Spiritualité matrimoniale et familiale
Présentation du chapitre neuf d’Amoris laetitia, provenant de l’édition annotée de « La joie de l’amour » aux éditions Lessius Fidélité (2016), avec l’aimable autorisation de l’éditeur.
Ce chapitre conclusif s’emploie à valoriser la spiritualité matrimoniale et familiale. Le pape approfondit la présence de Dieu dans la communion familiale et conjugale, « un chemin que le Seigneur choisit pour conduire ceux qui [le suivent] aux sommets de l’union mystique » (316), au cœur de la vie. Ce chemin est avant tout une dynamique d’amour, qui trouve sa source dans la communion trinitaire. Chaque conjoint étant signe et moyen de la proximité de Dieu (« la vie en couple est bien une participation à l’œuvre féconde de Dieu » [321]), il n’est pas étonnant que l’appel universel à la sainteté soit ici évoqué. Le texte insiste par ailleurs sur la fécondité spirituelle des réalités humaines lorsqu’elles s’ouvrent à la présence de Dieu : « La spiritualité matrimoniale est la spiritualité du lien habité par l’amour divin » (315). Dieu établit sa demeure dans les réalités familiales. C’est là que se vit la croissance spirituelle, car « la spiritualité de l’amour familial est faite de milliers de gestes réels et concrets » (315). Les familles peuvent alors donner à voir l’amour de Dieu dans l’ordinaire des jours.
L’amour exclusif des époux est un lieu de croissance en liberté. Le sens spirituel de la décision de fidélité réciproque se déploiera et trouvera son aboutissement dans la communion au mystère du Christ. C’est en effet le Christ qui est le maître et le Seigneur des cœurs ; chacun des époux est pour l’autre un don de Dieu qui s’approfondit jour après jour dans la fidélité, le défi et le désir de vieillir ensemble (cf. 319). Non que toute la vie spirituelle se vive de façon fusionnelle : la fidélité des conjoints appelle plutôt à cesser d’attendre de l’autre « ce qui est propre à l’amour de Dieu », c’est-à-dire une « autonomie saine ». La valeur de la communion conjugale demande une relation personnelle à Dieu, un espace exclusif que chaque conjoint lui réserve dans la solitude. De cet espace de « liberté intérieure » (320) pourra surgir une véritable attention aux autres : «C’est une profonde expérience spirituelle de contempler chaque proche avec les yeux de Dieu et de reconnaître le Christ en lui » (323).
Ce chemin de dépouillement intérieur renvoie au mystère pascal. Aucun événement familial n’y est étranger, que ce soit dans la participation au mystère de la croix dans « les douleurs, les angoisses les jours difficiles » (317), voire dans la sexualité (cf. 154), ou dans la participation à la résurrection dans la joie, le repos, la fête, la sexualité (cf. 317). La modalité de la vie conjugale chrétienne n’est pas présentée comme une réalité désincarnée mais au contraire comme un don pascal qui s’actualise dans la prière. L’eucharistie y tient une place fondatrice comme renouvellement et approfondissement de la grâce matrimoniale. Elle est à la fois le lieu fondateur et le renouvellement de l’Alliance, du don réciproque et de l’ouverture à la dimension eschatologique de toute relation, « jusqu’au jour où Dieu sera tout en tous » (1 Co 15, 28).
Au fil de l’exhortation, on a pu remarquer l’importance des émotions, la joie, la douleur, la peine, la passion, etc. À partir de ce regard sont déployées de façon novatrice quelques notes spécifiques d’une spiritualité familiale incarnée : l’attention, le soutien mutuel, la consolation, l’encouragement, la tendresse… Elles sont convoquées comme attitudes à avoir dans la vie familiale la plus quotidienne : elles pourront soutenir les familles dans leur participation à l’œuvre de Dieu. Ainsi, encourager nos proches et leur donner les moyens de grandir, c’est reconnaître en eux la bonté que Dieu y a semée — véritable expérience spirituelle (321-323). Fondamentalement, c’est à une spiritualité de l’ouverture qu’invite l’exhortation, l’hospitalité la traduisant concrètement. Ainsi la spiritualité familiale est-elle au service du monde.
La famille de Nazareth, présentée en icône à toutes les familles dans le premier chapitre, est à nouveau offerte à la contemplation dans la prière d’envoi : « Fais aussi de nos familles un lieu de communion. » Mais, en rappelant l’ultime dimension de toute vie de famille, l’exhortation s’ouvre à l’horizon eschatologique : « Aucune famille n’est une réalité céleste et constituée une fois pour toutes. » C’est seulement dans le Royaume que nous vivrons la plénitude et la perfection des relations : toute famille est en devenir. Le « cheminement », dimension cardinale de toute vie conjugale et familiale, est encore souligné ici. Les familles sont appelées à une maturation progressive de leur capacité d’aimer. Là est leur joie.
Oranne de Mautort et Frédérique Poulet