Actualité d’Emmanuel Mounier

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 01 octobre 2025, n°28 à propos d’actualité d’Emmanuel Mounier

Le 1er avril 2025 commémorait le cent vingtième anniversaire de la naissance d’Emmanuel Mounier. Jean-Claude Varin, prêtre du diocèse de Rouen, vient de publier Vocation et vie morale dans l’œuvre d’Emmanuel Mounier (Parole et Silence, 2025). Ces deux occurrences permettent de redire l’actualité d’un philosophe disparu trop tôt mais dont la pensée demeure bien vivante.

Le personnalisme est le cœur de la pensée d’Emmanuel Mounier ; il a développé son travail à l’époque où le marxisme et l’existentialisme sartrien dominaient la scène philosophique. Inspiré par la foi chrétienne, il s’est efforcé de proposer une voie originale, travaillant aussi à échapper à la reproduction d’une pensée qui ne rejoignait plus la vie concrète des femmes et des hommes du XXe siècle.
La relation occupe une place essentielle dans son anthropologie ; c’est sur ce fond qu’il s’agit de comprendre l’idée de vocation qui est au centre du travail de Jean-Claude Varin. « Comme être pour autrui, nous pouvons nous réaliser personnellement en fonction de ce que nous apportons aux autres » souligne Jean-Claude Varin, p. 21.
On peut également souligner que, comme être pour autrui, l’être humain se réalise en fonction de ce que les autres lui apportent. Il s’agit en effet d’éviter une conception individualiste de la destinée, voire, pour les croyants, une vocation « tombant du ciel », indépendamment des médiations qui en sont porteuses.
Jean-Claude Varin, un peu plus loin dans le livre, souligne ceci : « La personne humaine doit accepter l’orientation sensée de son existence, accepter d’être insérée dans un ordre plus grand qu’elle, d’être posée entre nature et vérité. L’homme, comme être personnel doit suivre le sens de la vie humaine qui lui a donné la capacité d’humaniser sa nature. Pour cela, il convient de comprendre que pour l’homme, la nature n’est pas quelque chose qui lui est extérieur mais un appel à réaliser peu à peu, au fil des jours, le sens de son existence en produisant humainement ce qu’il est » p. 42.

Une autre insistance du livre porte sur le grand œuvre de toute existence humaine : unifier sa vie.
« La vocation consiste en une unification progressive et elle peut aider le petit d’homme à devenir un homme responsable. Pour cela, le principe de la vocation, comme orientation interne qui met de l’ordre entre les différentes dimensions de la personne est nécessaire à la vie personnelle. Elle est le lieu propre de la composition des exigences de la nature humaine et des exigences de l’homme comme être personnel. Le moyen terme de cette composition au cœur de la personne est celui du dépassement par un dépouillement : se déposséder pour posséder et réaliser la vie proprement personnelle » p. 55.

Il est juste de citer Emmanuel Mounier lui-même. « Un homme n’est pleinement homme que s’il est en constante alerte d’unir tous ses actes et toutes ses pensées dans l’unité d’une même fin et un constant désir d’élargir sa communion dans l’approche de cette fin » Emmanuel Mounier, Révolution personnaliste et communautaire, Œuvres, I, Seuil, Paris, 1961, p. 211.
« Ce ne sont pas les institutions qui font l’homme nouveau, c’est un travail personnel de l’homme sur lui-même dans lequel personne ne peut remplacer personne » Mounier, Œuvres, p. 345
« Ma personne est en moi la présence et l’unité d’une vocation intemporelle, qui m’appelle à me dépasser indéfiniment moi-même, et opère, à travers la matière qui la réfracte, une unification toujours imparfaite, toujours recommencée, des éléments qui s’agitent en moi. La mission première de tout homme est de découvrir ce chiffre unique qui marque sa place et ses devoirs dans la communion universelle, et de se consacrer, contre la dispersion de la matière, à ce rassemblement de soi » Emmanuel Mounier, Révolution personnaliste et communautaire, Œuvres, p.178.

Enfin, une troisième insistance du travail de Jean-Claude Varin est consacrée au combat que doit mener chacun pour vivre en vérité.
« La vocation apparaît comme le lieu du sacrifice où la personne choisit un certain mode de vie au détriment d’un autre. Dans une telle conception, là où se tient le sacrifice, la vocation est présente. L’appel à réaliser notre vie selon une direction particulière s’effectue par la poursuite d’un élan qui nous invite à emprunter ce chemin au moyen de sacrifices. L’aspect radical d’une vocation peut être vécu chez une personne qui cherchera à conformer toute sa vie à cet idéal ou à cette vocation » p. 22.
« Le premier combat de la fidélité à notre vocation est contre nous-mêmes. […] Il faut viser plus haut et réaliser qui nous sommes appelés à devenir. Il ne faut pas penser que c’est une œuvre simple à réaliser et acquise une fois pour toujours » p. 140.
« Il ne faudrait pas confondre la vocation avec une sorte de dynamisme du caractère dominant. La vocation est transpsychologique. Elle doit commencer par accepter ses données, mais elle peut aussi lutter contre elles pour en briser l’esclavage. Alors même que le cadre de l’espèce et celui de notre personnalité contiendraient la plupart de nos développements entre deux limites, supérieure et inférieure, nous ignorons toujours plus ou moins notre coefficient personnel d’élasticité » Traité du caractère, Œuvres, p. 725.
« La seule preuve d’un homme, ce sont ses actes. La valeur de ses paroles, l’authenticité de ses pensées ne se révèlent irréfutablement que dans la confirmation qu’ils leur apportent » oc, p.395.

Le livre recommandé ici est le fruit d’un travail universitaire. J’y souligne quelques formulations particulièrement heureuses. La brièveté de ses phrases sert l’insistance soulignée dans telle ou telle affirmation. Je retiens en particulier celle-ci : « Nous devons reconnaître que nous sommes essentiellement des êtres de réponses » p. 143.
J’y entends un point qui pourrait appeler à plus de développement, celui qui souligne que la vocation, souvent moins « mystique », moins « intérieure », a d’autant de pertinence qu’elle sait éclore à l’écoute des rencontres, des temps et des lieux. Le reconnaître est la garantie que la personne sera en capacité de ne pas la considérer comme une chose dont il est le propriétaire ; elle saura entendre les appels à vivre de nécessaires ajustements, sans que ces appels émanent du ciel ou du cœur, mais des autres et des événements. Il faut prendre garde d’oublier que, dans la révélation biblique, Dieu se donne et s’exprime toujours par des médiations.
« Être un homme est un don et une œuvre. Comme don, il est à accueillir et à développer. Comme œuvre, elle est un effort permanent contre l’illusion d’une plénitude atteinte à perpétuité et acquise sans efforts » p. 30-31.
La pensée d’Emmanuel Mounier demeure précieuse pour notre temps ; le live de Jean-Claude Varin nous permet de nous approprier certaines de ses thématiques.

Pascal Wintzer, OFC

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