Petit rappel historique et théologique au sujet de la vénération des reliques
« Celui qui est affectionné pour quelqu’un vénère aussi les choses que cette personne a laissées d’elle-même après sa mort » dit simplement saint Thomas d’Aquin(†1274). Comme d’habitude la théologie part de l’expérience humaine la plus simple et spontanée. Quand vous regardez le collier que portait votre grand-mère ou le missel dont elle se servait, ce n’est pas au collier ou au missel que va votre affection, mais à votre grand-mère que ces objets vous rappellent. Vous vous souvenez alors de sa bonté et de sa foi, des bons conseils qu’elle vous a prodigués et vous rendez grâce à Dieu de vous avoir donné une telle grand-mère. C’est dans ce comportement humain tout à fait naturel que s’enracine le culte des reliques. Si nous conservons des vêtements ou des objets de nos aïeux, à bien plus forte raison devons-nous vénérer le corps d’un saint qui fut le membre de Jésus Christ, le temple et l’instrument de l’Esprit-Saint et qui est promis à l’éternelle résurrection.
Historiquement le culte des reliques a commencé avec le témoignage des martyrs . Comme il est touchant le tableau qui nous montre les héroïques sainte Praxède et sainte Prudentienne allant, au péril de leur vie, récupérer pieusement quelques débris de leurs frères moulus par la dent des fauves ! Ce culte était si insupportable aux païens qu’ils s’acharnaient sur les corps des martyrs pour être sûrs qu’il n’en restât rien. La cruauté des persécuteurs aiguisait le zèle ingénieux des chrétiens et éveillait leur dévotion pour des reliques de plus en plus minimes. Voici ce que rapportent les actes du Martyre de saint Polycarpe (†156) : « Le centurion fit brûler le corps de Polycarpe. Ainsi nous ensuite, ramassant les ossements plus précieux que les gemmes de grand prix et plus épurés que l’or, nous les avons déposés en un lieu convenable. Là même, autant que possible, nous nous réunissons dans l’allégresse et la joie en mémoire de ceux qui sont déjà sortis du combat, et pour exercer et préparer ceux qu’attend le martyre. » Ainsi le culte des reliques galvanisait le courage des chrétiens, les excitait à une foi intrépide, les associait aux mérites des saints et obtenait leur intercession. La coutume fort ancienne de célébrer l’Eucharistie sur le tombeau des martyrs se prolonge en quelque sorte par le fait qu’encore aujourd’hui les autels consacrés contiennent, enchâssées dans la pierre, des reliques de saints. A Saint Jean Baptiste de La Salle, l’autel principal consacré en 1936, contient des reliques de sainte Marie Madeleine Postel(†1846).
Quand les persécutions prirent fin, on put plus librement célébrer les anniversaires des glorieux martyrs au lieu de leur sépulture. Cet usage est unanime et universel. D’autant plus que toute l’antiquité témoigne des innombrables signes que Dieu accorde en présence des saintes reliques. Les récits de miracles foisonnent. La Bible elle-même ne raconte-t-elle pas les prodiges qui s’opérèrent avec le manteau d’Elie (2 Rois 2,14) ou encore avec le cadavre d’Elisée (2 Rois 13,21) ? Comme si Dieu avait attaché une certaine vertu aux reliques des saints prophètes. Après tout, explique saint Jean Damascène(†749), si Dieu a fait jaillir l’eau d’un rocher au désert, pourquoi serait-il incroyable qu’il fît jaillir un torrent de grâces du corps des saints ?
Bien sûr la piété populaire, toujours à la recherche de sensationnel, risquait de s’emballer. Le culte des reliques pouvait tourner à la superstition ou au fétichisme. Au IVème siècle le prêtre toulousain Vigilance en vint même à le condamner comme une idolâtrie. Saint Jérôme(†420) écrivit alors un cinglant Contra Vigilantius, où il explique que nous honorons les reliques des martyrs afin d’adorer Celui dont ils ont été les martyrs. Tous les Pères de l’Eglise appuient de leur autorité et éclairent de leur science un culte si estimable. En orient saint Jean Chrysostome(†407) s’en fait le chantre inspiré : « Voulez-vous, s’exclame-t-il, goûter d’inexprimables délices, venez au tombeau des martyrs, prosternez-vous humblement devant leurs sacrés ossements, baisez dévotement la châsse qui les renferme, lisez les combats qu’ils ont soutenus, les traits édifiants de leur foi et de leur courage. Prenez de l’huile sainte qui brûle devant leurs tombeaux, frottez-en votre corps, votre langue, vos lèvres, votre cou et vos yeux, et vous ressentirez les effets de leur puissante intercession auprès de Dieu. » Bientôt l’Orient devait connaître la querelle iconoclaste. Etait-il permis ou non de vénérer les saintes images ? Le Concile de Nicée II (787) trancha la question en écartant toute accusation d’idolâtrie car « l’honneur rendu à l’image s’en va au modèle original et celui qui vénère l’image vénère en elle la personne de celui qu’elle représente » . La même légitimation vaut a fortiori pour le culte des reliques, qui, il est vrai, fut souvent supplanté en Orient par la vénération des saintes icônes.
En Occident, Saint Augustin(†430) encourage la vénération du corps des fidèles « qui ont servi d’instrument et d’organe au Saint-Esprit pour toutes sortes de bonnes œuvres ». Les grandes invasions barbares favorisèrent la dispersion des reliques chacun ayant à cœur d’emporter dans sa fuite les restes vénérables des saints fondateurs pour les soustraire à la profanation. La fin des croisades se solda par une véritable rafle de reliques, tout ce qui était rapporté de Terre Sainte étant considéré comme inestimable. On ne pouvait plus se rendre à Nazareth mais on pouvait visiter la maison de la sainte famille à Lorette en Italie ; l’accès à Jérusalem était impossible mais à Paris on pouvait vénérer la Couronne d’épines dans la Sainte-Chapelle, à Bruges quelques gouttes du précieux Sang etc…Evidemment la multiplication des reliques les plus diverses et quelquefois les plus incongrues (le lait de la Vierge à Laon, une dent du Seigneur à Saint Médard etc…) allait jeter le doute sur leur authenticité et le discrédit sur leur vénération. Saint Thomas d’Aquin consacre un article de la Somme à justifier la vénération des reliques. Il en donne trois motifs :
• L’affection qui nous lie aux saints, amis de Dieu et nos intercesseurs auprès de Lui, nous porte à vénérer tout ce qui reste d’eux, vêtements, objets etc..
• On doit vénérer principalement le corps des saints qui ont été les temples et les organes de l’Esprit Saint et qui doivent être configurés au corps du Christ dans la gloire de la Résurrection.
• Toute l’histoire de l’Eglise prouve que Dieu accomplit des miracles en présence des reliques des saints.
Le Concile de Trente sanctionnera de son autorité cet enseignement .
Les guerres de religion amenèrent le pillage et la dispersion d’innombrables reliques. La critique des Réformés à l’endroit de leur culte ne fit qu’en renforcer la pratique dans le monde catholique. Hélas ! il devenait de plus en plus difficile de démêler le bon grain et l’ivraie, les fausses reliques ou les restes douteux ayant dangereusement proliférés. La Révolution française amena son lot de fureur destructrice et de profanation. Mais elle fit aussi de nouveaux martyrs et donc autant de nouvelles reliques potentielles ! Que l’on songe au sang des martyrs de septembre au séminaire des Carmes à Paris !
Le Concile Vatican II rappelle que « selon la Tradition, les saints sont l’objet d’un culte dans l’Eglise, et l’on y vénère leurs reliques authentiques et leurs images. » Il faut respecter le sens religieux du peuple chrétien qui de tout temps a entouré la vie sacramentelle de l’Eglise par de telles formes de piété légitimes .
Bien sûr, il ne manque pas de nos jours de beaux esprits pour railler le culte des reliques comme une piété désuète et superstitieuse. Mais le sensus fidelium ne s’y trompe pas. Le peuple des fidèles accourt en masse dès que des reliques sont proposées à sa vénération. Le culte des morts est un des critères décisifs d’hominisation. « Notre religion est sainte qui a bien connu l’homme », disait Pascal. Si l’Eglise ne promeut plus le culte des reliques, le sens humain inné trouvera d’autres formes moins nobles pour s’exprimer. Des ventes aux enchères d’objets ayant appartenu à des personnalités font périodiquement la une de l’actualité. C’est ainsi ; tout domaine abandonné par l’Eglise est immédiatement récupéré commercialement : on ne jeûne plus mais on fait des régimes ; on ne croit plus aux anges et aux esprits mais on consulte les voyants et les horoscopes … L’homme reste l’homme. Mieux vaut un juste culte des saints qui nous pousse à les imiter et à adorer Dieu que le succédané mercantile et idolâtre que le monde tend à lui substituer.
Article publié sur le site du dioèse de Paris, le 12 mars 2009