Déconstruire l’antijudaïsme chrétien

Le Service national des relations avec les juifs (SNRJ) de la Conférence des évêques de France (CEF) publie le 1er juin 2023 l’ouvrage : « Déconstruire l’Antijudaïsme chrétien ». Un manuel qui s’attaque aux préjugés et aux mythes de l’antijudaïsme. Hautement symbolique, le lancement s’est déroulé dans les locaux au Fonds social juif unifié (FSJU), institution très importante du judaïsme français.

P. Le Sourt et rabbin Moche LewinDécoupé en vingt chapitres, le livre : « Déconstruire l’antijudaïsme chrétien » (éditions du Cerf) qui reprend soixante ans de l’enseignement catholique de l’Église est un « outil pour déconstruire les clichés et les préjugés ayant nourri l’antijudaïsme chrétien », a introduit le Père Christophe Le Sourt, directeur du Service National pour les relations avec le judaïsme (SNRJ), lors d’une conférence de presse.

Père Le SourtL’objectif du livre ? « Faire la distinction entre l’antisémitisme et l’antijudaïsme avec la spécificité de l’antijudaïsme chrétien qui est en particulier porteur de deux préjugés : le peuple déicide et la notion de substitution », précise le Père Le Sourt. « Il ne s’agit pas d’une suspicion vis-à-vis des uns et des autres. Au contraire, ce livre doit devenir habituel pour tous ceux qui ont envie d’aller plus loin dans le dialogue fraternel », a-t-il souligné.

Depuis plus d’un demi-siècle, l’Église redit avec détermination le lien unique qui la relie spirituellement à la lignée d’Abraham et aussi que les juifs sont « nos frères bien-aimés », comme le précisait le Pape Jean-Paul II. Ce rapprochement entre les communautés juives et catholiques, il a fallu le construire, années après années. « Au départ, il y avait un regard méfiant. Aujourd’hui par nos représentants religieux nationaux et par ses actes posés, un climat de confiance et d’amitié s’est instauré », relève le rabbin Moche Lewin, vice-président de la Conférence des rabbins européens. « Il y a eu un cheminement, étapes par étapes ; d’abord avec l’acte de Nostra Aetate en 1965 puis en 1986, avec la première visite du Pape Jean-Paul II dans une synagogue, à Rome », ajoute-t-il.

Grâce au lien de solidarité, les deux communautés ont eu des occasions majeures pour se retrouver à de nombreuses reprises, notamment en septembre 1997, quand les évêques de France ont demandé pardon, à Drancy pour les silences lors de l’extermination des juifs, pendant la Seconde Guerre mondiale face à la Shoah ou le 23 novembre 2015, au Collège des Bernardins, lorsque le Grand rabbin de France remettait à l’ensemble des églises chrétiennes une déclaration pour le Jubilé de fraternité. Dernier évènement de grande importance, en février 2021, les évêques de France avaient signé une déclaration dans laquelle ils appelaient à « guérir de l’antisémitisme et l’antijudaïsme » pour mener « une véritable fraternité à l’échelle universelle ».

« Nous pouvons renouveler cette fraternité en s’engageant dans des œuvres communes »

« Ne pas faire abstraction de l’histoire »

rabbin Moche Lewin

L’antisémitisme est aujourd’hui polymorphe. « L’antisémitisme a été un terreau pendant des siècles. C’est un virus mutant, constate le Père Le Sourt. On voit bien qu’il faut qu’on rejoigne un maximum de personnes pour nous entraîner dans cette lutte. » La lutte contre l’antisémitisme et l’antijudaïsme, elle passe aussi par l’éducation dans les établissements scolaires, auprès des jeunes générations. De par son expérience en Seine-Saint-Denis, le rabbin Moche Lewin intervient régulièrement auprès d’élèves de banlieue.

« Nous avons la chance de pouvoir construire un lien différent que nos ancêtres n’ont pas pu bâtir. Il n’est pas question de faire abstraction de l’histoire », précise le rabbin Moche Lewin. Mais nous avons décidé d’entretenir un autre type de relations, celui de bâtir un monde de fraternité. »

La fraternité est la pierre angulaire pour le changement. « Personne ne pourra effacer les tâches terribles de l’antijudaïsme chrétien, regrette le Père Christophe Le Sourt mais nous pouvons renouveler cette fraternité en s’engageant dans des œuvres communes et mesurer qu’ensemble, si nous servons la paix et la justice, nous pourrons être une bénédiction pour le monde. »

Enfin, Moche Lewin, vice-président de la Conférence des rabbins européens souhaiterait que « cet ouvrage soit traduit dans toutes les langues car il n’en existe pas au niveau européen voire mondial, et ce sont des problèmes théologiques qui ne sont pas liés à la France. »

CITATIONS DE LA PRÉFACE DU LIVRE

« Ce livre est, à mes yeux, un témoignage d’espoir, de confiance, en l’intelligence humaine. Car c’est bien une démarche de foi, et de singulière espérance, […] que de souhaiter faire bouger des lignes, que vingt siècles n’ont pas su modifier », relate le Grand rabbin de France, Haïm Korsia.

« On ne se détache pas de siècles de mépris et d’incompréhensions en quelques décennies. C’est un travail de clarté, à mener tous ensemble, et chacun pour soi, avec méthode », explique Mgr Éric de Moulins-Beaufort, Président de la Conférence des évêques de France.

J'ai une question... sur l'antijudaïsme chrétien

Les orientations pastorales du Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme étaient publiées le 16 avril 1973. Que dit ce texte de l’épiscopat français à propos du judaïsme ?

« Il est urgent que les chrétiens cessent définitivement de se représenter le Juif suivant des clichés qu’une agressivité séculaire avait forgés… combattons avec courage les représentations caricaturales et indigne d’un homme honnête, à plus forte raison d’un chrétien ».

Comment l’antisémitisme s’est-il décliné à travers l’histoire ?

L’antisémitisme se décline de trois manières : religieux, économiques et raciales.

  • Religieux : cette dimension particulière de l’antisémitisme, est qualifié d’antijudaïsme
  • Economique : rapport à l’argent et complicité avec le « Grand capital »
  • Racial : cet antisémitisme va s’appuyer durant le début du XXe siècle sur la psuedo-théorie scientifique des races.

Comment se manifeste l’antijudaïsme ?

Les juifs sont porteurs d’un message et d’une espérance autres que celle des chrétiens : en effet ils ne reconnaissent pas en Jésus le Messie des Ecritures. Très tôt s’installer une concurrence entre les juifs et le christianisme naissant. De là naît l’antijudaïsme qui est une hostilité à l’égard de la religion juive. Il se développe avec comme ligne de force l’accusation de déicide, à savoir faire des seuls juifs les responsables de la mort de Jésus. L’attitude du christianisme envers le judaïsme a également été marquée par la théologie de la substitution, elle-même inspirée de la doctrine augustinienne du « peuple témoin ». 

La théologie de la substitution veut démontrer que les chrétiens deviennent le Peuple de Dieu à la place du juif. L’Église se considère, dès le IIe siècle, comme le « vrai Israël » avec lequel Dieu a conclu une « nouvelle Alliance ». Beaucoup d’incompréhensions découleront de cette affirmation.

Quelle a été l'importance du Concile Vatican II ?

Depuis le concile Vatican II et la Déclaration Nostra Aetate votée en 1965, l’Église  catholique a relu sa tradition et modifié son positionnement en réfutant explicitement  et avec force les théories du « déicide » et de la « substitution ».

L’ Église a notamment revu :

■ la liturgie stigmatisante du Vendredi saint, autrefois accompagnée de pratiques populaires humiliantes,

■ dans les homélies, l’opposition qualitative entre Nouveau et Ancien Testament,

■ la critique systématique des Pharisiens…

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