L’Église en Bolivie aujourd’hui
Poursuivant son voyage en Amérique latine, le Pape François quittera l’Equateur pour se rendre en Bolivie (8-10 juillet 2015). Il participera notamment à la rencontre des Mouvements populaires à La Paz et visitera une prison à Santa Cruz. Eclairage de Cyrille de Nanteuil, prêtre français de la Congrégation de la Mission (Lazariste).
Lors du recensement de 2001, 78% des Boliviens se disaient catholiques et presque 19% protestants, membres moins d’Églises historiques que de sectes dont une politique étrangère étasunienne vieille d’un siècle a nettement favorisé l’essor. Une enquête réalisée fin mars 2014 dans 800 foyers des 4 plus grandes villes du pays (La Paz, El Alto, Cochabamba, Santa Cruz), évoquait 71% de catholiques, 21% d’évangéliques et assimilés, 5% sans confession, 1% de mormons, 1% de témoins de Jéhovah et 1% d’autres. Si l’Église catholique bolivienne, de loin celle qui œuvre le plus dans l’éducation, la santé et la promotion humaine, apparaît encore généralement comme l’Église-mère, le maintien et le succès des sectes, y compris dans les zones rurales les plus isolées du pays, doit autant à des structures liées à l’idiosyncrasie locale qu’à un message simpliste qui fait son lit du manque de présence et de formation des catholiques.
Il faut dire que, depuis la conquête espagnole, l’Évangile n’a pas pénétré de la même manière dans les différentes régions du pays. Sans doute moins à cause des méthodes employées que des tempéraments des 36 ethnies amérindiennes qui le composent. À l’Ouest, les Aymaras ont résisté à l’évangélisation, n’adoptant que partiellement certaines dévotions catholiques, derrière lesquelles se devinent encore divers cultes précolombiens. Or, les zones rurales de l’Ouest, y compris celles dont les Jésuites furent les premiers apôtres, sont celles où la foi catholique s’affaiblit davantage aujourd’hui, au profit des sectes et de la « cosmovision andine », retour aux croyances ancestrales expressément appuyé par le pouvoir en place. Là, des fêtes au caractère religieux de moins en moins clair vont de pairavec un alcoolisme communautaire marqué, qui engendre toutes sortes de violences. Au contraire, dans les régions d’Oruro (Ouest), Cochabamba (Centre), Potosí et Sucre (Sud), l’Évangile a davantage pénétré les cœurs des quechuas, plus hospitaliers et confiants par nature. Aujourd’hui, le syncrétisme y est présent mais plus ténu, la pratique religieuse y est plus importante et les fêtes catholiques y sont célébrées avec une ferveur bien différente. Enfin, dans le Nord et l’Est, Moxos, Guaranis et Chiquitanos ont adhéré avec cœur à l’évangélisation des missions jésuitiques et demeurent étroitement liés au catholicisme.
12 diocèses et 6 vicariats apostoliques ou prélatures
Dans l’Est (Santa Cruz), le Sud (Tarija) et les secteurs miniers, la lecture populaire de la Bible génère davantage de laïcs engagés. Toutefois, dans nos 12 diocèses et 6 vicariats apostoliques ou prélatures, bien des catholiques attendent tout des prêtres. Certes, le rôle joué par les communautés ecclésiales de base, les assemblées et synodes diocésains, les conseils et plans pastoraux tant diocésains que paroissiaux, bref, tout semble contribuer à une saine décentralisation des pouvoirs. Mais la formation même des candidats aux ministères ordonnés n’est pas toujours libératrice, ni la pratique des ministres eux-mêmes, tant nationaux qu’étrangers. Ainsi, nombre de baptisés ont appuyé aveuglément le cardinal Julio Terrazas, rédemptoriste, archevêque de Santa Cruz de 1991 à 2013, y compris lorsqu’il prit des positions erratiques face au gouvernement d’Evo Morales.
C’est précisément sous ce gouvernement, lié de près ou de loin aux sectes néo-évangéliques, qu’a été approuvée en 2009 la nouvelle Constitution Politique de l’État et que le catholicisme a cessé d’être religion d’état. Si Evo Morales (le président du pays) reconnaît facilement que, dans l’Église, la base est souvent proche des pauvres, il n’hésite pas à afficher des opinions nettement moins favorables quant à la hiérarchie. En général, le dialogue entre Église et gouvernement est passé ces dernières années par des phases difficiles. Ainsi, lorsque Mgr Tito Solari, salésien, archevêque de Cochabamba de 1999 à 2014, de retour d’une visite pastorale dans le Chapare, confia à un journaliste, en novembre 2010, qu’il partageait la préoccupation des parents, du corps enseignant et enfin des pasteurs de cette zone tropicale de son diocèse, face à l’insécurité et à la perte d’autorité parentale suscitées par l’utilisation croissante des jeunes dans le trafic de la cocaïne, les producteurs de coca demandèrent aussitôt son expulsion, tandis que nombre d’hommes politiques volèrent à la défense des jeunes soi-disant insultés, menaçant au passage d’assujettir l’Église aux impôts nationaux. L’évêque italien a fini par demander pardon. Par-delà l’anecdote, le clergé de Bolivie est souvent partagé entre la ligne de la proximité, de l’engagement et du prophétisme, et celle des doubles-comptabilités, sinon des doubles-vies.
Puisse la visite du Pape François contribuer à revivifier notre Église, à l’heure où elle cherche une nouvelle place dans le monde, et l’aide à sortir d’elle-même pour aller à la rencontre de l’autre, pour évangéliser et se laisser évangéliser, et pour que chacun y exerce avec plus de sécurité la mission reçue.
P. Cyrille de Nanteuil, cm
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