Présentation par le Cardinal André Vingt-Trois de l’Encyclique du Pape Benoît XVI, « Caritas in Veritate », Juillet 2009
Ce message d’espérance est le suivant : l’humanité a la mission et les moyens de maîtriser le monde dans lequel nous vivons. Non seulement elle n’est pas soumise à une fatalité, mais encore elle peut transformer ce monde en agissant sur les événements et faire progresser la justice et l’amour dans les relations humaines, y compris dans le domaine social et économique, et même dans une période de crise comme celle que nous connaissons.
Cette espérance se fonde sur une conviction : dans l’univers, l’être humain a une dimension particulière qui lui permet de n’être pas soumis à la domination mécanique des phénomènes, qu’ils soient naturels ou économiques et sociaux. Il assume cette dimension particulière dans la mesure où il reconnaît qu’il se reçoit dans une relation à un plus grand que lui, un Absolu, plus grand que chacune de nos existences. Tout homme, qu’il soit croyant ou non, doit bien prendre position sur la question d’un jugement moral qui dépasse ses intérêts particuliers et dont sa conscience est le témoin. Bien sur, pour les croyants, cette référence à une transcendance a un nom, c’est Dieu.
Il nous donne ainsi un des thèmes centraux de tout l’ouvrage qui est le développement. Sa démarche sur le développement s’inscrit d’abord dans la tradition de la doctrine sociale de l’Église, au moins pour la période moderne qui remonte à la fin du XIX° siècle avec l’encyclique de Léon XIII Rerum Novarum de 1891. Dans cette relecture historique, il accorde une attention très particulière au Concile Vatican II, notamment la Constitution Gaudium et Spes, et à l’encyclique de Paul VI Populorum Progressio de 1967, consacrée au « développement intégral » de l’homme. « Intégral », cela veut dire qui concerne la totalité de la personne dans chacune de ses dimensions. Ensuite, Benoît XVI fait une lecture de la situation présente à la lumière de ce programme vieux de plus de quarante ans.
Il relève les progrès qui ont pu être accomplis, mais il souligne aussi l’aggravation de certaines situations, notamment dans l’écart croissant entre une richesse de plus en plus grande pour certain, certains individus et certains pays, et une pauvreté de plus en plus profonde entre les pays et à l’intérieur de chaque pays.
Je voudrais souligner encore deux points très importants de l’encyclique :
1. Il n’y a aucun domaine d’activité humaine qui échappe à la responsabilité morale. Ni le domaine économique, ni le domaine financier, ni le domaine technologique, ni le domaine de la recherche scientifique. La moralité et donc la valeur spécifiquement humaine des actions entreprises ne peut pas être seulement une question que l’on pose a postériori quand tout est fini et décidé, pour aménager des corrections aux marges. Elle est inhérente à la totalité de la démarche, elle doit en être un élément constituant permanent. Elle repose sur une évaluation des finalités visées et des moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs. C’est la question du sens de l’action humaine personnelle et collective. La justice et le bien commun sont les deux critères pour évaluer ce qui est conforme à un développement vraiment humain.
2. Le deuxième point concerne la réflexion sur la mondialisation et son rapport au développement. L’extension de la mondialisation pose des conditions nouvelles pour le développement en raison des interconnexions accrues et de l’internationalisation des échanges économiques et financiers. Cette situation conduit à examiner un certain nombre de questions, ce que fait l’encyclique, que je ne fais qu’énumérer :
- Le risque de laisser se développer une internationalisation exclusivement économique et financière et de négliger les dimensions sociales et culturelles de ce phénomène.
- La mondialisation a représenté et représente une chance pour un certain nombre de pays émergents. Elle a été et elle est aussi une catastrophe pour d’autres pays, faute d’une régulation internationale.
- La mondialisation suscite un nouvel équilibre entre les acteurs économiques, les états et la société civile. Notamment les champs d’action des états et leurs responsabilités ne sont plus les mêmes dans la mesure où beaucoup de centres de décisions ont pris une position internationale qui échappe à l’autorité particulière de chaque état, d’où la nécessité de reprendre à frais nouveaux la question d’une régulation internationale, y compris pour les organismes internationaux déjà existants.
- Elle pose la question de la répartition des ressources et des moyens de production. Il faut analyser les objectifs réels et les conditions des « délocalisations ». S’agit-il simplement de trouver ailleurs de lieux de production moins couteux au détriment des populations parmi lesquelles on les installe – et en particulier au détriment de leurs droits sociaux – ou s’agit-il de répartir de manière plus équitable l’utilisation d’une technologie et la capacité d’entreprendre ?
Cardinal André Vingt-Trois, président de la Conférence des évêques de France
Le 7 Juillet 2009