Interactions biologie-psychisme
Fiche proposée par le groupe de travail « bioéthique », de la Conférence des évêques de France.
Données scientifiques et juridiques
Dans le monde scientifique, on a l’habitude de penser les états psychiques à partir de leur enracinement biologique, parfois même de les réduire à de la biologie. Mais les biologistes étudient aussi, depuis une vingtaine d’années, l’influence du psychisme sur les réactions biologiques.
Les découvertes scientifiques dans le domaine de l’épigénétique[1] montrent que certains gènes sont inhibés alors que d’autres s’expriment fortement, en fonction de l’environnement biologique (en particulier la répartition des gènes dans le génome) et de l’environnement du psychisme, c’est-à-dire du comportement des êtres vivants eux-mêmes. Pour les êtres humains, on souligne ainsi que la nutrition, l’exercice physique, la gestion du stress, le plaisir et le réseau social peuvent intervenir sur les mécanismes de l’épigénèse. Cela atteste que les deux domaines du biologique et du psychique sont en relation réciproque permanente (c’est important pour la GPA !). De même, la psycho-neuro-immunologie étudie l’impact des événements psychiques sur le système immunitaire. D’où ce propos du scientifique Joël de Rosnay : « Qui aurait pu penser, il y a à peine une dizaine d’années, que le fonctionnement du corps ne dépendait pas seulement du “programme ADN”, mais de la manière dont nous conduisons quotidiennement notre vie ? »
L’épigénétique ouvre également de nouveaux horizons : ce que l’humain transmettra génétiquement à sa descendance pourrait être le fruit, en partie, de son propre comportement !
Les études actuelles sur la plasticité du cerveau vont aussi dans le sens d’un lien étroit entre les fonctionnalités du vivant et le vécu. L’organisation des réseaux neuronaux joue sur le vécu mais, en retour, elle se modifie en fonction des expériences de l’individu. Se manifeste une capacité du cerveau à remodeler les branchements entre les neurones par formation ou disparition de synapses. Ainsi, exercer ou rééduquer ses capacités cérébrales (entraînement-apprentissage, donc psychisme) joue sur la biologie du cerveau lui-même. Il en va de même pour la pratique régulière de la méditation qui engage la partie spirituelle de l’être humain.
Si le biologique influence le vécu, comme on le dit depuis longtemps, le vécu influence le biologique ! Ainsi, ce que le psychologue dit habituellement, le biologiste le montre depuis peu !
Les problèmes que cela pose
Un paradoxe signifiant entre biotechnologistes et biologistes
Les biotechnologistes modifient le vivant en s’efforçant de le simplifier pour mieux le reconstruire, le contrôler et l’utiliser en vue de certains objectifs. Ils cherchent à améliorer ses fonctionnalités de base ou à en ajouter d’autres (voir la fiche sur les biotechnologies). Cette réduction du vivant à des fonctionnalités choisies vise à tirer le maximum de productivité de la « machine vivante ». Outre les questions éthiques que cela pose, notamment celle de « l’utilitarisme », ce vivant simplifié peut-il correspondre à une véritable amélioration du vivant naturel ? En effet, paradoxalement, le biologiste découvre de plus en plus que le vivant est complexe : son évolution est influencée par l’environnement qui touche jusqu’à l’expression de ses gènes ; il appartient à des écosystèmes qui le modifient ; il est plastique et peut ainsi s’adapter, évoluer, bref « être vivant » !
Ainsi, au moment où la biologie semble sortir d’un fonctionnalisme trop strict, c’est au tour des biotechnologies de risquer de s’y enfermer. Voilà qui est essentiel pour répondre avec objectivité et pertinence aux défis techniques et éthiques de l’utilisation des technosciences sur l’homme ! « Prendre soin du vivant » ne peut se limiter à augmenter ses fonctionnalités pour « perfectionner la machine ». Le transhumain ainsi réduit à des fonctionnalités augmentées ne sera-t-il pas en fait appauvri par rapport à l’humain ? Respecter l’humain, y compris en tentant d’en augmenter les capacités, n’est envisageable qu’au regard de sa complexité et de l’interpénétration de ses dimensions biologique, psychique et spirituelle.
La « plasticité du vivant » renvoie à une tension dynamique entre « robustesse et vulnérabilité », rigidité et malléabilité, invariance et transformation, et, plus largement, entre invariance et historicité. Elle est une condition nécessaire et cruciale pour que le vivant évolue, avec ses caractéristiques métaboliques, reproductives, organisationnelles et informationnelles. D’un côté, la robustesse d’un vivant définit son aptitude à se maintenir devant les perturbations liées à son environnement. D’un autre côté, il se laisse influencer par cet environnement, d’où son aspect « vulnérable », indépendamment de la fragilité liée à une maladie ou une déficience. Ainsi le « cyborg[2] invulnérable », appelé de leurs voeux par certains transhumanistes, perd sa capacité d’adaptation en perdant la « vulnérabilité » nécessaire à tout vivant pour évoluer. Pour l’être humain, cette vulnérabilité est liée aux interactions biologie-psychisme-spirituel dans leurs écosystèmes. Le respecter et prendre soin de lui consistent donc à favoriser l’équilibre robustesse-vulnérabilité en permettant l’harmonie corps-psychisme-esprit dans leurs environnements. Il convient alors d’envisager une éthique dont l’être humain vulnérable serait la pierre angulaire.
Visées anthropologiques et éthiques
Ce regard du biologiste moderne rejoint certaines traditions d’anthropologie chrétienne, depuis les saints Paul, Irénée, Éphrem, Maxime le Confesseur, et les mystiques tant rhénans qu’orientaux, qui explicitent l’unité de l’homme « corps-âme-esprit ». Saint Paul écrit : « Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie tout entiers ; que votre esprit, votre âme et votre corps, soient tout entiers gardés sans reproche pour la venue de notre Seigneur Jésus Christ » (1 Th 5, 23). Saint Irénée, au 2e siècle, commente : « La chair modelée (modelée par Dieu, le Créateur) à elle seule n’est pas l’homme parfait, elle n’est que le corps de l’homme, donc une partie de l’homme. L’âme à elle seule n’est pas davantage l’homme, elle n’est que l’âme de l’homme, donc une partie de l’homme. L’esprit non plus n’est pas l’homme, on lui donne le nom d’esprit, pas celui d’homme. C’est le mélange et l’union de toutes ces choses qui constituent l’homme parfait » (Adversus haereses, V, 6, 1) Il s’agit bien de distinguer corps-âme-esprit mais dans une compénétration de ces trois dimensions. Ainsi le corps ne se réduit-il pas au biologique, il pense et il éprouve. De même, l’âme qui recouvre un principe d’organisation, d’animation et d’unité unifie les métabolismes, les émotions et les pensées du corps. Et l’esprit apparaît comme la « fine pointe de l’âme », là où l’Esprit de Dieu parle à l’homme en son corps et son âme, comme « être global »[3].
Cette mise en regard de la biologie d’aujourd’hui avec cette tradition anthropologique indique que l’un des critères éthiques importants pour prendre en compte l’impact de l’utilisation des biotechnologies sur l’être humain sera celui du respect et de la promotion de l’unité du corporel, du psychique et du spirituel dans leurs écosystèmes. On pourra ainsi se poser la question de l’impact de telle ou telle intervention technologique en termes d’harmonie ou de dysharmonie entre ces trois dimensions, afin de favoriser le pouvoir d’être soi.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES POUR CONTINUER LE TRAVAIL
- Tost, Epigenetics, Caster Academic Press, 2008.
- Morange, « L’épigénétique », Études, n° 4210, novembre 2014, p. 45.
- de Montera, « L’hérédité épigénétique : un changement de paradigme ? », Bergson ou la Science, Implications philosophiques, 2014, p. 27-49.
- Lambertet R. Rezsöhazy, Comment les pattes viennent au serpent : essai sur l’étonnante plasticité du vivant, Flammarion, 2004.
- Magnin, Penser l’humain au temps de l’homme augmenté, Albin Michel, 2017, ch. 4.
- de Rosnay et Fabrice Papillon, Et l’homme créa la vie, LLL, 2010.
J.-M. Besnier, L’homme simplifié. Le syndrome de la touche étoile, Fayard, 2012.
2 février 2018
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[1] Par la génétique, on étudie le génome et son environnement biologique. Cet environnement a une telle influence sur l’expression des gènes (et non sur leur structure interne) qu’il mérite d’être étudié pour lui-même : c’est l’épigénétique.
[2] Fusion homme-machine, ce qui est encore plus que l’hybridation homme-machine.
[3] Voir Congrégation pour la doctrine de la foi, Instruction Donum Vitae, 22 février 1987, introduction, 3, qui parle de « totalité unifiée » pour évoquer la personne humaine.
Fiches du groupe de travail "bioéthique"
- Assistance médicale à la procréation ou AMP
- Don de gamètes
- Dons d’organes
- Fin de vie
- Gestation pour autrui
- Intelligence artificielle
- Interactions biologie-psychisme
- Mégadonnées (Big Data)
- Utilisation des biotechnologies sur les cellules embryonnaires et germinales humaines
- Recherche sur l’embryon humain
- Thérapie génique germinale