A Lampedusa, François demande pardon pour l’indifférence envers les migrants
Le Pape François s’est rendu sur l’île italienne de Lampedusa, au large de la Sicile, porte d’entrée en Europe de migrants africains. Pour son premier voyage depuis son élection, il a souhaité rencontrer des migrants, prier pour ceux morts en mer mais aussi « réveiller les consciences ».
« Immigrés morts en mer, dans ces bateaux qui au lieu d’être un chemin d’espérance ont été un chemin de mort. Il y a quelques semaines, quand j’ai appris cette nouvelle, qui malheureusement s’est répétée tant de fois, ma pensée y est revenue continuellement comme une épine dans le cœur qui apporte de la souffrance. J’ai alors senti que je devais venir ici aujourd’hui pour prier, pour poser un geste de proximité, mais aussi pour réveiller nos consciences pour que ce qui est arrivé ne se répète pas. S’il vous plaît, que cela ne se répète pas ! ». Le Pape a ensuite remercié les habitants et les autorités de Lampedusa de leur solidarité avec les immigrés et, parmi eux, il a salué les musulmans qui aujourd’hui commencent le jeûne du ramadan, en disant : « L’Eglise vous est proche dans la recherche d’une vie plus digne pour vous et vos familles… Ce matin, à la lumière de la Parole de Dieu que nous avons écoutée, je voudrais proposer des paroles qui surtout provoquent la conscience de tous, poussent à réfléchir et à changer concrètement certaines attitudes. « Adam, où es-tu ? » c’est la première question que Dieu pose à l’homme après le péché. Adam est un homme désorienté qui a perdu sa place dans la création parce qu’il croit devenir puissant, pouvoir tout dominer, être Dieu. Et l’harmonie se rompt, l’homme se trompe et cela se répète aussi dans la relation avec l’autre qui n’est plus le frère à aimer, mais simplement l’autre qui dérange ma vie, mon bien-être. Et Dieu pose la deuxième question: « Caïn, où est ton frère? ». Le rêve d’être puissant…ou même d’être Dieu, génère une chaine d’erreurs qui est l’engrenage de la mort, et conduit à verser le sang de son frère! Ces deux questions de Dieu résonnent encore aujourd’hui avec toute leur force ! Tant de nous, et moi aussi, sont désorientés. Nous ne sommes plus attentifs au monde dans lequel nous vivons… Nous ne prenons pas soin de ce que Dieu a créé pour tous et nous ne sommes plus capables non plus de prendre soin les uns des autres. Et quand cette désorientation prend les dimensions du monde, on en arrive à des tragédies comme celle à laquelle nous avons assisté ».
« Où est ton frère ? » la voix de son sang crie vers moi, dit Dieu. Il ne s’agit pas d’une question adressée aux autres, mais d’une question adressée à moi, à toi, à chacun de nous. Ces frères et sœurs cherchaient à sortir de situations difficiles pour trouver un peu de sérénité et de paix. Ils cherchaient un endroit meilleur pour eux et leurs familles, mais ils ont trouvé la mort. Combien de fois ceux qui cherchent cela ne trouvent pas compréhension, ne trouvent pas accueil, ne trouvent pas solidarité ! Et leurs voix montent jusqu’à Dieu ! J’ai rencontré quelques unes de ces personnes qui sont passées par les mains des trafiquants. La pauvreté des autres représente une source de bénéfices… Quelle souffrance et certains n’ont pu arriver à destination !
« Où est ton frère ? » Qui est responsable de ce sang ? Dans la littérature espagnole, il existe une comédie de Lope de Vega qui raconte comment les habitants de la ville de Fuente Ovejuna tuent le gouverneur parce que c’est un tyran, et le font de façon à ce que l’on ne se sache pas qui a procédé à l’exécution. Et quand le juge du roi demande qui a tué le gouverneur, tous répondent : Fuente Ovejuna, monsieur! Tous et personne. Aujourd’hui aussi cette question émerge avec force : Qui est le responsable du sang de ces frères et sœurs ? Personne ! Nous répondons tous ainsi : ce n’est pas moi… les autres, mais pas moi. Mais Dieu demande à chacun de nous : Où est le sang de ton frère qui crie jusqu’à moi ? Aujourd’hui, personne dans le monde ne se sent responsable de cela. Nous avons perdu le sens de la responsabilité fraternelle. Nous sommes tombés dans l’attitude hypocrite du prêtre et du serviteur de l’autel dont parle Jésus dans la parabole du bon Samaritain. Nous regardons notre frère à moitié mort sur le bord de la route, peut-être pensons-nous « le pauvre » et nous continuons notre route, ce n’est pas notre affaire, et avec cela nous nous mettons l’âme en paix. La culture du bien être qui nous amène à penser à nous-mêmes, nous rend insensibles aux cris des autres, nous fait vivre dans des bulles de savon qui sont belles mais ne sont rien, qui ne sont que l’illusion du futile, du provisoire, qui conduit à l’indifférence envers les autres, et qui conduit même à une mondialisation de l’indifférence. Nous sommes habitués à la souffrance des autres, cela ne nous concerne pas, ne nous intéresse pas, n’est pas notre affaire !… La mondialisation de l’indifférence nous rend tous « innommés », des responsables sans nom et sans visage ».
« Adam où es-tu ? », « Où est ton frère ? » sont les deux questions que Dieu pose au début de l’histoire de l’humanité et qu’il adresse aussi à tous les hommes de notre temps, à nous aussi. Mais je voudrais que nous nous posions une troisième question : Qui de nous a pleuré pour ce fait et pour d’autres comme celui-ci ?, pour la mort de ces frères et sœurs ? Qui a pleuré pour ces personnes qui étaient sur le bateau ? Pour les jeunes mamans qui portaient leurs enfants ? Pour ces hommes qui désiraient quelque chose pour soutenir leurs familles ? Nous sommes dans une société qui a oublié l’expérience des pleurs, ce qu’est souffrir avec. La mondialisation de l’indifférence nous a ôté notre capacité de pleurer ! Dans l’Evangile nous avons écouté le cri, les pleurs, la longue plainte: Rachel pleure ses enfants… parce qu’ils ne sont plus. Hérode a semé la mort pour défendre son bien-être, sa bulle de savon. Et cela continue de se répéter. Demandons au Seigneur d’effacer ce qui reste d’Hérode dans nos cœurs. Demandons au Seigneur la grâce de pleurer sur notre indifférence, sur la cruauté qu’il y a dans le monde, en nous, même chez ceux qui dans l’anonymat prennent des décisions socio-économiques qui ouvrent la voie à des drames comme celui-ci… Seigneur, dans cette liturgie qui est une liturgie de pénitence, nous demandons pardon pour notre indifférence envers nos frères et sœurs. Nous te demandons pardon pour ceux qui se sont habitués, se sont fermés dans leur bien-être qui entraine l’anesthésie du cœur. Nous te demandons pardon pour ceux qui par leurs décisions au niveau mondial ont créé des situations qui conduisent à ces drames ».
Source : VIS du 8 juillet 2013
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