“Développer nos relations provoque une joie : c’est aussi le cœur de la conversion écologique”

Franciscains

Comme chaque année et jusqu’au 4 octobre, fête de saint François d’Assise, les chrétiens du monde entier sont invités à vivre le Temps pour la Création : un mois pour renouveler leur regard, agir pour l’écologie intégrale, devenir missionnaire. Rencontre avec le Fr. Frédéric-Marie Le Méhauté, ofm, vicaire de la Province des Frères Mineurs de France et de Belgique. Par Florence de Maistre.

Comment envisagez-vous ce Temps pour la Création ?

Les Frères ont particulièrement à cœur de prier, personnellement ainsi que dans le cadre liturgique, le cantique de Frère Soleil, qui a donné son titre à l’encyclique Laudato si’. Ce Temps est également l’occasion de valoriser les démarches initiées sur le long terme : le souci de la Création n’est pas nouveau, l’attente si. Mais je voudrais pointer un bémol. Le moment choisi pour ce Temps n’est pas très favorable. Après nos nombreux engagements d’été, la rentrée nous voit recomposer nos fraternités, nous avons du mal à l’envisager. La fête de saint François est pour nous le premier temps fort de l’année où l’on se rassemble avec nos paroissiens et nos proches. Bien entendu, ces dernières années, nous mettons en lumière l’approche écologie et conversion écologique. Dans Laudato si’, le pape François dénonce une forme d’accélération, qui peut être également vraie au plan liturgique. Nous passons de la journée mondiale du migrant et du réfugié aux conférences de Carême, etc. Soyons attentifs à ce risque !

Quels sont vos projets phares ?

Je pense à cette expérience partagée à l’ermitage de La Cordelle sur la colline de Vézelay. Nous avons l’idée d’en faire un “éco-lieu”, pour qualifier rapidement notre démarche. Il s’agit de repenser notre présence à partir de ce lieu-là, à partir du jardin et de la contemplation de la nature : “par et pour la Création” pour reprendre les mots de saint François. Depuis deux ans, nous sommes engagés dans cette redéfinition des espaces, c’est un processus de longue haleine. De nombreux laïcs s’impliquent avec nous. Au-delà de leurs simples compétences techniques, ils portent véritablement le projet avec nous, nous aident à le mettre en œuvre. La démarche redynamise toute la famille franciscaine sur place et entraîne à vivre la synodalité. Entre nature et prière, des personnes non croyantes ou en marge de nos institutions, sont interpellées, étonnées par ce lieu, carrefour autour de la Création. Un visage et une façon de vivre la transition écologique sont donnés. Cette initiative aide aussi nos autres maisons. Les Frères relativement âgés éprouvent des difficultés à modifier leurs habitudes de consommation. L’ermitage de La Cordelle nous permet d’expérimenter ce que François d’Assise nous dit au cœur. Développer nos relations provoque une joie : c’est aussi le cœur de la conversion écologique.

En quels autres lieux développez-vous cette attention ?

Nous avons aussi une maison à Brive. Depuis plusieurs mois, le groupe saint Antoine, avec des jeunes, concrétise le projet d’un chemin de Création. Différentes étapes sont proposées dans le jardin comme un parcours entre contemplation, prière et informations sur les enjeux énergétiques et écologiques. Par ailleurs, depuis plusieurs années notre pastorale des jeunes est très orientée autour de Laudato si’, avec des week-ends de lecture de l’encyclique, ainsi que toute une réflexion pour accompagner la vie professionnelle, l’engagement social et politique de ces jeunes adultes. Enfin, je donnerai à partir février prochain un cours sur l’écologie et l’expérience franciscaine au centre Sèvres (Paris), comme une relecture de nos sources à la lumière des enjeux écologiques d’aujourd’hui.

Comment recevez-vous le thème de cette édition 2022 “Écoutez la voix de la Création” ?

Le terme écouter me touche beaucoup, personnellement. C’est l’objet de ma thèse doctorale qui va être prochainement publiée : “Une aventure théologique à l’écoute des plus pauvres”. L’écoute demande en premier de s’arrêter, de couper avec cet entraînement qui nous pousse toujours plus en avant, afin de prendre en compte la personne, le paysage, la créature présente en face de moi. Puis, tendons l’oreille : comment vais-je être surpris, déplacé ? Si je ne tends pas l’oreille, la parole ne vient que confirmer ce que je présuppose sans écouter. J’aime beaucoup cette phrase de sainte Claire à un Frère qui venait la visiter : “qu’as-tu de neuf à m’apprendre sur Dieu ?” Rencontrer quelqu’un, se mettre en situation de l’écouter : pour quelle nouveauté, quel émerveillement ? J’aimerais vivre toutes mes rencontres, y compris avec les paysages, avec ce regard, cette écoute, cette même attitude intérieure d’ouverture, pour permettre à une nouveauté de m’atteindre et de me rendre plus joyeux. Le monde est tellement plus riche que ce que l’on peut en comprendre ! J’aimerais vivre, prier pour cet apprentissage et en rendre grâce.

Comment chacun y est-il appelé ?

Je suis frappé par des auteurs actuels comme le sociologue Bruno Latour qui redécouvre la notion de dépendance des uns avec les autres, et entre les espaces, comme l’un des enjeux de la transition écologique. Quand j’entends cette dépendance, j’entends les vœux religieux. Celui de l’obéissance, par exemple, et l’appel à vivre en frères, dépendant les uns des autres. Dans la bande dessinée “Le monde sans fin”, qui est assez complexe, Jean-Marc Jancovici évoque dans les dernières pages, le dérèglement, l’envie d’amasser toujours plus, toujours plus vite et paraphrase Lamartine : un seul objet vous manque et tout est dépeuplé. C’est la notion de manque qui est à apprivoiser “pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres” (LS 49). Les pauvres ont quelque chose à nous apprendre au cœur de ce manque. Les vœux religieux nous placent au cœur de cette notion de manque. Ils nous obligent à traverser le manque de relation sexuelle, le manque de liberté, le manque de moyens, mais à les traverser en découvrant la joie : celle des Béatitudes ! C’est aussi le chemin auquel chacun est appelé, de façon peut-être moins visible qu’un religieux, mais pas moins radicale. Un chrétien écolo n’est pas celui qui pose des panneaux solaires et fait de la permaculture, même s’il peut le faire aussi, mais c’est celui qui, en premier, choisit de vivre jusqu’au bout ce que le Christ propose. Le Christ nous rejoint dans nos lieux de manque : mettons-nous les mains ouvertes devant lui, confions nos besoins de lui pour vivre, aimer, respirer. Je souhaite vivre ce Temps pour la Création, non pas comme un outil de communication de nos bonnes actions, mais en redécouvrant ce lien entre la Création et la joie d’être humain, en redécouvrant cette relation profonde de la joie du Christ.

Comment ces expériences font-elles de ses acteurs des missionnaires ?

Elles font de nous des missionnaires, parce que le Christ, par sa foi, sait que la Croix n’a pas le dernier mot. La Croix n’est pas le tout de l’expérience humaine. Le chrétien est missionnaire lorsqu’il laisse transparaître les manques dans sa vie, en témoignant qu’elle ne s’arrête pas à ça. Je pense à des amis qui traversent des épreuves difficiles. Ils ne portent pas Jésus-Christ en bandoulière, mais ils savent que leur force vient de quelqu’un nommé Jésus. L’une des dimensions de la mission, c’est d’aller au cœur de l’humanité, à la racine de ce qui fait de nous des hommes et des femmes. Des chrétiens vivent sur des lieux comme les ZAD. Je crois, au regard de mon expérience auprès des personnes migrantes, qu’il n’y a pas besoin d’être chrétien pour s’engager. Mais dans ces groupes, les chrétiens apportent une tonalité. Une espérance, le mot est-il peut-être trop fort ? Mais quelque chose qui déplace, au cœur même de l’action. Le pape François insiste sur le dialogue : nous avons besoin les uns des autres pour résoudre un problème. Notre mission ? Se faire l’ami des autres, proche de leurs joies, de leurs peines, leur faire découvrir qu’ils sont aimés, beaux et sauvés. Chacun selon son caractère et les circonstances. Et en se mettant à l’écoute, pour avoir cette finesse, discerner ce qui juste, trouver le bon moment avec la personne : remuer la terre avec elle, dire profondément ce qui nous fait vivre et partager une parole explicite, être simplement présent et se taire. L’écologie nous oblige à aller au-delà de nos frontières, au-delà des algorithmes de nos réseaux sociaux. La synodalité au sens large, c’est non seulement faire Église, mais vivre et relever les défis de la société ensemble.

franciscains
franciscains
franciscains
franciscains

ça peut aussi vous intéresser

à consulter sur le sujet

DSE doctrine sociale
laudato si
prière pour la saison de la création