Discours de clôture de l’Assemblée plénière des évêques de France – Novembre 2017
L’assemblée plénière qui s’achève nous a permis de vivre des moments fraternels, riches et profonds. C’est un moment fort de l’exercice de notre collégialité épiscopale : nous avons prié ensemble, célébré l’eucharistie. Nous avons porté dans la prière ceux qui sont confiés à notre ministère ainsi que notre pays confronté à des défis bien divers. Notre ministère nous met en contact avec les diverses composantes de la société et souvent avec ceux qui rencontrent le plus de difficultés. De nombreux chrétiens sont engagés avec d’autres à leur côté. Une fois encore notre attention a été attirée sur la population de personnes d’origine roumaine, ballotées d’un lieu à l’autre, sans que des propositions de logement plus dignes leur soient faites. Ils sont même ici ou là l’objet de violences verbales ou physiques inacceptables. Leurs projets comme leurs progrès dans l’intégration dans notre pays sont ainsi sans cesse réduits à zéro et tout est à recommencer. Nous n’ignorons pas la complexité de cette situation. Des différences culturelles, des conditions sanitaires dangereuses, des proximités difficiles dans la durée conduisent à des incompréhensions profondes qui empêchent de voir les possibilités réelles de trouver des solutions réalistes et raisonnables. Nous dénonçons les manques de respect de ces personnes et nous invitons les pouvoirs publics à s’engager dans la proposition de solutions pérennes et dignes. Nous remercions et encourageons ceux qui s’engagent à leur côté dans un esprit de service et le désir vrai de les accompagner sur un chemin d’intégration.
Notre prière a rejoint ceux qui aujourd’hui se préparent à être prêtres dans les séminaires de France. Nous avons pris un temps long pour réfléchir à leur formation et à l’élaboration d’une future « Ratio Nationalis ». Si l’état des lieux nous a mis devant la réalité de la baisse du nombre des vocations et de la situation de certains de nos séminaires, nous avons aussi rendu grâce pour les séminaristes de nos diocèses et nous voulons remercier les formateurs qui, jour après jour, sont donnés à la tâche enthousiasmante de former les prêtres que Dieu nous donne.
Tournés vers l’avenir, après avoir écouté Monseigneur Patron Wong, nous avons étudié la « Ratio Fundamentalis » et avons décidé d’avancer dans les réformes nécessaires de nos séminaires. Prenant en compte le caractère désormais obligatoire de la propédeutique, nous étudierons les points de passages incontournables de cette année. Après un premier travail entre formateurs et Évêques, nous reprendrons cette question à partir du texte de base d’une Ratio Nationalis qui nous sera proposée.
« La publication de cette nouvelle Ratio est destinée à donner un nouvel élan, y compris à la pastorale des vocations, en posant un acte de foi ». Son idée de fond est que les Séminaires puissent « former des disciples missionnaires « passionnés » pour le Maître, des pasteurs ayant « l’odeur des brebis », qui vivent au milieu d’elles pour les servir et leur apporter la miséricorde de Dieu. Cette formation intégrale qui tient compte de toutes les dimensions du séminariste, l’amène à faire partie, avec l’ordination, de la « famille » du presbyterium, au service d’une communauté concrète. »*
Notre attention aux jeunes générations a été stimulée par l’approche du synode des évêques à Rome en octobre prochain. La synthèse des réponses au questionnaire reçu nous a décrit une génération en recherche de sens, soucieuse d’avoir des repères, généreuse aussi dans ses engagements. Nous n’oublions pas que ces jeunes sont divers ; que si certains ont une vie relativement facile, d’autres sont marqués par le handicap, les difficultés à trouver un travail, la fragilité des liens familiaux. Nous voulons redire à tous qu’ils sont le présent de notre Église et la richesse de notre société. Nous les exhortons à prendre toute leur place dans nos communautés, à avoir l’audace d’affirmer leur foi paisiblement dans la recherche d’un dialogue qui sera toujours fécond. Avec le Pape François, nous leur renouvelons notre confiance : ils sont les piliers d’un monde à venir où le respect de la création et de l’autre seront des réalités tangibles.
L’actualisation des structures de la conférence des évêques est devenue une tâche nécessaire, onze ans après la publication des statuts qui la régissent. Les réalités changent si vite aujourd’hui dans la société comme dans l’Église. Il s’agit là d’une tâche qui dépasse l’objectif organisationnel. L’évangélisation est l’horizon de l’Église. Notre mission d’évêques diocésains s’exerce pour ce service. La conférence épiscopale est ce lieu où nous portons ensemble notre mission. Nous nous soutenons pour toute la part qui le nécessite. Ainsi sommes-nous entrés dans ce travail par un partage sur notre collégialité qui trouve sa source dans notre ordination épiscopale, qui nous associe à la vie et aux besoins de toutes les Églises, en communion avec le Saint Père. Les conférences épiscopales sont données pour permettre aux évêques d’une même nation de se concerter, de se donner les moyens nécessaires pour le bon exercice de la charge de chacun. Les défis de la mission ne sont pas contenus dans les frontières de chaque diocèse. Ils les débordent de toute part. Déjà la province permet un premier niveau de collaboration proche du terrain. Celui du pays nous situe à l’intérieur des réalités culturelles, sociétales et législatives communes et permet de se donner les moyens d’expertises ou les soutiens pastoraux que chacun ne peut trouver localement. Cette session nous a permis de rentrer dans ces perspectives, de définir l’objet précis qui nous occupe et de dessiner l’esprit dans lequel nous voulons aller ensemble. Du travail reste encore à accomplir. Il faudra préciser les priorités qui nous apparaissent pour aujourd’hui et en fonction d’elles, organiser les structures pertinentes pour les mettre en œuvre. L’équipe chargée de conduire cette réflexion va poursuivre son travail et nous guidera dans les prochaines assemblées. Ainsi pourrons-nous ensemble nous accorder sur les objectifs de fond comme sur les moyens que nous souhaitons mettre pour les atteindre. C’est un appel à avancer ensemble, à être attentifs aux réalités diverses de nos diocèses, aux besoins de chacun, aux répercussions de la vie des uns sur celles des autres. Nous sommes invités au souci des autres Églises, celles de notre pays et celles du monde entier. C’est ensemble que nous avançons. L’humilité, l’ouverture aux autres, la collaboration, la confiance, la complémentarité, l’écoute commune de ce que dit aujourd’hui l’Esprit à nos Églises sont à la racine de notre travail commun. Nous remercions tous ceux et celles qui nous aident aujourd’hui tant au secrétariat général que dans les divers services de la conférence. Leur travail nous est indispensable.
Le témoignage de Mgr Mirkis, archevêque de Kirkouk et Souleymanié a été un moment particulièrement fort de notre assemblée. Son témoignage sur la situation en Irak, sa perception des enjeux, la place, la vie des chrétiens dans cette région du monde, tout cela nous a touchés en deçà toutefois d’une réalité bien plus dure et inconcevable pour nous. Son courage apostolique est une leçon pour nous. Il est habité par l’amour de son peuple, de son pays, de ses fidèles et bien au-delà. L’avenir des jeunes et avec lui, celui du pays inspire ses initiatives. Il ne regarde pas ce qui sépare ou divise mais bien ce qui remet debout, ce qui permet de tenir. Son initiative pour les étudiants que nous avons soutenue bien modestement est au service de l’avenir du pays, de l’avenir de ces jeunes et de celui de la communauté chrétienne. Pour rester là-bas, il faut avoir un projet porteur d’avenir. Il leur a offert la possibilité de poursuivre leurs études en ce temps de guerre. Il leur a donné d’expérimenter la vie ensemble, chrétiens, yézidis, musulmans sunnites et chiites. Cette expérience est une semence d’avenir pour le pays. Tout ce qui favorise la rencontre, la culture, l’éducation est indispensable pour vaincre les peurs, les préjugés, les caricatures. Plus encore, Mgr Mirkis nous a montré trop brièvement comment les chrétiens traversent de telles épreuves unis au Christ, réconfortés par Lui, sauvés par Lui de la haine, de la peur, de la violence. N’a -t-il pas fait référence à cette phrase de Jésus à ses disciples, rapportée par l’évangéliste Jean au chapitre seizième de son évangile : « l’heure vient où quiconque vous fera mourir croira rendre un culte à Dieu. Ils agissent ainsi parce qu’ils n’ont connu ni le Père, ni moi. » Quelle lumière ! Quel réconfort ! Il est des moments où les évènements exigent du croyant des choix lumineux, crucifiants, mais signes de la profondeur de la confiance en Christ et en son évangile. C’est ce courage-là qui permet à cette communauté chrétienne de tenir, de chanter sa confiance en Dieu et de croire en un avenir possible. A plusieurs moments de l’assemblée, nous avons évoqué la situation des chrétiens d’un occident marqué par la sécularisation profonde, l’absence de Dieu, la perte du sens de la dignité de tout homme, la soumission exacerbée aux désirs individuels. Ici aussi, nous ne pourrons pas exister sans des choix de vie en rupture avec ceux qu’une culture dominante impose comme libérateurs, au nom d’une conception d’une égalité qui ne se déploie qu’en certains domaines de la vie. Oui, nous devons choisir la défense de la vie, le témoignage d’une vie de famille solide, le refus du repli identitaire, un mode de vie sobre, libre par rapport à la course à toujours plus d’argent, à l’égoïsme. Notre foi en Dieu nous pousse à trouver notre liberté dans le fruit de sa rencontre plutôt que dans la possession des biens matériels ou la soumission à nos insatiables désirs. Elle nous pousse aussi à avoir le courage de refuser de poser des actes que notre conscience refuse.
Grâce aux interventions des Évêques de rites orientaux, nous avons entendu l’histoire de ces peuples arméniens, libanais, ukrainiens qui les a conduits à l’exil, sans oublier les fidèles d’autres Églises orientales. Ils sont chez nous, s’insèrent souvent mais sont marqués par des ruptures culturelles profondes qui rejaillissent parfois sur leur vie de famille. Ils sont nos frères au titre supplémentaire de la foi en Christ. Leur accueil, leur présence est une richesse pour nous. Leur témoignage de foi intense nous interpelle. Notre fraternité les réconforte.
Avant de conclure je voudrais exprimer notre reconnaissance à Mgr Nicolas Brouwet pour l’excellent accueil que nous trouvons ici à Lourdes, pour ceux qui sont à notre service et pour la générosité des sanctuaires à notre égard.
Nous allons repartir dans nos diocèses. Nous continuerons à servir la communion et la mission dans nos Églises diocésaines. Nous vivrons d’une manière autre la communion entre nous par le souci les uns des autres, la charité et la prière. Le 19 Novembre, nous vivrons la Journée mondiale des pauvres, telle que le Pape François l’a demandé à toute l’Église. Nous savons bien que c’est le souci des plus pauvres qui nous garde de nous replier sur nous-mêmes. Par leur fréquentation, souvent le Seigneur vient à nous, nous décentre, élargit l’espace de notre tente, adoucit nos cœurs et prépare en nous cet amour dont l’aimerons toujours.
Je voudrais terminer en reprenant un extrait de la lecture faite ici-même hier à l’office des Vêpres. Elle est tirée de la lettre aux Romains au chapitre douzième : « Que votre amour soit sans hypocrisie. Fuyez le mal avec horreur, attachez-vous au bien. Soyez unis les uns aux autres par l’affection fraternelle, rivalisez de respect les uns pour les autres. Ne brisez pas l’élan de votre générosité, mais laissez jaillir l’Esprit ; soyez les serviteurs du Seigneur. Aux jours d’espérance, soyez dans la joie ; aux jours d’épreuve, tenez bon : priez avec persévérance. »
* extraits de l’introduction de la Ratio et de la première conférence de Mgr Patron Wong)
+Mgr Georges Pontier,
Archevêque de Marseille
Président de la Conférence des évêques de France