Qui est-il cet embryon ? Qu’est-ce que ce « corps embryonnaire » ?

 Alain Mattheeuws s.j., le mercredi 12 mai 2010

Véritable « carrefour » du débat éthique, le statut de l’embryon serait-il une énigme insondable ? Élements de réponse du Père Alain Mattheeuws qui nous aide à réflechir sur l’un des enjeux majeurs de la prochaine révision des lois de bioéthique.

blogbioethiqueAlainMattheeuwsDe nombreuses questions bioéthiques passent par ce « carrefour » où notre intelligence et notre cœur sont convoqués pour élaborer une réponse à cette apparente énigme du statut de l’embryon (1). S’il ne s’agissait que d’un matériau biologique, purement extérieur à notre corps et étranger à la symbolique humaine, nous pourrions l’utiliser à bon escient pour de multiples usages en gardant à l’horizon le désir de faire le bien. Mais s’il est « autre chose » à la fois de plus proche et de plus lointain que nous, la manière de le traiter devient un carrefour éthique incontournable et décisif pour l’humanité.

Dans le langage théologique, on a coutume de rendre compte ultimement du lien entre tout homme et Dieu par le mot « création » : l’infiniment grand comme l’infiniment petit appartiennent au Créateur qui est présent au mystère de ses créatures : « Je n’étais qu’une ébauche et tes yeux m’ont vu » (2). Pour le chrétien, Dieu fait alliance avec ce qu’il crée : il établit un lien personnel et gracieux entre l’être humain et lui. Le Concile Vatican II s’exprimait ainsi : « L’homme est la seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même » (3).

Cette volonté de Dieu n’est ni un concept, ni une idée, ni une loi des hommes ni l’expression de désirs complexes. Nulle part, au ciel ou sur la terre, il n’existe de mini-embryons, de pré-embryons, de créatures potentielles, d’âmes en stock prévisionnel pour d’éventuelles conceptions et procréations. L’amour de Dieu pour ses créatures est personnel. Cette puissance est intérieure aux actes humains qui permettent la conception d’un nouvel être humain : que ce soit l’acte de l’homme et de la femme, ou les processus engagés par un biologiste qui opère la fécondation d’un ovule et d’un spermatozoïde. Dieu n’est pas à côté des actes humains. Il n’y a pas non plus comme un « no man’s land », de temps ou d’espace, où sa « présence » serait « absence ».

On peut dire ainsi que Dieu est toujours présent au « corps embryonnaire » (4). Il se laisse comme « toucher », « guider » par les personnes qui conçoivent un embryon. Dès que le « corps embryonnaire » paraît, quels que soient les modalités de son surgissement, nous avons l’assurance que Dieu s’est engagé dans ce corps. Ces termes « corps embryonnaire » sont originaux : ce n’est plus uniquement un vocabulaire scientifique ni une affirmation dogmatique que suggère la réflexion ecclésiale. Il s’agit du « corps embryonnaire » d’un être humain de notre espèce. Dieu est présent à l’intime du corps car « le corps est pour le Seigneur et le Seigneur est pour le corps » (5). Nous saisissons que Dieu n’est pas « ailleurs ». Il est présent au mystère du « nouveau-conçu ».

Il assume de manière paternelle le « corps embryonnaire » de l’être humain, tel qu’il est. Celui-ci n’est-il pas parfois marqué par un handicap, des mutations génétiques, des défaillances chromosomiques, des faiblesses protéiques, des défauts physiques majeurs qui hypothèquent son temps de vie sur la terre ? S’il est de l’espèce humaine, le « corps embryonnaire » n’est-il pas même habité de la présence de Dieu ? C’est pourquoi il mérite le respect inconditionnel dû à tout être humain.

La manière dont il a été conçu peut être maladroite ou immorale : elle ne nie cependant pas sa réalité personnelle en train de se développer et de s’exercer petit à petit. Elle n’oblitère pas la dignité qui lui est propre et qu’on ne peut pas nier sans le blesser et sans nous blesser dans notre dignité d’homme. Mais il est normal, pour l’anthropologie chrétienne, d’affirmer que le « berceau anthropologique » de l’être humain ne peut pas être n’importe quel acte. A la bonté de l’acte créateur doit correspondre la bonté d’un acte d’amour conjugal, d’un homme et d’une femme liés par une promesse d’amour. A la bonté et à l’innocence d’un nouvel être humain doivent correspondre la beauté et la grandeur d’un acte conjugal « posé par amour ». Si l’homme et la femme sont créés « à l’image et à la ressemblance » de Dieu , il est bon qu’ils posent les gestes corporels propres à accueillir tout nouvel être humain qui sera lui aussi « à l’image et à la ressemblance » du Créateur.

Cette logique interne de l’amour créateur est inscrite dans l’histoire des corps humains personnels. Respecter le corps de l’être humain, à tous les âges de la vie, c’est toujours honorer la promesse de l’alliance. Toucher le corps de l’homme, c’est toucher l’homme car le corps, c’est la personne déjà visible. Sans les mots du corps, que saurions-nous de « celui qui vient d’être conçu » ? Le « corps embryonnaire » nous dit l’existence d’un mystère personnel que nous avons à appréhender par la raison et par le cœur. Si la grammaire et le vocabulaire du corps changent suivant les âges de la vie, ce n’est ni une « pauvreté » ni une « défaillance » : c’est une richesse liée à la personne dont l’histoire est sacrée depuis les premiers instants de son existence jusqu’à sa disparition à nos yeux de chair, à sa mort.

Dès sa conception, l’être humain nous rappelle une vérité : l’homme ne se réduit pas aux apparences qu’il donne de lui-même. Son corps dit qui il est, mais renvoie aussi à celui, à celle et à ceux qui lui ont donné « corps dans l’histoire ». Son corps renvoie également à Celui qui le lui a offert car notre corps nous rappelle toujours que nous ne sommes pas à l’origine ultime de notre être. L’embryon humain dit toujours, en son corps tel qu’il est et tel qu’il se développe, une « totalité intérieure et extérieure » plus grande que ce que nous pouvons en percevoir. Cette richesse qui définit son mystère, dit « déjà », pour qui sait « voir et comprendre », qu’il est une personne.

Le « corps embryonnaire » dit toujours plus que ce que nous en voyons.

Alain Mattheeuws s.J. Professeur de Théologie morale et sacramentaire, Institut d’Etudes Théologiques, Bruxelles (Belgique)

(1) Voir à ce sujet Mgr Pierre d’Ornellas et alii, Bioéthique. Questions pour un discernement, Lethielleux-DDB, 2009, pp.31-52. (2) Psaume 139, 15-16 (3) Constitution Gaudium et spes n°24 (4) Expression « étrange » et nouvelle dans Dignitas personae n°4 (Instruction du 12 décembre 2008) mais ô combien riche d’harmoniques interprétatives. (5) 1 Corinthiens 6, 13 (6) Genèse 1, 27

Fiches du groupe de travail "bioéthique"

Glossaire

PMA (procréation médicalement assistée) : pratiques cliniques et biologiques visant à remédier à l’infertilité du couple ou à éviter la transmission d’une maladie d’une particulière gravité.
GPA (gestation pour autrui) : le fait, pour une femme, de porter et de mettre au monde un enfant pour le compte d’un tiers.
CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES : issues de l’embryon à un stade très précoce et douées de deux capacités : celle de se multiplier à l’infini et celle de donner naissance à tous les types de cellules de l’organisme (pluripotence).
(Source : INSERM)
CRISPR-Cas9 (clustered regularly interspaced short palindromic repeat) : « ciseaux génétiques » permettant d’éditer l’ADN d’une cellule somatique ou germinale. Cet outil cible une zone spécifique de l’ADN et la coupe. Cela permet ensuite de corriger ou modifier la séquence ciblée.
(Source : CNRS)
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : théories et techniques « consistant à faire faire à des machines ce que l’homme ferait moyennant une certaine
intelligence ». On distingue IA faible (IA capable de simuler l’intelligence humaine pour une tâche déterminée) et IA forte (IA générique et autonome qui pourrait appliquer ses capacités à n’importe quel problème).
(Source : CNIL)
BIG DATA (« données massives ») : conjonction entre d’immenses volumes de données et les nouvelles techniques permettant de traiter ces données, voire d’en tirer par le repérage de corrélations des informations inattendues.
(Source : CNIL)