« Le chant n’est pas affaire de manuscrits. C’est d’abord un corps qui respire et qui vibre »
Sainte Hildegarde von Bingen (1098-1179) exerce une fascination qui dépasse largement la communauté des catholiques et inspire encore aujourd’hui par ses activités intellectuelles très variées : apothicaire, naturaliste, linguiste et bien sûr compositrice. Emmanuel Bellanger, ancien directeur de l’Institut de Musique Liturgique et des Arts Sacrés, a répondu à quelques questions concernant le talent musical de la sainte.
Quelle est techniquement l’originalité de la musique d’Hildegarde Von Bingen à son époque ?
Il y a deux grands types de chants grégoriens. L’un est plutôt psalmodique simple et l’autre est plus développé, on le dit mélismatique, c’est-à-dire avec des vocalises. Hildegarde von Bingen appartient à cette seconde tendance, un chant très orné. Il faut rappeler que nous sommes au XIIe siècle ce qui est déjà tardif dans la composition grégorienne. Je ne pense pas que l’on puisse réellement parler d’originalité, mais ce qui est notable réside dans le jaillissement intérieur de sa musique.
Elle ne se prétendait pas musicienne ce qui lui a probablement conféré une grande liberté. Par ailleurs, on peut noter de grandes caractéristiques à sa musique dont les mélismes font partie. Il s’agit d’un développement mélodique sur une syllabe qui dans le cas d’Hildegarde est très étendu dans l’espace. Les grands écarts de notes que l’on entend supposent une grande passion intérieure. Chez Hildegarde, on passe souvent du très grave à l’aigu en seulement trois ou quatre notes.
Je ne peux pas parler d’originalité, car elle s’inscrit tout à fait dans l’esthétique de son époque et pas seulement dans ce que l’on appelle le chant grégorien, mais aussi dans la musique profane. En réalité, nous avons créé des catégories pour des styles musicaux très liés.
En écoutant son œuvre, il semble que l’on puisse parfois reconnaître des influences arabisantes. Est-ce réellement une inspiration pour elle ? Peut-on noter des influences claires dans son œuvre ?
Cela ouvre une perspective historique et musicologique intéressante. Si on ne peut pas dire qu’il y ait des influences arabisantes, on peut souligner l’influence proche orientale. Les racines profondes du chant grégorien se trouvent d’ailleurs au Proche-Orient. Les racines modales, les échelles sonores, la manière de conduire la voix proviennent de cette région. Ce n’est pas forcément évident lorsqu’on entend des chants grégoriens aujourd’hui, car l’interprétation actuelle est très éloignée de celle d’origine. De nombreux ensembles médiévaux essayent d’ailleurs de retrouver les interprétations originales de ces chants.
Étant donné la redécouverte relativement récente de l’œuvre musicale d’Hildegarde Von Bingen, peut-on dire que cette sainte a marqué l’histoire de la musique jusqu’à aujourd’hui ?
On ne peut pas dire qu’il y ait, dans la musique, un avant et un après Hildegarde bien que son œuvre soit intéressante sur bien des points. Elle apporte en effet un véritable rafraîchissement. Sa découverte est relativement récente expliquant donc qu’elle n’ait pas pu vraiment marquer les esprits comme elle le fait de nos jours.
Qu’est-ce que vous évoque en tant que catholique et musicien, l’inspiration divine d’Hildegarde concernant la composition en particulier ?
Cela nous rappelle que le chant n’est pas affaire de manuscrit, mais d’abord un corps qui respire et qui vibre. Avec ces grands élans que nous évoquions, la musique d’Hildegarde von Bingen en est un bon exemple. Il est d’ailleurs intéressant de rappeler que pour le chant comme pour les autres disciplines que la sainte a pratiqué, le support corporel est sans cesse présent. Tout est très concret.