L’incroyable succès du « Charity Stream »
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 12 novembre 2025, OFC 2025 n°33 sur l’incroyable succès du « Charity Stream »
Le fundraising (levée de fonds) par le charity stream atteint désormais des niveaux qui dépassent les millions d’euros. Cette tendance révolutionne les modes de financement des ONG engagées dans des actions humanitaires, et révèle à travers la déliquescence morale des sociétés occidentales un attachement à chercher le bien. Cet univers virtuel véhicule son propre jargon, auquel il faut s’accoutumer pour mieux le pénétrer.
Le streaming est une activité prolifique dont la pratique est devenue courante parmi les adolescents et les jeunes, et qui gagne progressivement les classes d’âge plus avancées. Le principe est simple, suivre en direct via son smartphone ou son ordinateur l’activité d’un streamer (créateur de contenu). Des plateformes spécialisées se sont créées, comme Discord ou Twitch (on pourrait traduire par tressaillir). La particularité de ces activités est le dialogue ouvert en direct à travers le chat entre les viewers (ceux qui regardent le stream) et le streamer (celui qui fait le stream). Celui-ci est rémunéré par les cotisations volontaires de ses viewers qui deviennent souvent des followers (des abonnés). En France, le plus célèbre est ZeratoR, qui compte plus de 900 000 followers. Il joue et commente en direct des jeux vidéo.
Mais il n’y a pas que des gamers (joueurs en ligne sur internet) sur les streams, on trouve aussi toutes sortes d’activités : par exemple on peut suivre en direct des artisans (boulangers pétrissant leur pâton, couturières bâtissant des vêtements, etc.). L’information s’est aussi invitée sur le streaming, en concurrence avec les médias traditionnels. Samuel Etienne, qui a pris ses distances avec la télé, fait ainsi une revue de presse en streaming sur Twitch chaque matin de 9h à 10h pour plus d’un million d’abonnés. Il échange en direct avec les viewers sur l’actualité qu’il commente. Les médias sont désormais tous présents sur Twitch, le streaming étant considéré comme une des voies d’avenir pour la diffusion de l’info.
Les streams sont aussi diffusés en podcast audio, et rediffusés sur Youtube. Ces différents moyens de la toile sont donc utilisés de manière complémentaire par les streamers.
Le streaming a un côté déliquescent qui le place a priori au niveau moral le plus bas : il apparait comme futile, à la manière du divertissement de Pascal, une manière de passer le temps qui n’engage à rien et qui n’initie rien. Le tout dans une temporalité de l’instant où l’individu, derrière l’illusion du réseau, demeure seul devant son écran.
Dans ce contexte peu inspirant, la pratique du charity stream révèle un autre aspect des consciences contemporaines. Le stream devient un vecteur de valeurs autour desquelles se rassemble une communauté bienveillante. Dans un quotidien rongé par la banalité, les viewers sont touchés par ce qui peut faire sens et cherchent à inscrire leur action dans une durée où la responsabilité et l’engagement pointent le bout de leur nez. Pour le dire autrement, le maître mot du charity stream se résume à « Stream for Good », faire du streaming pour le bien. Et ça marche.
ZEVENT a recueilli 16 M€ en 2025 ! Créé par Adrien Nougaret (ZeratoR) et Alexandre Dachary (dit Dach) en 2016, le ZEVENT se déroule en 2 parties : un concert événement qui fait office d’appel du public, puis un marathon de streaming sur Twitch. Pendant plus de 50 heures non-stop, les streamers participants diffusent du contenu en direct et encouragent les viewers à se faire des dons pour soutenir une cause commune. En 2025, les bénéficiaires comprenaient l’Association française pour les aidants et la Ligue contre le cancer. Les dons ont été collectés par la Fondation de France.
Encore plus fort, aux Etats-Unis, l’hôpital St. Jude1 qui soigne des enfants atteints du cancer a levé 70 M$ en 2024 ! L’objectif était de mobiliser gamers et streamers pour cette œuvre charitable. L’affiche destinée aux streamers était particulièrement claire : « Bien que le jeu en live soit l’option la plus populaire, St. Jude PLAY LIVE ne se limite pas aux jeux vidéo. Que vous aimiez les jeux, la couture, l’artisanat, la musique ou les jeux de société, vous pouvez mettre en valeur vos compétences tout en collectant des fonds et en sensibilisant vos contacts à notre mission vitale : trouver des remèdes pour le cancer, et sauver les enfants. »
Le succès de ces opérations est significatif à plus d’un titre.
D’abord, pour ceux qui désespèrent des jeunes, de leur individualisme et de leur superficialité désinvolte, il est manifeste qu’il est possible de les motiver pour de belles causes à forte empathie à condition d’utiliser des vecteurs qu’ils estiment et pratiquent. Ensuite, le recours à cette méthode de fundraising devrait inspirer toutes les associations caritatives et autres ONG catholiques qui sont à la recherche de financement. L’organisation d’un tel événement coûte entre 50 et 100 k€, et le retour sur investissement justifie largement une telle dépense. Par ailleurs, ce beau signe mérite d’être interrogé plus profondément. Il est possible de toucher les jeunes là où ils sont, de les amener non pas à renoncer à leur sphère numérique, mais à y introduire du sens. A la manière de l’entrepreneur chrétien Augustin Destremau qui veut utiliser l’IA non pour asservir les hommes, mais pour élargir l’humanisme, en s’inspirant de Carlo Acutis. C’est ce que fait aussi frère Paul-Adrien, avec sa chaine YouTube qui compte plus de 500 000 abonnés. Enfin, dans le domaine de l’évangélisation de notre société, le recours à ce type de communication nécessite un effort et un investissement dont on peut retirer les résultats à court terme. Mais il faut pour cela accepter de se décentrer vers ce monde virtuel, comme des missionnaires entrant dans un continent largement inconnu, peuplé de zombies et de cannibales.
Vincent Aucante
1 Note de Jean Duchesne : Il n’est pas sans intérêt de noter que St. Jude, hôpital gratuit pour enfants et laboratoire de recherches sur les maladies infantiles, à Memphis (Tennessee), a été fondé par Danny Thomas (1912-1991), humoriste d’origine libanaise (et catholique maronite), de son vrai nom Amos Kairouz. Il a fait le vœu de fonder cet hôpital, alors que la naissance de son enfant se passait mal et que sa carrière stagnait dans le monde du spectacle, en invoquant saint Jude, un des douze apôtres, patron des causes désespérées, auquel est attribuée une courte Epître dans l’Evangile, où il exhorte à persévérer dans l’adversité. L’enfant a pu naître, Danny Thomas a eu son show hebdomadaire à la télévision, et il a fondé l’hôpital St. Jude à Memphis sur le conseil de son directeur spirituel depuis son adolescence, le P. Samuel Stritch (1887-1958), originaire du Tennessee, devenu évêque de Toledo (Ohio), puis archevêque de Chicago et cardinal.

