Hommage au Père Jacques Hamel : discours de Monseigneur Lebrun
Deux ans après l’assassinat du Père Jacques Hamel, retrouvez l’hommage civil prononcé le 26 juillet 2018 à Saint-Étienne-du-Rouvray par Monseigneur Dominique Lebrun, archevêque de Rouen.
Madame la Ministre,
Madame la Préfète,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les élus des collectivités territoriales, en particulier les représentants des présidents de la Région et du Département,
Mesdames et messieurs les hautes autorités judiciaires, militaires et civiles,
Chers amis des forces de l’ordre,
Cher Monsieur le Maire de Saint-Étienne-du-Rouvray,
Cher Monsieur le député,
Chers paroissiens, chers amis musulmans, chers citoyens,
A cette heure, il y a deux ans, trois corps gisaient, celui du Père Jacques Hamel dans l’église et celui de ses deux assassins, à peu près à l’endroit où est érigée la stèle. Les autres victimes étaient prises en charge ; Les forces de l’ordre et de secours déployaient leur savoir-faire; la famille du Père Jacques Hamel était déjà bouleversée ; les paroissiens comme les habitants de la ville et les élus n’en croyaient pas leurs oreilles. Nos têtes et nos cœurs s’emplissaient de l’horreur qui frappait la France quinze jours après le terrible attentat de Nice. Le monde politique et la société tout entière s’inquiétaient : jusqu’où peut aller l’État islamique dans sa folie ? La République était profanée, disait le président de la République, par l’assassinat d’un prêtre catholique.
Deux ans plus tard, nos âmes demeurent profondément marquées. Chacun et chacune fait son chemin, sans oublier, sans tout comprendre. Je voudrais saluer d’une manière particulière les proches. Pour eux, le deuil est particulièrement difficile. Le Père Jacques est plus vivant que jamais ! Une vingtaine de groupes, me disait sœur Danielle, sont annoncés d’ici octobre. Des visiteurs anonymes font un détour. D’autres s’intitulent déjà pèlerins avant même que le procès en béatification du Père Jacques ne soit achevé.
Je voudrais saluer publiquement le courage de la famille, des autres victimes, et de la paroisse. Je sais que je peux saluer aussi les forces de l’ordre pour la même raison. Tous continuent de vivre avec dans leur mémoire des images inhumaines ou, plutôt, des images qui invitent à aller chercher en eux le meilleur et le plus profond de leur humanité. Chacun fait son chemin, en s’entraidant, en se rencontrant à son rythme, en découvrant aussi la belle personnalité du Père Jacques Hamel. Un neveu me disait : « je suis peut-être passé à côté ». Belle et humble expression de celui qui prend conscience qu’à côté de lui, il y a des choses exceptionnelles mais cachées.
Pourquoi vous dire ces choses, somme toute un peu négatives ? N’est-ce pas vous ramener aux tristes événements, alors que je devrais vous parler de paix, de fraternité, de bonnes relations entre les communautés, de lumières qui s’allument, peut-être même de miracles par l’intercession du Père Jacques Hamel ?
En fait, l’Evangile de Jésus m’apprend que le mal n’est pas vaincu en fermant les yeux. La violence est à notre porte, parfois dans nos cœurs, même lorsqu’il s’agit d’un simple jeu comme le football et de fêter une victoire. Elle peut être sournoise quand nous laissons s’installer un égoïsme étatique face au monde ; Et cela est inadmissible, bien sûr pas au même degré qu’un assassinat mais reste tout de même inadmissible. Jésus ne s’est pas détourné du Mal ; il l’a affronté, comme l’a affronté le père Jacques Hamel et l’affrontent ses proches aujourd’hui.
Ce qui sauve, ce n’est ni l’aveuglement ni la fuite, mais le courage de l’affronter avec les armes de l’amour. Et pour aimer, il faut aussi faire la vérité. Appeler ce qui est mal « mal », ce qui est bien « bien ». N’est-ce pas ce qu’a fait le Père Jacques Hamel en prononçant ses derniers mots « Va-t’en Satan » ? L’Eglise, la première, ne doit jamais cesser de faire le ménage dans sa conduite, entre ce qui est bien et ce qui ne l’est pas.
Ensemble, que disons-nous aux plus jeunes sur la vie et la mort, sur le début de la vie et la fin de la vie ? Que disons-nous aux violents, à ceux qui sont entrés dans des spirales du fanatisme, de l’argent ou de la drogue, de la vie manipulable ? Que disons-nous à nous-mêmes qui nous croyons à l’extérieur de ces spirales et, en fait, y collaborons souvent par le silence.
Notre pays veut-il simplement promouvoir des libertés individuelles jamais assouvies et sans repères ou bien voudra-t-il donner une direction à ces libertés, une supériorité à des valeurs communes, à l’égalité, à la solidarité, à la fraternité ? En fait la société s’honore quand elle prend les plus petits comme points de repères, les plus pauvres comme ceux qui doivent être les premiers. Nos lois de bioéthiques chercheront-elles à défendre le plus fragile ou bien à assouvir des désirs personnels ?
Depuis deux ans, je suis devenu plus sensible aux attentats perpétrés dans notre monde. Ce que vous avez vécu, vous les plus proches, ce que je vis avec vous, combien dans le monde le vivent ? A chaque fois qu’un prêtre est assassiné, j’essaie d’écrire à son évêque. J’avoue que je ne le faisais pas avant. Vingt-cinq prêtres ont été assassinés depuis l’an dernier, la très grande majorité par des groupes qui prônent ouvertement la violence. Permettez-moi de citer les pays près de la stèle des droits de l’homme inauguré l’an dernier par le Président de la République. Judicieusement elle a la forme de la terre car nous ne pouvons ignorer la solidarité de toute la terre : Cameroun, République démocratique du Congo, Venezuela, Centrafrique, Philippines, Mexique, Côte d’Ivoire, Nigéria, Salvador, Inde, Allemagne, Indonésie, Malawi, Haïti, Kenya, Colombie, Brésil, Ecosse.
En ce deuxième anniversaire, je vous propose d’élargir notre cœur dans leur direction, sans oublier les morts qui ne se comptent plus au Moyen orient et, surtout, en ouvrant les yeux sur le mal à combattre, autour de nous, proche de nous et en nous.
L’assassinat du Père Jacques Hamel nous a permis d’ouvrir les yeux sur la présence proche du radicalisme religieux. Quelle leçon en avons-nous tiré ?
Aujourd’hui, grâce à la réaction de l’État, de nombreuses personnes aux projets sanguinaires ont été mises en prison. Elles vont sortir parce qu’on ne passe pas sa vie en prison. On accomplit sa peine puis on sort. Comment seront-elles accueillies, aidées, éclairées, et par qui ? Ou chercherons-nous simplement à nous protéger ? Avons-nous fait la lumière sur ce qui est un phénomène marginal, mais un phénomène inquiétant tout de même ? Nous savons bien que les seules réactions de peur de l’autre et de rejet ne construisent pas une paix durable. Elargirons-nous notre cœur dans leur direction ? Oserons-nous les regarder comme des frères et sœurs en humanité même s’ils ont projeté de commettre l’horreur ?
Madame la Ministre, chers amis, ensemble nous pouvons nous ressaisir, chacun à sa mesure, dans sa famille, dans son bureau ou son atelier, dans son quartier ou dans sa mission. Le Père Jacques Hamel nous enseigne à voir dans notre quotidien l’essentiel de notre mission. Je demande à Dieu que chacun recherche au fond de lui-même le meilleur de son humanité pour encore et encore lutter contre toute forme de mal en choisissant l’amour dont le plus beau nom est celui de « pardon ».
Je vous remercie de votre attention.
Monseigneur Dominique Lebrun,
Archevêque de Rouen.
Homélie de la messe anniversaire prononcée par Monseigneur Dominique Lebrun le jeudi 26 juillet 2018 à Saint-Etienne-du-Rouvray
« Leur postérité a persévéré dans les lois de l’Alliance, leurs enfants y sont restés fidèles grâce à eux », dit Ben Sirac le Sage.
Aujourd’hui, nous célébrons les saints Joachim et Anne – bonne fête M. le Maire ! Pour dire la vérité, l’Eglise catholique s’appuie autant sur sa foi que sur la raison pour identifier des grands parents de Jésus. Jésus n’étant pas arrivé par la voie des airs, Jésus a bien eu une Maman et des grands-parents. Ceux-ci ont dû prodiguer quelques conseils à leur fille Marie, enceinte. Ont-ils essayé de dissuader Marie de traverser la Galilée à pied alors qu’elle attendait un enfant et qu’elle voulait aller rendre service à sa cousine Elisabeth ? Quelle joie ont-ils éprouvé quand, voyant revenir de Bethléem avec le nouveau-né – dont ils n’avaient vu aucune photo sur leur smarphone ! –, ils ont découvert sa frimousse ? Quelle fierté quand le petit-fils, Jésus, leur a montré ses premières charpentes ?
J’aime imaginer Joachim plutôt discret, comme je pense -j’en suis sûr- que le Père Jacques Hamel l’était vis-à-vis de ses neveux, vis-à-vis de ses jeunes confrères, les aimant très présent auprès d’eux mais sans s’introduire dans leur vie personnelle.
Pourquoi Dieu a-t-il choisi de vivre ainsi l’expérience humaine, la profonde expérience d’humanité qu’est celle de la famille qui transmet la vie de génération en génération ?
Pour Ben Sirac, le bonheur d’une génération dépend en grande partie de ce qu’elle a reçu. « Les hommes de miséricorde, dit-il, auront un bonheur qui durera autant que leur postérité ». Et il ajoute : « leur descendants forment un bel héritage ».
Ce matin, nous pensons bien sûr à « l’homme de miséricorde » qu’était le Père Jacques Hamel. Il fait sans doute partie de ces ancêtres qui sont bel et bien devenus, sans qu’ils l’aient cherché le moins du monde, des « personnages glorieux ». Sommes-nous « ce bel héritage » ?
Jacques Hamel transmettait ce qu’il avait reçu. Ces dernières années, cette transmission se faisait de deux manières, principalement. Il transmettait par son ministère de prêtre. Nous avons retrouvé plus de 500 homélies, courtes, soignées qui expliquaient l’Évangile simplement ; il transmettait aussi par son exemple, l’exemple d’un serviteur fidèle et discret au milieu de sa famille, au milieu de sa paroisse, au milieu de sa ville de Saint-Étienne-du-Rouvray.
Avons-nous suffisamment accueilli ce que Jacques Hamel voulait transmettre à sa manière ? La tentation est forte de vouloir ré-inventer la vie. C’est la tentation de l’orgueil. Elle me guette. Elle guette sans doute chacun d’entre nous. Elle peut guetter aussi une société qui prétend être meilleure que ses devancières, en oubliant de recevoir ce que les générations lui lèguent.
Plus profondément, l’orgueil est l’obstacle majeur à la foi en Dieu. Croire en Dieu, c’est accepter de recevoir la vie, d’un autre plus grand ; Croire en Dieu c’est se recevoir de Lui. C’est recevoir aussi la grâce de pardonner en accueillant le pardon de Dieu pour soi. Jésus a pris ce chemin : tout recevoir de son Père, se recevoir de son Père, recevoir le salut et le donner, sans crainte car il garde en lui le lien avec son Père qui est amour.
Frères et sœurs, pouvons-nous aimer si nous ne sommes pas aimés, si nous ne nous laissons pas aimer ? Pouvons-nous aimer sans recevoir l’amour ? Je crains qu’une société qui n’accepte plus de se recevoir de Dieu ou, au moins, des générations qui précèdent se construise dans l’orgueil qui dégénère toujours en violence.
Ce matin, blottissons-nous dans l’amour paternel de Dieu, comme Jacques Hamel le faisait chaque matin. Goûtons à sa puissance qui est sa tendresse. Ainsi, le bonheur sera, et sera durable. Goûtons à l’esprit de famille ; des disputes sont possibles ; les réconciliations le sont aussi et même indispensables. Si nous le pouvons et le voulons, goûtons à l’esprit de la famille de Dieu. Il est sans limite et notre monde en a tant besoin.
Monseigneur Dominique Lebrun
Archevêque de Rouen.