Le sida : de la peur à la solidarité

Déclaration de la Commission sociale de l’épiscopat,
Le 23 juin 1987

Tout le monde en parle. L’alerte est générale. Pourtant la prise de conscience de la gravité du sida n’est sans doute pas assez profonde ni assez générale. Responsables de santé, soignants et chercheurs, malades et leurs familles savent les conséquences de cette nouvelle maladie. Ils nous interrogent.

Nous croyons, au nom de l’Évangile, devoir nous exprimer sur cet événement. Pour ceux qui connaissent l’angoisse et la souffrance, le Christ a ouvert une voie d’espérance.
Nous sommes membres d’une famille humaine universelle, appelée à vivre la solidarité dans l’épreuve et le refus de toute exclusive.

Un défi nouveau

Le sida menace gravement la santé publique de la France et des autres pays, en particulier ceux du tiers monde. C’est un fait. Les informations sont à notre disposition: comment les recevons-nous ?

Le combat contre ce mal est engagé. Il convient de rendre hommage aux efforts des chercheurs et des soignants ainsi qu’aux pouvoirs publics qui appuient leur lutte. Celle-ci ne peut être menée qu’avec les personnes malades et leurs familles. Tous ensemble, nous pouvons rompre le cycle infernal du fatalisme.

Accueillir les malades et leurs familles

Jésus Christ a accueilli tous les malades: ce doit être notre attitude vis-à-vis des malades du sida, comme pour tous les autres.

Une société gagne en dignité humaine si elle gère, sans discrimination, la santé de tous les citoyens. Une société qui rejetterait ceux qui font peur et qui dérangent ouvrirait la voie à toutes les exclusives.

Les personnes malades réclament des soins appropriés, mais pas de marginalisation. Ne nous laissons pas gagner par l’affolement qui ferait naître des réactions d’intolérance à leur égard.

Les personnes séropositives ne sont pas des malades. Elles sont partagées entre l’espoir et l’angoisse, parce qu’elles peuvent le devenir.
Sans doute, les unes et les autres doivent-elles prendre conscience des risques de propagation de la maladie.

La présence de la famille et des amis est le soutien naturel et indispensable pour vivre et conserver toutes les activités possibles.

L’insécurité de ceux que le sida a frappés exige de tous un effort constant d’attention et une écoute fraternelle.

À chacun de dépasser ses réflexes de peur. À chacun d’apprendre à vivre dans le respect de l’autre, tel qu’il est en lui-même. À chacun d’inventer l’accueil fraternel qui s’impose.

Le sida n’est pas une malédiction

Le sida atteint l’homme dans ce qui est la source de sa vie: le sang et la sexualité.
Mais le sida n’est pas un châtiment divin; c’est une maladie qui a ses propres causes. Dieu n’est pas « sadique »! Dieu est Amour. Il ne veut pas la souffrance et la mort de l’homme.

Le sang qui fait vivre est susceptible d’être contaminant s’il est porteur du virus. Nombreuses et précises, les précautions à prendre relèvent de décisions humaines.

Le sida nous transmet un signal d’alarme : chacun engage sa responsabilité dans sa manière de vivre et toute personne a besoin de références éthiques.

L’existence humaine est une histoire d’amour

Au cours des dernières années, des changements se sont manifestés dans la manière de concevoir le bien-être corporel : ce fut un gain pour beaucoup. Par contre, la soi-disant libération sexuelle a laissé croire que la sexualité pouvait se vivre sans véritable amour. « L’autre » n’est-il pas souvent devenu aujourd’hui le « grand absent » des relations interpersonnelles ?

Toute société court à sa perte si les relations humaines sont vécues seulement à travers des rencontres éphémères. La montée des solitudes les échecs affectifs et leurs cortèges d’agressivités n’en sont-ils pas le signe ?

Une relation d’amour se construit au jour le jour, c’est elle qui donne tout son sens au mariage et à la famille, pour toute la vie et pour donner la vie. Sans amour et sans fidélité l’existence humaine ne peut réellement s’épanouir. Il faut toujours apprendre à aimer.

Une commune humanité

Défi pour les personnes et pour la société, pour les Etats et pour l’Eglise, le drame du sida atteint l’existence humaine dans son origine et dans son développement. Il interroge chacun sur son comportement personnel, familial et social: l’indifférence et l’égoïsme n’en sont-il pas trop souvent les notes dominantes ?

C’est un problème médical et social qui nécessite un maximum d’efforts dans la recherche scientifique, comme dans l’investissement économique, pour chaque pays comme au plan international. Ce processus est en route.

Nous souhaitons qu’un dialogue s’instaure, par-delà les réactions de panique, pour permettre à tous les hommes de bonne volonté de manifester la solidarité de la famille humaine et reconnaître la valeur irremplaçable de l’amour qui fait vivre.

« Une fois que nous avons vraiment compris que nous sommes frères et soeurs dans une commune humanité, nous pouvons, à la lumière de la solidarité qui nous unit, déterminer nos attitudes envers la vie » (Jean-Paul II).

C’est dans cet esprit que nous voulons agir et que nous lançons cet appel, affirmant notre confiance en tout homme, aimé de Dieu.

Didier-Léon Marchand,
évêque de Valence,
président de la Commission sociale