Que notre joie demeure, film de Cheyenne-Marie Carron
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 24 avril 2024, OFC 2024, n°18 sur Que notre joie demeure, film de Cheyenne-Marie Carron (2023)
La lumineuse énigme du martyre
L’affiche du film porte : « Un film en hommage au Père Hamel, assassiné en pleine messe le 26 juillet 2016 à Saint-Etienne du Rouvray ». Le spectateur s’attend donc à ce que l’assassinat lui soit raconté en insistant sur sa dimension antichrétienne. Or, c’est exactement le contraire : non seulement le meurtre en lui-même n’est pas montré, mais la volonté de sacrilège n’est pas montée en épingle¹ . À rebours d’un cinéma qui cherche le spectaculaire en abreuvant le spectateur de scènes dégradantes, Cheyenne-Marie Carron, fidèle à son approche, nous fait partager des tranches de vie qu’elle connaît intimement, non pour banaliser une problématique, mais pour que le spectateur y plonge lui-même et en éprouve peu à peu les résonances infinies.
Ceci suppose d’abord d’adopter le rythme quotidien de simples gens, les protagonistes de cette histoire, si représentatifs de la “France périphérique” dont nul ne se soucie mais que chacun connaît, avec plus ou moins de mauvaise conscience. Une France modeste, s’efforçant de vivre au jour le jour, sans rencontres spectaculaires mais où chacun a son territoire, arpentant des rues désertes et goûtant les rares visites, en marge de la société vibrionnante des écrans.
Dans ce cadre, la parole prend une importance toute particulière. Parole entendue et échangée, offerte ou refusée, fruste mais dense de contenu. Qu’il s’agisse des partages entre amis, des disputes familiales, des confidences et parfois des non-dits, tout crie la nécessité de se parler, pour sortir de l’isolement, affronter les idées toutes faites, soulager les souffrances. Cela fait bien sûr partie de la vie du prêtre, à qui certains viennent confier leurs soucis (y compris en racontant au seuil de la mort une vie seulement rêvée), mais se révèle aussi la condition d’une harmonie familiale, à l’inverse des mutismes porteurs de drames, et plus globalement la seule source d’espérance pour la société, comme en témoigne la bouleversante lecture, lors du générique final, d’une lettre où un assassin adresse la parole à ses victimes.
L’œuvre est construite en deux parties principales. Les derniers jours du P. Hamel, lumineux, précèdent la même période vécue dans l’ombre par son futur assassin, avant que les deux se rejoignent. Le beau portrait de prêtre n’occulte pas ses difficultés, la description du djihadiste montre aussi ses qualités, les personnages secondaires (cf. la mère de famille) sont justes et touchants. Au final, dominent à la fois une infinie tristesse devant ce gâchis et l’émotion suscitée par tant de sainteté anonyme.
Chacun trouvera ici des éléments à méditer. Loin d’excuser ou d’accuser les autres ou nous-mêmes, il faut tenir cette gageure d’appeler le bien et le mal par leur nom en aimant malgré tout notre prochain. Ce que démontre au fond ce film, c’est la puissance d’un regard qui cherche à aimer en vérité² .
Denis DUPONT-FAUVILLE
1 Ainsi ne sont montrés ni le P. Hamel disant « Va-t’en Satan » à son assassin, ni la fin des terroristes. Pas non plus d’allusion au manque de réactivité, depuis avéré, des services de renseignement. Le propos évite les éléments choquants ou secondaires pour se centrer sur ce qui fait vivre les personnages en profondeur.
2 Pour une présentation de l’œuvre par sa réalisatrice, cf. https://www.youtube.com/watch?v=6XWSsSHHZ_A
+ Pascal Wintzer, OFC