Pourquoi l’Église proclame-t-elle Jean-Baptiste Scalabrini saint un siècle après sa mort ?
Plus d’un siècle s’est écoulé depuis la mort de Jean Baptiste Scalabrini. Pourquoi l’Église le proclame-t-il saint après tant d’années ? Et quelle signification cette proclamation peut-elle avoir pour nous, femmes et hommes du troisième millénaire, déjà si éloignés de l’époque où vivait Scalabrini ? Il est canonisé le dimanche 9 octobre 2022 à Rome.
Les raisons du long processus qui n’a conduit qu’aujourd’hui à la canonisation sont bien connues. D’abord la crise que la Congrégation des Missionnaires de San Carlo, qu’il a fondée, a connue après sa mort. Deuxièmement, l’opposition aux vues de Scalabrini sur la conciliation entre l’Église et l’État. Et puis il y a toujours la sage prudence que l’Église utilise surtout pour la reconnaissance officielle de la sainteté d’un chrétien. Néanmoins, le processus ne s’est pas arrêté. En effet, le pape François, reconnaissant la dévotion dont jouit Scalabrini dans de nombreuses parties du monde, a ressenti le besoin de se dépêcher et a accordé la dispense du deuxième miracle. Donc, plus que le long retard pour parvenir à la canonisation, il faut s’étonner que l’Église, et en particulier le Saint-Père, ait voulu cette canonisation de nos jours et l’ait voulue avec une procédure inhabituelle, la dispense du miracle. L’Église a aujourd’hui besoin d’un saint comme Scalabrini, semble dire le pape François. Scalabrini, un saint du XIXe siècle mais en réalité un saint intemporel.
Quel sens peut donc avoir cette reconnaissance et quel message le Saint Père veut-il envoyer en proclamant Scalabrini saint ? Parmi les nombreuses activités qui ont caractérisé sa vie de pasteur, celle qui reste la plus brillante est sa passion pour les migrants. Les migrations étaient l’un des grands thèmes sociaux du temps de Scalabrini et continuent de l’être aujourd’hui. Le Saint-Père a accordé une attention particulière à la migration pendant ses années de pontificat, et dans Scalabrini il veut indiquer le modèle d’un pasteur qui se consacre aux migrants avec une attitude particulière. Scalabrini s’est d’abord consacré aux migrants avec une passion née de l’émotion. L’émotion désigne une âme qui sait regarder les choses non pas avec le regard superficiel de l’indifférence, mais avec des yeux qui se laissent toucher et humidifier… Le regard ému n’oublie pas facilement. Scalabrini ne pouvait pas oublier les scènes de migrants qu’il avait vues et devait répondre à ce tourment.
Deuxièmement, Scalabrini a cherché des réponses concrètes aux conditions des migrants. D’abord en essayant d’impliquer l’Église et l’État sur ce phénomène de société, puis en sensibilisant la société civile par des écrits et des conférences. Il a dénoncé l’exploitation dont étaient victimes les migrants, il a œuvré pour une législation qui protège leurs droits, il a veillé à ce qu’ils trouvent un soutien dans le premier et le plus difficile moment, celui du départ et de l’arrivée dans un autre pays, par l’intermédiaire de San Raffaele, un organisme d’entraide sociale. Surtout, Scalabrini a regardé la migration avec un cœur de pasteur, entièrement dédié à la transmission de la foi. C’était l’angoisse que les migrants lui exprimaient dans leurs lettres et en tant qu’évêque, il avait honte du manque de soutien à la foi dans laquelle ils se trouvaient. Il fonda, donc, d’abord les missionnaires de Saint-Charles puis les religieuses missionnaires de Saint-Charles, un saint qu’il leur laissa comme un modèle de dévouement pastoral inlassable. Pour la transmission de la foi, Scalabrini avait souligné l’importance de la catéchèse d’une manière originale et anticipatrice. La mission auprès des migrants est une vraie mission, une mission que l’émigration a élargie au niveau du monde, sans avoir à aller bien loin.
Enfin, Scalabrini est allé au-delà des considérations sur les difficultés auxquelles les migrants doivent faire face et sur leur abandon social et religieux. Avec un regard prophétique, il a vu dans la migration une des grandes forces qui transforment l’humanité, relativisant les barrières qui ne cessent d’être érigées, et surtout un instrument de la Providence pour la réalisation du dessein de salut de l’humanité.
Ce sont des évêques comme Scalabrini dont l’Église a besoin aujourd’hui, solidement ancrés au territoire, mais capables d’embrasser les horizons plus larges où se forge la nouvelle humanité. C’est pourquoi le pape le proclame saint. C’est pourquoi nous nous tournons vers lui et nous nous rendons disponibles pour que les migrants d’aujourd’hui trouvent l’accueil et la protection dont ils ont besoin et que le monde se laisse changer. Les migrations sont un phénomène social de tous les temps. Scalabrini est un saint intemporel.
Père Graziano Battistella, cs, postulateur de la cause de canonisation