape a en effet montré qu’il n’y avait pas de différence substantielle entre la messe de 1962 et la messe de 1970. Cela veut dire que le Missel que refusait Mgr Lefebvre, à savoir le Missel de 1970, est aujourd’hui l’expression ordinaire de la grande tradition liturgique catholique. Mgr Lefebvre refusait la liberté religieuse ; le Pape a écrit aux catholiques chinois pour défendre la liberté religieuse. Mgr Lefebvre refusait l’œcuménisme ; l’an dernier, il y a eu une déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi qui rappelle que l’œcuménisme fait partie de la définition même de l’Église. Donc, sur le fond, je ne vois pas de problème ! Et mon hypothèse, c’est que, sinon les quatre évêques, du moins Mgr Fellay a bien compris cela ; le sol s’est dérobé sous leurs pieds. Ils n’ont plus de raison de rester dehors. Mais, simplement, ils voulaient un préalable pour pouvoir prendre l’initiative de revenir. Maintenant, la question, c’est de savoir s’ils vont revenir tous les quatre. On ne peut pas juger les résultats du dialogue avant que celui-ci n’ait eu lieu.
 

En conclusion, on peut donc affirmer qu’il n’y a pas eu de réintégration, mais simplement une ouverture de dialogue…

La réintégration n’est pas effective. Pour l’instant, les quatre évêques n’ont pas de situation canonique. Maintenant, si on juge les choses à partir du notre diocèse, je peux dire ceci : si les deux communautés qu’il y a dans mon diocèse, c’est-à-dire Notre-Dame-de-la-Merci, avenue d’Italie à Clermont-Ferrand, et la communauté de Bellaigue, à Virlet, se manifestent à moi, on verra bien ce qu’elles diront. Pour l’instant, sur le terrain, rien n’a encore changé. En effet, la question précise qui se posera est simple : sont-ils prêts à venir communier à la Messe Chrismale que je célébrerai bientôt à la Cathédrale ? C’est à eux qu’il appartiendra de répondre, car il faut que la levée des excommunications soit réciproque.

Source : Le Semeur Hebdo à paraître le 30 janvier 2009. Propos recueillis par Mohammed Afiri. Avec son aimable autorisation.
 

Entretien à paraître dans Le Semeur Hebdo du 30 janvier 2009. Propos recueillis par Mohammed Afiri.

Sur le même thème