J’ai vu la misère de mon peuple
Qui sont ces personnes sans-papiers qui ont demandé l’asile en Eglise ?
Ce sont des hommes et des femmes pour la plupart originaires de pays pauvres : Afrique sub-saharienne, Maghreb, Turquie, pays Asiatiques. Beaucoup sont célibataires, mais gardent des solidarités avec leur famille restée au pays à qui ils envoient une part de ce qu’ils peuvent gagner chez nous. Certains sont déboutés du droit d’asile mais expriment des craintes justifiées en cas de retour dans leur pays.
Ces hommes et ces femmes sont là depuis longtemps. Ils ont mis tout leur espoir dans l’opération de régularisation décidée par le gouvernement en juin 1997. Ils ont fait confiance à l’administration en lui remettant toutes les données de leur situation. Certains ont reçu de la préfecture une invitation à quitter le territoire français alors qu’ils étaient en situation régulière dans le passé. Leur déception est grande. C’est la ruine de leur projet, l’incertitude sur leur avenir, l’échec de l’aventure qu’ils ont tentée en venant jusque chez nous.
Pourquoi dans les églises ?
Lorsque les portes de l’administration se referment, les églises leur apparaissent l’ultime recours. Certes, ils pourraient aussi choisir d’autres lieux d’accueil. Mais ils savent que rien de ce qui touche la dignité de l’homme n’est étranger à l’Eglise. Ils sont accompagnés depuis longtemps par des chrétiens dans leurs démarches auprès des administrations. Ils espèrent par cette présence dans les salles paroissiales, attirer l’attention de l’opinion publique sur la détresse de leur situation, et amener les pouvoirs publics à revoir leur dossier en vue d’une régularisation.
Pourquoi les catholiques de ces paroisses les ont-ils accueillis ?
Les motivations de cet accueil sont enracinées dans la tradition de l’Eglise.
Les chrétiens qui ont accueilli les sans-papiers ont compris leur souffrance. Ils ont pris le risque de l’hospitalité.
Toutefois, la question posée par le Conseil d’Eglises Chrétiennes en France demeure : » Dans une société laïque et sécularisée, les églises ont elles à devenir les seuls sanctuaires où se réfugient ceux qui veulent clamer leur détresse ? » (CECF Juil. 96).
Les chrétiens ont la conviction que leur relation au Christ est engagée dans cet accueil et dans ces nouvelles relations de solidarité nouées avec » des personnes sans-droits « , » J’étais un étranger et vous m’avez accueilli » (Mt 25).
Lorsqu’elle accueille des sans-papiers, l’Eglise n’est pas en dehors de sa mission. » En tant que sacrement d’unité, l’Eglise est le lieu où les immigrés en situation illégale sont reconnus et accueillis comme des frères « . (Message du Pape Jean-Paul II pour la Journée Mondiale des Migrants, 1996).
La plupart du temps, les hôtes des paroisses se sont engagés à respecter le libre exercice du culte et la prière des fidèles dans les églises. Les salles qu’ils occupent sont attenantes au sanctuaire. Il faut constater qu’une telle décision est difficile à prendre. Il n’est pas admissible que les communautés paroissiales soient mises devant le fait accompli par les sans-papiers.
Des instances de liaison avec les préfectures ont été mises en place, pour une révision des dossiers. Un dialogue, clair et fraternel, s’est instauré entre ceux qui accueillent et ceux qui sont accueillis. De si loin que viennent ces sans-papiers, ils sont devenus le prochain de ceux qui ont accepté de leur offrir l’hospitalité.
Quelle signification peut-on donner à cette présence
C’est un signal d’alarme.
Une partie des nouvelles mobilités internationales sont causées par l’extrême misère dans laquelle vivent certains pays du Tiers-Monde. Elles sont également provoquées par les atteintes aux droits essentiels de la personne humaine qui sont le lot de nombreux peuples. Les sans-papiers donnent un visage à cette souffrance. Ils sont le cri du Tiers-Monde venant retentir jusqu’au cœur de nos sociétés.
La prévision d’Alfred Sauvy se réalise : « Si les richesses ne vont pas vers les hommes, ce sont les hommes qui viendront vers les richesses « .
Nous devons prendre en considération des chiffres qui parlent d’eux-mêmes : dans l’Union Européenne le PIB par habitant s’élève à 84 000 F par an. Dans de nombreux pays d’Afrique d’où viennent les nouveaux migrants il est de 4 500 F. Beaucoup d’entre eux venus travailler chez nous envoient la majeure partie de leur salaire dans leur famille restée au pays ; ils rendent ainsi possibles des initiatives de développement dans leur pays d’origine. Cette solidarité mérite respect et considération. Saurons-nous y découvrir un appel à notre propre solidarité ?
Le Comité Episcopal des Migrations
Le Comité Episcopal soutient les communautés catholiques qui ont accordé l’hospitalité aux sans-papiers et tous ceux qui travaillent à ce qu’ils soient reconnus.
A la suite du Conseil d’Eglises Chrétiennes en France, (9/11/97) il demande une large régularisation tenant compte des impératifs de la solidarité, spécialement en faveur des célibataires.
Cette régularisation » large » ne répond pas aux seules exigences de la générosité. Elle paraît également raisonnable : de nombreuses personnes non régularisées ne pourront être reconduites à la frontière et risquent de retomber dans la clandestinité. Cette situation peut être cause de manifestations de désespoir préjudiciables à l’ordre public.
Conscient du nécessaire respect de la loi, le Comité exprime les souhaits suivants :
– que la procédure de régularisation tienne compte davantage des possibilités contenues dans la législation prochainement votée, notamment en matière d’asile territorial et de durée du séjour sur le sol français.
– Que la politique de co-développement récemment proposée dans un rapport remis au Premier Ministre puisse être rapidement étudiée et adoptée. Elle permettrait un partenariat entre pays d’origine et pays d’accueil et prendrait en compte le soutien que les migrants présents en France peuvent apporter au développement de leur pays.
Le Comité travaille avec d’autres associations et mouvements d’Eglises chrétiennes qui ont pour objectif la solidarité entre les peuples. Avec eux, il est prêt à dialoguer avec les responsables politiques sur les moyens de répondre à l’appel des sans-papiers dans l’optique de la solidarité et de la sagesse.
En ce temps de montée vers Pâques, il appelle les communautés catholiques à réfléchir sur la manière dont elles peuvent mieux connaître, rencontrer et soutenir ces « personnes sans-droits « . Aller à la rencontre de l’autre est une conversion à laquelle nous appelle le Christ. En mourant sur la Croix, » il a détruit le mur de la haine » qui tient encore les peuples repliés sur eux-mêmes. En ressuscitant, il a donné naissance à un peuple nouveau où chacun peut entendre cette Bonne Nouvelle » Vous n’êtes plus des immigrés ou des étrangers… Nous sommes tous membres de la famille de Dieu ! » (Eph. 4…)
Dans la perspective de la lettre des Evêques aux catholiques de France, » Nous sommes appelés, à la suite de Jésus, à affronter l’épreuve du mal, avec la force de la foi, en y ouvrant des chemins de résurrection. Cet affrontement exige que nous nous tenions et agissions là où des êtres humains souffrent, désespèrent et attendent une délivrance « . Plus que jamais la foi nous invite » À la rencontre de l’autre « *
Le Comité Épiscopal des Migrations :
Mgr Jean-Charles Thomas, évêque de Versailles, Président
Mgr Eugène Lecrosnier, évêque de Belfort-Montbéliard
Mgr Jacques Bouchet, vicaire général de Marseille
Mgr Yves de Mallmann, vicaire épiscopal de Paris
Le Père Gilbert Bommé, vicaire épiscopal de Nantes
Le Père Dominique Simon, vicaire épiscopal de Blois
Le Père André Raymond, délégué diocésain de Saint-Étienne
Le Père Charles Bense, vicaire épiscopal de Pau
Le Père Pierre Trillas, vicaire épiscopal de Perpignan
Le Père Jean-François Berjonneau, secrétaire du Comité Episcopal.
Paris le 7 avril 1998.
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