L’Eglise a sa place dans les débats sur l’éthique médicale

le vendredi 08 avril 2011

blogbioethiqueBeauDans une tribune publiée dans Le Monde daté du 6 avril, Marc Peschanski et Cécile Martinat ont violemment pris à partie divers acteurs du débat sur la révision des lois de bioéthique. Les catholiques sont plusieurs fois visés. Ces attaques polémiques contreviennent aux exigences de la rationalité. Elles sont voulues pour défendre une option de recherche qui ne fait pas l’unanimité à l’intérieur même du monde scientifique.

Dans Le Quotidien du médecin du 5 avril, Alain Privat et Monique Adolphe, chercheurs et universitaires internationalement reconnus, rappellent que « la recherche sur les cellules souches embryonnaires n’a, en fait, conduit à aucune thérapeutique efficace jusqu’à présent nulle part dans le monde ». Plus encore la modélisation et le criblage de molécules « peut se faire de manière aussi efficace et probante avec des cellules iPS, et ceci sans avoir à détruire un embryon ». Pour eux, la vraie question est de permettre à la France de rattraper le retard accumulé en matière de recherches sur les cellules souches du sang de cordon et sur les cellules iPS – cellules souches reprogrammées pour être pluripotentes –, retard dû notamment au choix fait en faveur d’investissements considérables pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Rappelons qu’à l’annonce des résultats sur les cellules iPS, Ian Vilmut – le « père » de Dolly – a décidé pour des raisons scientifiques d’abandonner les recherches sur les cellules souches embryonnaires afin de s’orienter vers ce nouveau domaine plus prometteur.

Quant à l’Eglise catholique, elle est riche d’une longue réflexion en éthique médicale. Elle s’appuie sur l’expérience multiforme de nombreux catholiques engagés dans le soin et la recherche. Ses positions en la matière sont le fruit d’une réflexion mûrie, confrontées aux réalités humaines et aux résultats scientifiques dont elle tient toujours compte. Son avis a été sollicité par les instances publiques dès les premiers débats dits de « bioéthique ». C’est ainsi qu’un de ses représentants, nommé par le président de la République, siège au Comité consultatif national d’éthique depuis sa fondation en 1983. Sa participation au débat citoyen sur la révision actuelle de la loi de bioéthique, dans lequel se sont engagés tant les évêques que de nombreux fidèles, a été largement saluée pour son sérieux et son esprit de dialogue. C’est par le dialogue qu’il est possible de chercher ensemble les voies justes de l’avenir et non par des approximations, des accusations sans fondements, et des amalgames erronés.

Le fait que l’embryon humain soit un être humain dès la fécondation n’est pas une opinion mais une réalité anthropologique appuyée par les données de la science. La pratique des procréations médicalement assistées, les recherches sur l’embryon humain et les cellules souches embryonnaires soulèvent d’importantes questions éthiques. Sur ces sujets de bioéthique, l’Eglise catholique y voit un enjeu d’humanité. Il est compréhensible que ses positions suscitent le débat voire l’opposition : on ne peut toutefois l’accuser d’incohérence. Quant à l’avortement, qui nierait que cela pose de graves questions éthiques, psychiques et sociétales ?

Marc Pechanski et Cécile Martinat prétendent que la loi de bioéthique de 1994 a été adoptée « sous la pression de lobbies catholiques conservateurs ». Cela tient plus du fantasme que de la réalité. Ils font allusion à un « boycott du Téléthon ». Rappelons que des réserves exprimées sur le Téléthon viennent aussi des milieux scientifiques. L’Eglise catholique quant à elle a souhaité rappeler que la générosité ne légitime pas tout, que le tri embryonnaire, l’utilisation de cellules embryonnaires et la médiatisation de jeunes malades posaient question. Elle a proposé que les dons soient fléchés selon des critères éthiques. Il est regrettable que cela soit impossible car cela aurait respecté les consciences et rendu les dons plus nombreux, ce que souhaitaient les évêques. Cette impossibilité a conduit effectivement certains à exprimer publiquement leur refus de soutenir cette initiative malgré ses bonnes intentions.

MISES EN GARDE

Parler d' »agression antiscientifique » et de « lobbying antiscience » relève du dénigrement. L’Eglise catholique « encourage évidemment la science », a affirmé Jean-Paul II. Elle considère la science comme « un précieux service pour le bien intégral de la vie et pour la dignité de tout être humain », selon le cardinal William Levada, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Rappelons que les efforts de décryptage du génome humain ont été salués et encouragés par Jean-Paul II, et que, dès 2006, l’Académie pontificale pour la vie a invité le professeur Yamanaka à présenter ses travaux sur les cellules iPS bien avant que ceux-ci ne soient connus du grand public.

Quant aux accusations de « mensonges », les représentants de la nation et les scientifiques directement et nommément désignés à la vindicte populaire pourront facilement s’en défendre. Elles nous paraissent injustifiables et sans fondement aucun.

Partie prenante à la réflexion collective sur les enjeux de société, l’Eglise catholique est dans son rôle lorsqu’elle participe au débat éthique et met en garde sur ce qu’elle considère comme des dérives possibles. Elle croit que la raison humaine est capable de responsabilité éthique et de sagesse pour le bien de tous. Ses membres acceptent volontiers la confrontation avec des points de vue différents et prennent souvent l’initiative du débat. Ils n’acceptent pas en revanche d’être traités d’ennemis de la science et de menteurs. A des effets d’annonce calculés en plein débat parlementaire et non dénués de conséquences financières, l’Eglise catholique choisit le dialogue, qui se refuse à tout obscurantisme, et le débat de fond, qui encourage la science sans dénier la conscience. Car le défi bioéthique est un bel enjeu d’humanité.

Jérôme Beau, évêque auxiliaire de Paris, directeur du Collège des Bernardins, et Brice de Malherbe, co-directeur du département d’éthique biomédicale

Fiches du groupe de travail "bioéthique"

Glossaire

PMA (procréation médicalement assistée) : pratiques cliniques et biologiques visant à remédier à l’infertilité du couple ou à éviter la transmission d’une maladie d’une particulière gravité.
GPA (gestation pour autrui) : le fait, pour une femme, de porter et de mettre au monde un enfant pour le compte d’un tiers.
CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES : issues de l’embryon à un stade très précoce et douées de deux capacités : celle de se multiplier à l’infini et celle de donner naissance à tous les types de cellules de l’organisme (pluripotence).
(Source : INSERM)
CRISPR-Cas9 (clustered regularly interspaced short palindromic repeat) : « ciseaux génétiques » permettant d’éditer l’ADN d’une cellule somatique ou germinale. Cet outil cible une zone spécifique de l’ADN et la coupe. Cela permet ensuite de corriger ou modifier la séquence ciblée.
(Source : CNRS)
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : théories et techniques « consistant à faire faire à des machines ce que l’homme ferait moyennant une certaine
intelligence ». On distingue IA faible (IA capable de simuler l’intelligence humaine pour une tâche déterminée) et IA forte (IA générique et autonome qui pourrait appliquer ses capacités à n’importe quel problème).
(Source : CNIL)
BIG DATA (« données massives ») : conjonction entre d’immenses volumes de données et les nouvelles techniques permettant de traiter ces données, voire d’en tirer par le repérage de corrélations des informations inattendues.
(Source : CNIL)