« La Loi et la vie » par le Père Bruno Cazin
Réflexion du Père Bruno Cazin, médecin, sur « Choisis la vie. Heureux qui marche dans la loi du Seigneur », thème du Dimanche de la Santé, le 12 février 2017.
Le mot « loi » sonne mal à nos oreilles. Nous comprenons : interdits, exigences qui s’imposent, contraintes et sanctions. Si le respect de la loi s’impose à tout citoyen, les chrétiens du XXIème siècle épris de liberté et assoiffés de bonheur n’associent guère la foi et la loi. Alors comment accueillir cette affirmation de Jésus : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je suis venu non pas abolir mais accomplir la loi» ?
La Loi, dans la Bible n’est pas d’abord un code de préceptes. Elle est chemin qui ouvre à la vie et au bonheur. Elle est la mise en œuvre concrète de l’expérience fondatrice de la libération de l’esclavage en Égypte. Elle est exigence de justice et de droit, attention aux plus pauvres, à la veuve, à l’orphelin, à l’immigré, comme le rappellent les Prophètes à temps et à contre-temps. Respecter la Loi, c’est vivre pleinement l’alliance entre Dieu et son peuple. C’est répondre à l’invitation du Seigneur : « Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint » (Lv 19,2). Respecter la Loi, c’est sanctifier le Nom du Seigneur, comme nous le prions chaque jour dans le Notre Père.
Jésus porte la Loi à son accomplissement. Comme l’annonçaient les prophètes, la Loi est inscrite au plus profond des cœurs. Le respect de la Loi est bien davantage qu’une adhésion extérieure, même scrupuleuse ! Elle est amour de Dieu et du prochain, amour qui fonde les choix et les oriente en faveur de la vie. Or, « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5). L’Esprit d’amour qui unit le Père et le Fils nous est donné en partage. Il nous permet d’entrer dans « la sagesse du mystère de Dieu » (1 Co 2,7). Il nous permet de comprendre que « le langage de la croix est folie pour ceux qui vont à leur perte, mais, pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous, il est puissance de Dieu» (1 Co 1,18). Il nous permet de suivre Jésus dans la voie de l’amour donné, parce qu’il est sans cesse accueilli comme un don de Dieu, une grâce qui transforme la vie et conduit au bonheur. C’est ce même Esprit qui nous permet d’appeler Dieu Père et de vivre dans la confiance, y compris lorsque les épreuves de santé ou les difficultés de la vie nous accablent. Aussi, pouvons-nous dire avec l’apôtre Paul : « j’estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire qui va être révélée en nous » (Rm 8,18).
Celui qui suit la Loi du Seigneur, celui qui inscrit la Loi d’amour au plus profond de son cœur, celui-là peut aimer comme Jésus, se faire proche de ceux qui souffrent, manifester la puissance de la tendresse et de la miséricorde comme nous l’observons au quotidien dans les lieux de soins et dans les nombreuses circonstances où des hommes et des femmes œuvrent en faveur de la justice et de la paix. Comme Jésus, il déploie les béatitudes. Il fait l’expérience paradoxale du bonheur qui se révèle aux pauvres, aux doux, à ceux qui pleurent, à ceux qui sont persécutés pour la justice…
Ainsi, nous le voyons. La logique s’inverse. Il ne s’agit plus d’être irréprochable pour mériter le salut, « gagner le Ciel » comme on a pu dire. C’était « la justice des scribes et des pharisiens » (Mt 5, 20). Il s’agit d’accueillir l’amour gratuit de Dieu pour les hommes, de nous laisser toucher au plus intime de nous-mêmes pour que l’amour fonde nos choix. « Aime, et ce que tu veux, fais-le !» écrivait Saint Augustin (Homélies sur la première épître de saint Jean VII, 7-8) dans une phrase célèbre qu’on traduit parfois maladroitement par « Aime et fais ce que tu veux !» ce qui met moins en évidence l’importance d’une volonté instruite dans l’amour, c’est-à-dire d’une vie ajustée à la volonté de Dieu… la fameuse justice dont Jésus nous parle : « Si votre justice ne dépasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux » (Mt 5,20)
L’opposition entre la Loi et la grâce est l’un des points forts de l’enseignement de Saint Paul : « Il n’est pas question pour moi de rejeter la grâce de Dieu. Si c’était par la Loi qu’on devient juste, alors, le Christ serait mort pour rien» (Gal 2,21). Nous en saisissons toute la portée en comprenant combien Jésus est venu accomplir la Loi, lui donner tout son sens comme chemin de vie en alliance avec Dieu. C’est ainsi que la finale du sermon sur la montagne reprend l’invitation du Lévitique : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. (Mt 5,48).
Cette opposition n’est pas un problème théologique réservé aux spécialistes, ni une polémique entre juifs observants et juifs devenus disciples du Christ. Elle a toute sa pertinence pour nous aujourd’hui. Nous nous enfermons si volontiers en nous obstinant dans des impasses ou en nous crispant sur ce que nous croyons acquis. Le chemin que Jésus nous propose est celui de l’humilité et du service, un chemin où nous faisons l’expérience de nous recevoir des autres et de Dieu, un chemin où la pratique de la miséricorde nous configure toujours davantage au Christ et nous fait découvrir en lui la plénitude de la vie, ainsi que le proclama la béatitude oubliée qui conclut le récit du lavement des pieds dans l’Evangile selon Saint Jean: « Heureux êtes-vous si, sachant cela, vous le mettez en pratique. » (Jn 13,17)
J’en ai la conviction, après des années d’exercice médical hospitalier : Dieu se révèle dans les lieux de souffrance et de soins. Les personnes malades ainsi que ceux qui les soignent ou les accompagnent peuvent faire l’expérience heureuse des trésors de douceur et de gratuité qui manifestent la vocation de chacun à aimer et à être aimé. Plus la médecine est performante, puissante de ses techniques et de ses artifices, plus l’appel à l’attention aimante et à la tendresse se fait entendre à qui prête l’oreille. Nous ne sommes pas devant le choix cornélien entre les exigences scientifiques et le devoir d’humanité, mais bien devant le défi d’accomplir la Loi dans l’amour, de transformer les règles froides de nos normes qualité et des exigences de certification en qualité de relations humaines infiniment respectueuses du mystère de chacun. Voilà le choix qui s’offre à nous pour beaucoup « aient la vie et l’aient en abondance » (Jn 10,10).
Père Bruno CAZIN, vicaire général du diocèse de Lille, médecin, ancien praticien hospitalier en hématologie clinique au CHRU de Lille
Extrait du livret d’animation 2017