« André Malraux devant le Christ » de François de Saint-Cheron

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 01 mai 2024, OFC 2024, n°19 sur André Malraux devant le Christ de François de Saint-Cheron, (Desclée de Brouwer, 2024)

Fasciné dès son adolescence par Malraux, François de Saint-Cheron (1958) a pu, avec son frère Michaël, rencontrer le grand écrivain au soir de sa vie. Cette exceptionnelle rencontre marqua définitivement l’orientation des travaux de ce maître de conférences à la Sorbonne, auteur plusieurs ouvrages de références sur l’auteur de La condition humaine.

Avec ce petit livre, François de Saint-Cheron explore la relation de Malraux, agnostique déclaré, à la figure du Christ, une figure qu’il ne cesse de convoquer dans ses romans, dans son interrogation sur l’art, dans les titres de ses livres comme La lutte avec l’Ange ou encore Lazare… tout en prenant garde à ne pas faire de Malraux un chrétien. Sa rencontre avec le Christ s’arrête au seuil de la foi. Le père Bockel, qui fut l’aumônier de la brigade Alsace-Lorraine, rappela lors d’une messe pour Malraux le 23 janvier 1977, que « le Christ s’inscrivait en lui comme le premier parmi les héros de la fraternité qui l’ont fasciné ».

Dans cette enquête à travers son œuvre, François de Saint-Chéron convoque les textes de Malraux qui tout à la fois mettent en forme les interrogations sur le destin de l’homme et se débattent avec les réponses que le Christ et le christianisme apportent. Malraux pose les questions, entend la réponse chrétienne… mais ne la choisit pas, sans jamais, cependant l’écarter. Il sait qu’elle est là, prête à être recueillie. Malraux, estime l’auteur, la met en valeur et y revient tout le temps, attiré et subjugué et peut-être malheureux de ne pouvoir la faire sienne.

Au-delà de l’analyse du corpus malrucien, ce travail peut être lu comme une manière nouvelle de contempler le mystère du Christ. Malraux refuse l’enfermement étroit du christianisme dans une morale. Mais dans La Condition humaine (1933), il fait dire à l’un de ses personnages : « Que faire d’une âme, s’il n’y a ni Dieu, ni Christ ? ». La question n’est-elle pas prodigieusement d’actualité ?

S’étonnera-t-on alors que Mauriac et Bernanos aient reconnu en Malraux un ami et un frère ? Un autre de ses amis, l’écrivain espagnol José Bergamín écrira : « On a l’impression quand on lit Malraux, qu’il est plus sûr de son agnosticisme parce que, par sincérité et même par pudeur, il n’ose pas se concevoir comme croyant ». Peut-être la conscience vive de la condition humaine et la révolte devant le scandale de la mort donnent à Malraux une sensibilité trop puissante pour accepter une consolation qui ne serait pas vécue avec la même intensité métaphysique.

La fascination de Malraux pour saint François d’Assise, et pour l’art religieux du Moyen Âge (la cathédrale de Chartres, les Christs romans), son oscillation entre Pascal et Nietzsche, sa fréquentation d’amis chrétiens, à commencer par le général de Gaulle sont autant de signes que « Dieu le hantait ».

Pour Malraux, le Christ est la plus grande figure de pitié de l’Histoire. Dans Les voix du silence, il écrit que si la première prédication chrétienne à Rome avait été invincible, c’est parce qu’elle avait dit à une esclave voyant mourir son enfant : « Jésus, fils de Dieu, est mort torturé sur le Golgotha pour que tu ne sois pas seule devant cette agonie ».

On lira le livre de François de Saint-Cheron en se nourrissant des phrases par lesquelles Malraux nous fait revisiter le message du Christ, à l’image de celle-ci : « Même si la résurrection du Christ n’était pas garante de celle des hommes, elle emplirait de son prodige la mémoire de l’Occident. » Ce Malraux devant le Christ réussit le prodige de nous inviter, à notre tour, à nous placer devant le Christ et à nous interroger sur qui Il est vraiment pour nous. Malraux refuse de se dire chrétien – il prétend avoir perdu la foi après sa confirmation – mais par Malraux, le chrétien revisite l’héritage qu’il a reçu et mesure son intensité. La puissance évocatrice du verbe de Malraux permet à toute conscience de reconsidérer le christianisme dans sa double puissance de mystère et de Révélation.

Benoît Pellistrandi

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