La réalité et les défis de la famille

Famille_Roms_bidonvillePrésentation du chapitre deux d’Amoris laetitia, provenant de l’édition annotée de « La joie de l’amour » aux éditions Lessius Fidélité (2016), avec l’aimable autorisation de l’éditeur.

Après avoir puisé à la source de l’Écriture qui donne « un ton approprié » à son exhortation, François se penche dans ce deuxième chapitre sur la situation actuelle des familles. Il s’agit bien de «garder les pieds sur terre » (6), en s’appuyant très largement sur les observations parvenues du monde entier et relayées lors des synodes de 2014 et 2015. Ces réflexions ne produisent pas « un stéréotype de la famille idéale », mais il s’en dégage un « collage » ou «patchwork » qui interpelle car « constitué de nombreuses réalités différentes remplies de joies, de drames et de rêves » (57). Prêter attention à la réalité concrète des familles dans sa diversité, c’est se mettre à l’écoute des « appels de l’Esprit » qui « se font entendre à travers les événements de l’histoire  » (31).

Les changements anthropologiques et culturels que connaissent nos sociétés appellent à un discernement. Nous sommes face à des phénomènes ambigus. La valorisation de la personne et de son autonomie, un accroissement de liberté de choix sont des évolutions positives qui permettent à chacun de déployer ses capacités, mais la montée de l’individualisme est aussi source de souffrances quand tout s’accélère et qu’on est «moins soutenu par les structures sociales qu’auparavant » (33). L’idéal du mariage  avec « son engagement d’exclusivité et de stabilité » (34) se trouve alors bien fragilisé et difficile à proposer.

Beaucoup d’autres facteurs affectent l’institution  familiale : la culture du «Utilise puis jette », touchant aussi bien les objets et l’environnement que les personnes, la diffusion de la pornographie, le déclin démographique dans certaines parties du monde, mais aussi le manque de logement ou de travail, les contraintes économiques, les migrations forcées… Le pape, à la suite des pères synodaux, n’hésite pas à évoquer la réalité de la violence qui surgit hélas trop souvent l’intérieur même de la famille ou les abus dont sont victimes les enfants. On est loin d’une vision idéale de la famille ! Tout en s’attardant sur la réalité des familles touchées par des situations de handicap et sur les personnes âgées, François insiste sur la condition des familles « submergées par la misère », dont il souligne que l’Église doit avoir à cœur «de les comprendre, de les consoler, de les intégrer  en évitant de leur imposer une série de normes » (49).

Parmi les défis qu’avait fait remonter la large consultation préparatoire aux synodes, le pape s’attarde ensuite sur des sujets aussi variés que la crise de la fonction éducative, la toxicomanie et les diverses formes d’addiction, les évolutions juridiques au sujet du mariage, la polygamie. Il regarde l’évolution de la condition féminine en voyant comme «une œuvre de l’Esprit » la reconnaissance «plus claire de la dignité de la femme  et de ses droits » (54), tout en soulevant la question du rôle de l’homme au sein de la famille. Il s’inquiète des conséquences de ce qu’il qualifie d’« idéologie du gender  » et des effets de la révolution biotechnologique dans le domaine de la procréation.

Pour autant, il n’est pas question pour l’Église de s’enfermer dans « une dénonciation rhétorique des maux actuels » (35) ou dans des « lamentations autodéfensives » (57). Le regard sur les réalités concrètes doit soutenir « une pastorale positive, accueillante, qui rend possible un approfondissement des exigences de l’Évangile », suivant en cela la prédication et l’attitude de Jésus (38). Dans quelques paragraphes en début de chapitre, le pape invite même l’Église à une humble démarche d’« autocritique » (36) pour reconnaître comment sa manière de présenter ses convictions et de traiter les personnes « ont contribué à provoquer ce dont nous nous plaignons aujourd’hui » (36). Il souligne notamment la nécessité de « laisser la place à la conscience  des fidèles » (37) et de ne pas en rester à un idéal trop abstrait loin des situations concrètes (36).

Finalement, ce regard sur la réalité de la situation des familles dans le monde d’aujourd’hui, avec ses difficultés et ses complexités, est un appel à réveiller « une créativité missionnaire » et à libérer « les énergies de l’espérance » (57).

Grégoire Catta et Bertrand Cassaigne

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