Questions à un chrétien

Perrier

Quelques jours après que nous soyons entrés en Carême (…), la guerre a été déclenchée en Irak. Le pape Jean-Paul II, Mgr Jean-Pierre Ricard, le Conseil d’Églises chrétiennes, un certain nombre de mouvements catholiques se sont exprimés avec clarté sur ce sujet. Pourquoi y revenir ? Pour ne pas se décharger sur d’autres, comme si cette question ne nous concernait pas. (…)

Question morale : cette guerre est-elle légitime ?

Le Vatican a affirmé depuis des mois que cette guerre ne serait pas justifiée par le fait qu’elle serait « préventive ». Le motif officiel de la guerre est d’empêcher le régime irakien d’utiliser des armes de destruction massive contre ses voisins, c’est-à-dire, en fait, contre Israël. Avant que ces crimes contre l’humanité ne soient commis, il faut prévenir le danger. L’inverse, de la part de la seule superpuissance mondiale, serait lui-même criminel.

Les générations qui ont connu la seconde guerre mondiale n’ont pas oublié Münich. Ils se rappellent que le Président du Conseil, M. Daladier, fut acclamé à son retour, alors que lui-même avait plutôt honte de ce qu’il s’était cru obligé de signer. Par faiblesse envers Hitler, l’Europe a laissé s’écrire la page la pus noire de toute son histoire. Une guerre préventive n’aurait-elle pas été légitime ?
Comparaison n’est pas raison. En puissance, l’Irak de 2003 n’est pas le Reich de 1938. La cohésion intérieure et le soutien extérieur, même dans le monde arabe, sont faibles. La pression militaire et diplomatique avait fait accepter des contrôles qui, heureusement, se révélaient plutôt infructueux.

Tout cela fait que la guerre déclarée par une super-puissance et quelques alliés n’est pas légitime. Elle prétend régler rapidement un problème dont il est difficile de mesurer l’ampleur. Mais les guerres règlent-elles jamais les problèmes ? Les victoires préparent des revanches. Les conséquences de la guerre sont incalculables. L’Orient a de la mémoire : mille ans après, on parle encore des croisades et du sac de Constantinople.

L’Église catholique a clairement pris parti pour les tentatives de résolution internationale des conflits, dans le cadre de l’Onu.En 1938, la Société des nations avait déjà, depuis des années, cédé aux exigences de Hitler. L’Onu d’aujourd’hui a un autre poids et l’Église catholique considère que c’est faute, non seulement politique, mais morale, de chercher à l’affaiblir, au lieu de la renforcer pour qu’elle soit plus crédible dans les conflits du futur.

Question spirituelle : à quoi a-t-il servi de prier pour la paix ?

La prière n’est pas une procédure diplomatique : dans une négociation, si l’ambassadeur n’obtient rien, mieux aurait valu ne pas l’envoyer. La prière, elle, ne se résigne pas à l’échec. Nous prions dans la foi, espérant contre toute espérance. Le test de la prière véritable, c’est de ne pas abdiquer quand elle ne reçoit pas ce qu’elle désire. La prière nous garantit contre le cynisme ou le fatalisme. Elle empêche que nous succombions tout entiers aux tentations de haine ou d’exclusion. Celui qui prie dans l’esprit de l’Évangile ne peut diaboliser quiconque. Sa prière maintient ouvertes les portes du lendemain.
Dans la perspective de cette guerre annoncée de si loin, chaque groupe humain a eu le temps de prendre position. L’Église catholique l’a fait par des déclarations, comme nous le signalions en commençant. Mais devait le faire aussi en donnant un signe qui lui soit propre, celui de la prière publique.

Question théologique : qui est le « bon » dieu ?

J’écris délibérément le mot « dieu » avec une minuscule, car il s’agit moins de Lui que du sentiment religieux exploité aux fins de propagande. Sadam Hussein s’exprime désormais en islamiste, invitant à la guerre sainte contre Israël. Sur les couvertures des magazines, George W. Bush nous est montré priant avec ferveur. Tony Blair ne cache pas que ses convictions chrétiennes ont orienté son choix d’une famille politique. MM. Aznar et Berlusconi ne voudraient pas déplaire aux catholiques de leur pays.
Comme nous sommes loin de la première demande du Notre Père, dans l’esprit de l’Évangile : « Que ton Nom soit sanctifié » ! Dimanche dernier, dans la première lecture de la messe, nous était rappelé un des commandements de Dieu : « Tu n’invoqueras pas le Nom du Seigneur ton Dieu pour le mal ».
Voici donc qu’une fois encore les croyants apparaissent comme des va-t-en guerre, alors que le parti de la paix est plutôt laïque. Les discours de guerre sainte, croyants contre croyants, rendent la religion odieuse et Dieu incroyable, car « l’amour seul est digne de foi ».
Quand le pape Jean-Paul II appelle à explorer d’autres voies que la guerre, il n’invoque pas Dieu à tout bout de champ. Il ne l’enrôle pas. Il déclare que ceux qui décident des guerres prennent de lourdes responsabilités « devant Dieu, devant leur conscience et devant l’histoire ». C’est la doctrine catholique classique : l’homme est un être de raison. Que ne s’en sert-il pas, au lieu d’annexer Dieu à ses passions ?
Au-delà de la sincérité, il faut chercher la vérité. De toute son âme, mais humblement. »

Source : Bulletin religieux, 27 mars 2003, n° 7.