Hommage public au Père Jacques Hamel : Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen
Monsieur le Maire,
Vous avez souhaité cet hommage au Père Jacques Hamel. Vous saviez combien il aimait la ville qu’il habitait, son église, ses habitants. Au nom de la communauté catholique particulièrement secouée, je vous en remercie. Je remercie votre conseil municipal qui vous entoure de si près en ces jours.
Je crois aussi pouvoir me faire l’interprète de la famille du Père Jacques Hamel, des autres victimes, des religieuses de Saint-Vincent-de-Paul et des deux paroissiens, tous blessés, choqués.
Mon cœur de chrétien se réjouit de voir la réponse des citoyens à votre appel. Au-delà des croyances, des religions, des origines, des responsabilités dans la société, nous sommes unis. Chers amis, votre présence touche la communauté catholique. A chacune, à chacun de vous, merci du fond du cœur.
Pourquoi sommes-nous ici ? A cause de la mort d’un homme ? A cause de la folie meurtrière de deux hommes ? En tous les cas à cause de notre refus de ce qui est tout simplement « pas possible » !
Vous le savez, les croyants crient vers Dieu : Pourquoi ? Pourquoi laisses-tu le mal envahir, submerger des cœurs humains au point de les transformer en monstres barbares ? Je pense que les non-croyants s’unissent à notre cri, un cri qui devient silence -vous venez de le dire-, incapacité à prononcer des mots.
Merci, Monsieur le Maire, pour cet hommage à l’homme Jacques Hamel, merci pour vos paroles justes. Permettez à l’évêque de dire maintenant ce que représente le prêtre Jacques Hamel.
Le Père Jacques Hamel est mort « en habit de prêtres », me disait l’une de ses sœurs hier. Il est mort en célébrant la messe avec un homme et une femme mariés, et trois religieuses. Que faisait-il de mal ? Rien. Il accomplissait ce que, prêtre, nous aimons faire, modestement, de manière cachée : proclamer la mort de Jésus pour annoncer sa résurrection c’est-à-dire sa victoire sur la mort, sur le péché. Cela se fait à chaque messe. Nous le faisons avec un peu de pain, un peu de vin, symbole du partage et de la joie pour tous. Pour nous, catholiques, c’est plus qu’un symbole. C’est le geste même de Jésus, la veille de sa mort, alors qu’il se savait condamné. Jésus voulait déjà donner sa vie par amour, être présent, accompagner l’histoire du monde qui se débat contre le mal, devenir nourriture pour notre vie. Il voulait que nous refassions son geste pour que l’amour envahisse le monde, doucement mais sûrement.
Une messe avec cinq personnes ou avec des centaines de milliers de jeunes comme cela se passe à Cracovie – nous venons d’entendre l’hymne des JMJ – a la même valeur, le même sens : dire que l’amour est le véritable avenir de l’humanité, pas la haine. Par sa mort, Jésus, l’innocent par excellence, a donné sa vie par amour. La mort du Père Jacques ressemble à celle de Jésus. Comme la mort de tous les martyrs de la vérité, de la justice, de la paix, de la foi.
Saurons-nous prendre ce chemin ? Saurons-nous donner un sens à notre vie qui traverse la mort, et refuser la haine ?
Le Père Jacques est prêtre. Il n’a jamais cherché les honneurs. Il ne voulait pas être mis en avant, juste rencontrer des hommes, des femmes, des enfants pour les accompagner au nom de Jésus dans leur vie humaine et spirituelle. Combien parmi vous peuvent témoigner du baptême de leur enfant, de leur mariage, d’un deuil accompagné par le Père Jacques ?
Le Père Jacques ne revendiquait pas sa qualité de prêtre comme un privilège. Il demeurait un citoyen parmi les autres citoyens. Il participait à la vie commune, dans la confiance, tissant des liens d’amitié. Ces liens humains formaient le terreau pour des rencontres qui élèvent l’âme.
Saurons-nous prendre le chemin de l’amitié ? Saurons-nous nous élever les uns les autres ? Saurons-nous, ces jours-ci ou dans les semaines qui viennent, avoir des conversations qui élèvent l’âme ?
Le Père Jacques est prêtre. Il voulait servir jusqu’au bout. Quand je l’ai visité pour faire connaissance, je lui ai demandé : quelle sera la prochaine étape de ta vie ? Il m’a répondu avec un large sourire que vous connaissez : « tant que je peux …»
Notre présence est un engagement, un engagement à servir la société. Nous pouvons avoir des idées différentes, une foi différente, des cultures différentes. Cela ne doit pas déclencher une guerre ni dans nos cœurs, ni dans les églises, ni dans les mosquées, ni dans les synagogues, ni dans les temples, ni dans les mairies, ni dans les rues, ni sur les places, ni au Moyen-Orient. Mettons nos idées, nos talents, nos différences au service de la communauté humaine.
Au fond, nous en témoignons cet après-midi, ce qui nous est commun est plus important que ce qui peut nous diviser. Ce qui nous est commun, c’est notre dignité de personne humaine, si précieuse et si fragile ! Peut-être fragile, parce que si précieuse… C’est cela que nous avons à servir. La dignité de la personne humaine, la dignité de la communauté humaine !
Dans l’histoire de l’humanité, les 10 commandements, dont la Bible raconte qu’ils ont été donnés par Dieu à Moïse, marquent une étape décisive pour la reconnaissance de la dignité humaine. Ne faudrait-il pas en faire à nouveau, ou simplement le dire car nous le savons, un socle pour notre vie commune, pour l’éducation, pour un véritable projet social ? Faut-il rappeler ces paroles communes aux traditions religieuses juives, musulmanes et chrétiennes ?
Permettez-moi :
– Tu adoreras Dieu seul
– Tu respecteras le nom de Dieu
– Tu respecteras le jour consacré au Seigneur
– Tu honoreras ton père et ta mère
– Tu ne tueras pas
– Tu ne commettras pas d’adultère
– Tu ne voleras pas
– Tu ne mentiras pas
– Tu ne désireras pas la femme de ton prochain
– Tu ne désireras pas le bien d’autrui.
La liberté, l’égalité et la fraternité, trouvent en ces commandements une source, une base. En fait, ils sont inscrits dans le cœur de l’homme croyant. Ils sont aussi, j’en suis sûr, dans le cœur de celui qui s’interroge sur l’existence de Dieu.
Les non-croyants rendent un grand service aux croyants. Ils rappellent que Dieu nous dépasse, que Dieu ne peut être capturé par un groupe pour un quelconque pouvoir sur les autres, que Dieu est encore à chercher même par ceux qui pensent l’avoir trouvé, mais qui trop souvent déforment son image.
Adorer Dieu, c’est refuser de s’en servir pour tuer, pour voler, pour mentir, pour tricher. Tuer l’innocent est un blasphème contre Dieu ! Le seul pouvoir que Dieu délègue au croyant est celui de croire dans le pardon, de croire dans la miséricorde infinie de Dieu. Les chrétiens dans la seule prière que Jésus leur a apprise disent à Dieu le Père : « Pardonne-nous comme nous pardonnons » !
Ce soir, nous honorons le Père Jacques Hamel, 85 ans, bientôt 86. En lui, je crois que Saint-Etienne du Rouvray « honore son père et sa mère », celui qui était une silhouette, une figure, comme vous me l’avez dit Monsieur le Maire, paternelle, un guide ; celui aussi qui savait aimer avec tendresse comme une mère aime ses enfants.
Liberté, égalité, fraternité
Chers amis,
Soyons vraiment libres : débarrassons-nous de la vengeance, de la haine qui fait de nous des esclaves de nos passions, et non des hommes libres !
Soyons vraiment égaux : rejetons les soifs de pouvoir, ayons comme seule ambition de rendre service aux autres, d’être bienveillant, chacun à notre place, sans rechercher les honneurs !
Soyons vraiment frères : rejetons tout racisme, toute xénophobie, toute injure envers le voisin, le lointain aussi ! Reconnaissons que nous sommes de la même famille, la même famille humaine qui n’a qu’un seul cœur, une seule âme, une seule espérance, le bonheur de tous.
M. le Président du Conseil constitutionnel, Madame la Ministre représentant le gouvernement, Monsieur le Président de la Région, Mesdames et messieurs les élus de la nation, parlementaires, Mesdames et messieurs les élus de nos villes et de nos communes, Madame et messieurs les représentants des cultes, merci de nous aider, merci de nous aider les uns les autres à être vraiment libres, vraiment égaux, vraiment frères.
Chers amis, permettez-moi d’ajouter, chers frères et sœurs, cherchons tous à l’être. Et, si vous le voulez bien, cherchons le Père des cieux, avec l’aide du Père Jacques Hamel qui est avec Dieu, son Père et notre Père !
Que vivent en paix la France, l’Europe et le monde !
+ Dominique Lebrun
Archevêque de Rouen