Vers une meilleure intégration des personnes divorcées

Visuel familles 2011A la suite de la publication de l’exhortation sur la famille Amoris laetitia, une enquête auprès des diocèses sur l’intégration des personnes divorcées, séparées, remariées avait été lancée à l’automne 2016 par le service national Famille et Société de la Conférence des évêques. Un premier bilan est possible à partir des réponses de 58 diocèses métropolitains. C’est d’abord la grande diversité des pratiques qui ressort de ces réponses : de l’absence totale de propositions dans quelques diocèses à une pluralité d’initiatives dans d’autres ; de la mise en route sur le sujet à l’appui sur une longue pratique ailleurs. Un point de convergence peut toutefois être souligné au regard des réponses : l’importance des petits groupes de partage, véritables lieux d’accueil des personnes.

La question se pose de proposer une réponse diocésaine à la fois construite et proche de la situation des personnes séparées, divorcées, remariées ; certains diocèses y travaillent. Dans le cadre de ce petit bilan d’étape, on se contentera d’une approche plutôt descriptive.

Dépasser les constats chiffrés

L’estimation du nombre de personnes participant à des propositions est difficile, un tiers des répondants ne donne d’ailleurs aucun chiffre. La très grande disparité des réponses, de moins de 10 personnes à 250 invite à ne pas s’arrêter sur une moyenne statistique peu significative.

Par contre on peut faire un constat de bon sens : plus il y a de propositions, plus il y a de participants. Sur les 8 diocèses (d.) qui indiquent plus de 60 participants, 7 disposent d’une équipe/personne missionnée pour la pastorale des personnes divorcées, toujours en lien étroit avec la PF. On peut aussi noter la présence de diacres sur cette mission (11d.).

Des propositions dans les diocèses

A la lecture des réponses nous rassemblons les pratiques autour de trois pôles « proximité, visibilité, formation ».

  • La proximité : accueil et accompagnement

Pour favoriser l’accompagnement, les petits groupes existent dans 40 diocèses, souvent portés par les paroisses, parfois liés à un mouvement. On y vit l’accueil, le partage, la relecture de vie, la prière, la formation etc. Ils peuvent être des lieux de passage.

D’autres propositions au plus près des personnes: l’accompagnement des temps de prière à l’occasion du remariage civil (12 d.), l’accueil individuel (9 d.), l’écoute téléphonique, l’accompagnement spirituel, un parcours de discernement

  • La visibilité : les temps forts diocésains

Des propositions régulières : journées diocésaines, ou temps de réflexion réguliers (jusqu’à 4 fois/an) dans 16 d. pour se former, prier, se rencontrer ; la présence de l’évêque et la régularité sont des éléments importants. Des temps festifs, type randonnée ou pique-nique, sont aussi organisés (4 d.), des retraites (7 d.), soirée prière etc.

D’autres événements sont plus ponctuels : soirée témoignage ou information ;  célébrations autour de la miséricorde (6 d.), certaines ont pu avoir un grand écho.

  • La formation/l’information

La formation des personnes divorcées a été évoquée dans le pôle proximité. Il s’agit ici de la formation des acteurs pastoraux : prêtres, laïcs en responsabilité, accompagnateurs de groupes diacres qui accompagnent les temps de prière, équipes d’accueil, évoquée par 9 d.. Un diocèse précise : « Il ne peut pas y avoir d’accompagnement des personnes blessées sans formation,  expérience, supervision, relecture ». Cette formation passe aussi par des documents diocésains remis aux pasteurs ou laïcs en mission, (10 d.) : directoire, fiches, orientations, et documents du type « préparation d’une prière à l’occasion d’un remariage civil ».

Pour ce qui est de l’information des personnes, cela passe classiquement par des tracts et des affiches pour 10 d. Mais quid d’internet ? Reste la question : « comment aller au-devant des personnes, les sortir de la culpabilité et les conduire à un retour vers la communauté ecclésiale ? » ; elle ne peut se penser sans impliquer les communautés.

Ce recensement en trois pôles, proximité/visibilité/formation, montre que les diocèses ne sont pas restés inactifs sur le front du compagnonnage avec les personnes divorcées, première marche pour l’intégration. Certaines équipes ont d’ailleurs des lettres de mission, qui soutiennent ce travail. Ces pôles sont parfois très bien articulés, le local nourrissant le diocésain, le diocésain soutenant les propositions de proximité. Le pôle formation plus transversal, apparaît globalement un peu léger.

La présence des mouvements

Des mouvements sont cités par la moitié des  diocèses. Il s’agit de Chrétiens divorcés chemin d’espérance, parfois sous d’autres dénominations (16 d.) ; Communion Notre-Dame de l’Alliance (14 d.) ; Renaissance (11 d.) ; Cana (8 d.) ; Équipes Reliance (7 d.). Puis Amour et Vérité (3 d.), Miséricorde et Vérité (2 d.) et quelques autres ici ou là. Les centres spirituels sont évoqués, comme des lieux intéressants au niveau régional.

L’articulation diocèse/mouvement/paroisse n’est pas toujours simple. Comment s’appuyer sur les mouvements nationaux, tout en impliquant les communautés croyantes ? Un diocèse fait remarquer que les mouvements ont des propositions très séparées selon les situations de vie, les paroisses étant dans une logique différente.

Intégration et exclusions

Nous ne sommes pas ici dans du quantifiable, un certain nombre ne répondent d’ailleurs pas à cette question ou indiquent qu’il n’y a rien de particulier à signaler. La situation est plurielle : des refus qui sont des « positions violentes », en contraste avec d’autres attitudes, de celles « qui leur donnent toute leur place de chrétiens dans les activités de l’Église ou dans des mouvements ».

La question de l’intégration, qui n’est pas forcément de l’ordre de l’évidence dans ses manifestations concrètes, ne peut être laissée de côté. En résumé dit un diocèse « globalement il y a un accueil ». Mais au-delà du global ? Les situations et lieux d’exclusion dessinent en creux des itinéraires possibles d’intégration, et en appellent à un nouveau regard.

Nous repérons trois lieux-clés pour l’intégration à la lecture des réponses : l’auto-exclusion ; l’accueil fraternel ; la vie liturgique et pastorale.

  • L’auto-exclusion

La première exclusion « concerne la personne elle-même qui a des difficultés à entrevoir sa place et n’envisage pas (ou difficilement) la communauté chrétienne comme un soutien dans ce qu’elle vit ».  Des personnes peuvent se sentir ou se croire exclues de l’Église. Se mêle à cela la question de la souffrance.

Un témoignage : « Quant à l’exclusion sociale, la séparation ou le divorce constitue une véritable rupture, une véritable difficulté avec des ruptures intra et extra familiale mais aussi au niveau de nos engagement dans nos paroisses. Cette exclusion n’est pas toujours due aux personnes engagées dans l’Eglise mais parfois plus à soi-même, au regard que l’on porte sur soi…c’est plus nous qui nous excluons du fait de notre mal être alors que l’Eglise nous accueille. Le groupe des 30-40 ans accueille mais ils sont tous mariés avec de nombreux enfants. C’est difficile de se sentir à notre place au milieu de ces couples débordant d’amour ».

Il reste un travail à faire en direction des personnes divorcées pour qu’elles ne s’excluent pas elles-mêmes de la communauté.

  • Un accueil parfois fragile

Des témoignages sont donnés d’une « Église qui n’a pas su accueillir et écouter réellement ». Certes, les personnes restant seules subissent parfois un évitement de certaines familles plus que de la part de la communauté paroissiale elle-même. Mais pour certains « On a déjà assez de travail avec les bons chrétiens ».

Il est difficile d’accompagner, en témoignent des conseils tranchés comme celui de quitter son compagnon, ou l’absence de toute parole sur le divorce, pour ne pas peiner. Autant de difficultés, et tant d’autres, résumées dans cette question : « Certains prêtres ne souhaitent pas  » s’emparer » de ce suivi pastoral. Peur de ne pas respecter la doctrine ? De prendre des risques, de ne pas respecter l’indissolubilité ? Manque de temps, de charismes à l’écoute ? Ne se sentent pas mandatés pour cela ? N’ont pas de directives claires ? ».

Un témoignage : « Des personnes témoignent d’une difficulté vécue dans l’Eglise. Elles ne sont parfois pas écoutées ou renvoyées à leurs souffrances et à leur sentiment d’abandon. Certaines personnes font du « porte à porte », « de paroisse en paroisse » jusqu’à trouver un prêtre qui réponde à leur demande. ».

La question de la formation à l’écoute et au discernement se pose donc de façon vive pour tous les acteurs pastoraux.

  • La vie liturgique et pastorale

Des diocèses notent des exclusions de responsabilités et de services après un divorce ou après l’engagement dans une nouvelle union, et ce parfois  « sans aucun accompagnement ni discernement ». Des exclusions explicites, ou implicites « on ne fait plus appel aux personnes …on ne les sollicite plus ». Cela concerne plusieurs champs de la vie pastorale et liturgique : transmission de la foi, lecture de la Parole de Dieu, animation liturgique et paroissiale, vie sacramentelle. Mais aucun diocèse ne mentionne d’exclusion dans le champ de la diaconie, et l’on note ici ou là des responsabilités en lien explicite avec le vécu du divorce. Ainsi, le témoignage de personnes divorcées est parfois sollicité pendant le parcours vers le diaconat ou par des équipes préparant le mariage ; « dans le but de rendre attentif aux souffrances chez les personnes en échec matrimonial » (diaconat) et pour réfléchir et témoigner. Mais ce lieu d’intégration peut aussi être lieu d’exclusion, des équipes refusent sans même rencontrer les personnes.

La transmission de la foi : dans certaines paroisses les personnes divorcées ne peuvent pas faire de catéchèse, « Peu de prêtres refusent que des personnes remariés continuent la catéchèse ou l’aumônerie » lit-on : cela semble marginal mais reste une réalité. La Parole de Dieu : ici ou là les personnes ne peuvent pas assurer la lecture de l’Ecriture. Ce témoignage le dit en creux : « Une personne seule, ayant obtenu la déclaration en nullité de son mariage, tient à témoigner combien le regard de sa communauté a changé vis à vis d’elle et qu’elle a pu reprendre sa place de lectrice dans sa paroisse ». Ces situations semblent toutefois peu fréquentes. L’animation liturgique, paroissiale : difficulté d’une place en animation liturgique, notamment pour distribuer la communion, en conseil pastoral, au sein de l’eucharistie dominicale. La vie sacramentelle : point peu évoqué dans les réponses à l’enquête. Sans surprise, on note deux lieux ressentis comme de l’exclusion : la réconciliation et l’eucharistie pour les divorcés vivant une nouvelle union, avec la question particulière des catéchumènes divorcés ou mariés à un(e) divorcé(e). « Ce qui leur est proposé s’apparente parfois plus à un piétinement qu’à un cheminement », dit un diocèse. On signale plusieurs fois des refus de sacrements à des personnes divorcées seules, ce qui témoigne d’une méconnaissance de la discipline.

Personnes remariées/non remariées : des propositions pour une part communes

Quant à la question de la distinction des situations comme y invite Amoris laetitia, les répondants se sont arrêtés sur les propositions concrètes et la façon dont elles étaient organisées.

Un tiers des diocèses a des groupes/propositions avec une distinction nette entre les personnes remariées/non remariées, « pour que tous soient à l’aise ».

Un tiers ne fait pas de distinction, « le but est de mixer les réalités pour s’enrichir des uns les autres et non de stigmatiser en faisant un groupe entre eux ».

Pour le dernier tiers, il y a à la fois du commun et du distinct : « nous avons fait le choix de ne pas avoir deux pastorales distinctes selon que les personnes sont divorcées ou divorcées remariées. Nous partons des personnes et non de la discipline de l’Église ; les journées de partage et de prière s’adressent à tous, mais nous veillons à prendre en considération la complexité des situations en constituant des carrefours qui tiennent compte des situations ; pour les groupes de parole et de reconstruction, nous encourageons la création de groupe homogènes et donc différents selon les situations, si c’est possible ».

En route avec Amoris laetitia

Amoris laetitia est perçue comme un nouveau départ sur la question de l’intégration. Le nouveau regard auquel nous invite l’exhortation est certes exigeant, mais surtout plein de promesses. Plusieurs diocèses indiquent être en pleine réflexion, notamment pour des itinéraires de discernement, certains propositions en ce sens ont déjà été rendues publiques.

La question d’un autre climat se pose aussi : « Il nous semble qu’un souffle nouveau s’est installé et qu’il nous invite à aller à la rencontre de tous ceux qui se cachent, sont en colère contre l’Église ou tout simplement trop anéantis et épuisés. Reste juste à trouver leurs cachettes, leurs maisons et trouver la bonne clef pour les inviter à sortir et à faire une promenade tous ensemble ». On peut penser que le terreau déjà labouré dans les diocèses facilitera ce nouveau climat.

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