Mgr Jacques Habert : Terres d’espérance et Laudato Si’
Discours d’ouverture de Mgr Jacques Habert, évêque de Bayeux-Lisieux, lors du rassemblement rural : « Terres d’Espérance », le vendredi 22 avril 2022.
Je voudrais commencer mon intervention par un bref témoignage personnel. J’ai vécu les cinquante premières années de ma vie dans le monde urbain, la banlieue Est de Paris, le Val de Marne, le diocèse de Créteil. J’y ai été très heureux. Quand j’ai été nommé évêque dans l’Orne, le diocèse de Séez, j’ai fait une plongée assez radicale dans le monde rural. Un monde que je ne connaissais pas et qui m’a si bien accueilli. Le dépaysement fut profond. J’ai découvert des réalités que j’ignorais totalement, que ce soit au niveau de la ruralité et d’une façon plus spécifique dans le domaine agricole.
Dix ans après, je prends la mesure que ce ne fut pas seulement une expérience ecclésiale, géographique ou sociologique, mais ce fut peut-être surtout une expérience spirituelle. Combien de fois ce contact avec la nature, la beauté des paysages, la rencontre avec les agriculteurs et les défis auxquels ils sont confrontés, m’ont conduit à rendre grâce à Dieu, à prendre la mesure de cette parole prononcée chaque dimanche parfois de façon routinière : je crois en un seul Dieu le Père créateur. J’ai pris la conscience que cette vérité de foi était un trésor qui faisait de moi un privilégié. Tout cela, je le savais intellectuellement, la beauté de la création, nous renvoie à la bonté du créateur, mais je l’ai expérimenté. Avec cette action de grâce montait aussi des prières de supplications pour toutes les souffrances spécifiques que je découvrais : solitude, déclassement, désertification …
Aussi, lorsque le pape François a publié en 2014 son encyclique Laudato Si :
- J’ai senti qu’il formalisait de façon claire et simple toute ces questions.
- J’ai senti qu’il rejoignait avec perspicacité une aspiration de bien de nos contemporains dans une problématique tellement d’actualité celle de l’écologie au sens le plus profond de ce mot.
La crise du COVID n’a fait que renforcer cette impression première. Cet après-midi alors que nous entrons dans notre rassemblement Terres d’Espérance, nous allons de bien des façons croiser cette problématique de l’écologie, avec ces appellations diverses : la conversion écologique et l’écologie intégrale.
Un des fils rouges de notre rassemblement sera l’encyclique du pape. Dans ce texte d’une grande profondeur je dégage trois appels qui vont traverser notre rassemblement : un appel au dialogue, un appel à la cohérence et un appel à la responsabilité.
L’appel au dialogue
L’appel au dialogue ouvre en quelque sorte l’encyclique de François. Je le cite en son introduction au § 3 : Dans la présente encyclique, je me propose spécialement d’entrer en dialogue avec tous au sujet de notre maison commune. Le Pape ici, comme il le fait souvent, renvoie à la grande intuition de Paul VI sur le dialogue. Un dialogue exigeant que Paul VI appellera le dialogue du salut qui nous remet devant les questions essentielles de vie et de mort, de malheur ou de bonheur, d’échec ou de réussite.
Le monde rural nous pousse assez facilement à aborder ce genre de sujet. Il est, dans ce domaine, une école de réalisme assez radicale. Comment ne pas ici penser à la démarche synodale dans laquelle le pape nous a lancé en octobre dernier. Terres d’espérance aura une dimension synodale et toute sa préparation l’a été. C’est un des enjeux de notre rassemblement que se croisent en ce lieu des personnes situées différemment à bien des points de vue. C’est un beau défi à relever, je nous souhaite d’entrer dans cette logique du dialogue.
L’appel à la cohérence
L’appel à la cohérence c’est la fameuse formule, qui risque de devenir un slogan mais qui est pourtant si profonde : tout est lié. Je cite ici deux brefs paragraphes de l’encyclique : le paragraphe 66 : « l’existence humaine repose sur trois relations fondamentales intimement liées : la relation avec Dieu, avec le prochain », et avec la terre et le paragraphe 70 : « La négligence dans la charge de cultiver et de garder une relation adéquate avec le voisin, envers lequel j’ai le devoir d’attention et de protection, détruit ma relation intérieure avec moi-même, avec les autres, avec Dieu et avec la terre. »
Nous, les évêques de France, avons travaillé fortement ce lien tout spécialement lors de nos dernières assemblées plénières et spécialement celle de novembre dernier. Elle s’instituait clameur de la terre, clameur des pauvres. Notre rassemblement Terres d’Espérance va nous donner de réfléchir à toutes ces questions. A travers les tables rondes, les ateliers, nous allons être convoquer à la cohérence entre ce que nous croyons, ce que nous expérimentons.Deux grandes vérités de la doctrine sociale de l’Église traverseront nos débats, celle du bien commun, celle de la destination universelle des biens.
L’appel à la responsabilité
Un appel à la responsabilité ; il faut ici s’entendre sur le terme de responsabilité. Ce n’est pas d’abord la responsabilité qui nous écrase et nous culpabilise. Certes nous sommes convoqués à cette vigilance. Je parle ici de la responsabilité de celui qui prend la mesure du trésor qu’il possède. Ce trésor je le prends au § 77 de Laudato Si : L’amour de Dieu est la raison fondamentale de toute la création. Par conséquent, chaque créature est l’objet de la tendresse du Père, qui lui donne une place dans le monde.
Notre rassemblement terres d’Espérance porte toute cette dimension de la proposition de la foi, de l’évangélisation, de la présence de l’Eglise et des chrétiens dans des lieux souvent pauvres en ce domaine. Nous avons récolté dans les ateliers des témoignes d’une grande beauté et d’une belle simplicité. Ils s’appuient souvent sur un émerveillement, c’est le titre même de l’encyclique Laudato Si : Loué sois-tu. Cet émerveillement n’est pas de la naïveté. C’est le même Saint François qui chante la louange du Seigneur, qui reçoit les stigmates.
Nous ne serons de bons évangélisateurs que si nous sommes des hommes et des femmes émerveillées. Nous voyons quel défi nous attend dans le monde qui le nôtre. Ne portons pas notre devoir d’évangéliser comme une mission impossible ou secondaire. Recevons-le comme une conséquence logique de notre émerveillement. Dans ce sens, les conseils que le pape François nous donner sur une spiritualité peuvent vraiment nous aider.
Je conclus en le citant de nouveau § 220 : la conversion écologique conduit le croyant à développer sa créativité et son enthousiasme, pour affronter les drames du monde en s’offrant à Dieu « comme un sacrifice vivant, saint et agréable » (Rm 12, 1). Il ne comprend pas sa supériorité comme motif de gloire personnelle ou de domination irresponsable, mais comme une capacité différente, lui imposant à son tour une grave responsabilité qui naît de sa foi.
Entrons dans notre rassemblement en recevant avec ferveur ce triple appel : dialogue – cohérence – responsabilité