La Centrafrique : « L’Église reste la seule autorité morale »
Depuis 2014, le Père Joseph Tanga-Koti est le secrétaire général de la Conférence épiscopale de Centrafrique (CECA). Il est venu à la Conférence des évêques de France (CEF) pour interpeller l’Église de France sur la situation dramatique de la Centrafrique. Entretien.
Père, quel est l’objet de votre venue en France ? Quels messages souhaitez-vous diffuser auprès de nos interlocuteurs ?
La Conférence des évêques de France m’a invité pour participer à une journée dédiée à l’engagement de l’Église dans les transitions démocratiques en Afrique. Je suis venu interpeller l’Église de France pour qu’elle nous soutienne et que nous élaborions ensemble un plan de sortie voire de survie. Je suis témoin de la détresse du peuple centrafricain. L’Église pousse aussi un cri de détresse car elle reste la cible principale des groupes armés dont les Selekas. Elle est aussi la seule autorité morale qui les empêche de réaliser leurs rêves de partition du pays, de prise de pouvoir ou d’oppression permanente envers la population.
Quelle est la situation du pays ?
Rappelons que la crise a commencé en décembre 2012. Le 24 mars 2013, un groupe de rebelles Selekas composé en majorité de musulmans et de mercenaires a pris le pouvoir entrainant un gouvernement transitoire. La Commission internationale a demandé au président rebelle, Michel Djotodia de démissionner, ceci débouchant sur un nouveau gouvernement de transition. Le Pape François est venu au secours de la Centrafrique du 29 au 30 novembre 2015. Grâce à sa venue, le processus électoral s’est bien déroulé. L’élection en 2016 a permis d’instaurer une nouvelle autorité du pays. Les Centrafricains ont choisi la logique du dialogue. Les rebelles de la Seleka qui ne sont plus au pouvoir occupent pourtant 14 des 16 préfectures du pays. Ils sont partis de la capitale avec leurs armes mais ils conservent encore leur capacité de nuisance et continuent à nuire à la population centrafricaine. Depuis quelques mois, nous constations une accalmie qui n’a malheureusement pas duré…
Pour quelles raisons la Centrafrique connait-elle un regain de tensions depuis avril ?
Les rebelles avaient un objectif, celui de prendre le pouvoir mais aussi de diviser le pays. Ils cherchent à opposer les chrétiens et les musulmans en montrant qu’ils sont incapables de vivre ensemble. Ces derniers temps, s’est opéré un nouveau tournant dans la crise avec l’arrivée des Russes, livrant des armes au gouvernement dans le cadre d’un contrat autorisé par les Nations Unis. Alors que la vente d’armes à l’armée centrafricaine est sous embargo, les rebelles, eux pouvaient acheter des armes. Les rebelles s’inquiètent et s’agitent pour se repositionner. Par ailleurs, une Cour pénale spéciale a été mise en place en Centrafrique. Contre l’impunité des crimes de guerre, l’enjeu sera de juger les responsables.
Quel est le poids de l’Église catholique dans le pays ?
L’Église catholique reste la première autorité morale. L’autorité de l’État étant malheureusement limitée à Bangui, sa capitale. Même si le président, Faustin-Archange Touadéra, a été élu en février 2016, l’État n’a pas encore pu redéployer son autorité sur tout le pays. Au niveau ecclésiastique, Certaines paroisses ne sont plus accessibles, mais les dix évêques sont présents dans leur diocèse.
Les autorités ecclésiastiques subissent-elles des représailles ?
Les prêtres et les évêques reçoivent des menaces et des pressions. Il y a eu aussi des martyrs. Deux prêtres centrafricains ont été assassinés. Un autre est venu en France ce matin pour témoigner de la tentative d’assassinat à laquelle il a échappé. Par ailleurs, l’église catholique Notre-Dame de Fatima à Bangui a été attaquée le 1er mai pendant la célébration entrainant la mort de trente fidèles. L’objectif de ce groupe armé (Ex-Seleka) est de faire peur aux autorités ecclésiastiques. Je devais être présent à cet office mais j’y ai échappé. J’ai entendu de mon bureau les détonations de grenades et de fusils. C’était terrible !
L’Église doit-elle être médiateur de paix ?
Nous ne pouvons pas continuer ainsi. Ce n’est pas de cette manière que nous allons construire l’avenir du pays. L’Église doit participer au projet de plaidoyer de paix sur le plan national et international.
Quelles actions avez-vous mis en place ?
L’Église accueille les victimes de conflits. Par exemple, le diocèse d’Alindao organise ses activités autour de la cathédrale qui accueille plus de 26 000 déplacés internes. Mais ce diocèse n’est pas isolé. Les diocèses de Kaga-Bandoro ou de Bambari en accueillent également. Depuis 2012, la crise persiste, les Centrafricains sont fatigués de toutes ces souffrances.
En parallèle, le travail des agents pastoraux est à hauts risques car ils reçoivent des menaces. Ces responsables appelés aussi « catéchistes » en Centrafrique jouent un rôle de fraternité car ils aident les prêtres dans leur travail pastoral en enseignant la catéchèse et en préparant les enfants au sacrement du baptême et de la communion. Mais Ils gardent aussi les petites chapelles. Certaines paroisses comptent 30 ou 40 petites communautés dans les villages. Les prêtres ne peuvent pas se rendre tous les dimanches dans ces endroits reculés. Dans ce cas, le catéchiste anime la communauté en organisant des célébrations en l’absence de prêtres.
Quelles conséquences pour les déplacés ?
Nous les accueillons avec les moyens dont nous disposons. Nous ne pouvons pas les refuser. Ils s’installent dans des camps. La Caritas et l’aide internationale s’activent pour prendre en charge le conflit. Les forces onusiennes viennent sécuriser les sites de refuges. Les écoles sont fermées et de nombreux jeunes sont déscolarisés depuis le début de la guerre.
Qu’est-ce qui vous fait tenir quotidiennement ?
Ma foi chrétienne. Malgré les oppressions et les violences, nous croyons que le mal n’aura jamais le dernier mot. Les souffrances sont nombreuses mais il y a aussi l’Espérance en des lendemains meilleurs.