Homélie du dimanche 20 septembre
Ce dimanche met face à face deux camps, celui des impies et celui des justes. Il y a ceux qui vivent la droiture, la paix et la miséricorde. Il y a ceux qui pensent rivalités, conflits, convoitise et instinct (Lettre de saint Jacques). Sur leur chemin, les impies rencontrent le juste qui, par sa seule existence, est un reproche vivant à leur conduite (Livre de la Sagesse).
Jésus, dans l’Evangile, ne fait pas d’antagonisme. Il parle de ceux qui accueillent, quelle que soit leur difficulté à comprendre et à Le suivre, même s’il sous-entend ainsi ceux qui ne l’accueillent pas et dont saint Marc nous parlait dans les récits précédents, relatés ces derniers dimanches.
LE JUSTE ET L’IMPIE
Selon son mode littéraire et dès ses premières lignes, le Livre de la Sagesse veut nous faire comprendre une leçon essentielle : l’incompatibilité entre les modes de vie engendre des épreuves inévitables pour celui qui veut vivre selon la Loi de Dieu.
Les versets d’aujourd’hui ne peuvent être isolés de leur contexte et sont à lire dans le prolongement du premier chapitre : « Dieu ne fait pas la mort, la justice est immortelle. » (1. 13 à 15) Les impies, eux, sont fascinés par la mort et, dans son attente, ils veulent jouir au maximum du provisoire de la vie, écartant tout obstacle à leurs désirs : « Les impies appellent la mort du geste et de la voix. La tenant pour amie, ils se consument pour elle. » (1. 16 à 2. 9)
Par sa manière de vivre et le rappel de ses convictions, le juste devient un reproche permanent. La meilleure manière de se tranquilliser, c’est donc de l’éliminer : « Traquons le juste puisqu’il nous gêne. » (2. 16)
Dans la Passion du Christ, tout ceci n’est plus une leçon de morale. C’est une réalité inscrite dans l’histoire. Ce ne sont pas que des aspects matériels : outrages, tourments, mise à mort. (24ème dimanche) Ce sont aussi tous les faits qui, peu à peu, s’accumulent au cours des événements.
Nous les avions énumérés lors du commentaire du 23ème dimanche. Le piège tendu (Sagesse 2. 12) « Ils tenaient conseil en vue de le perdre. » (Marc 3. 6) Il se vante d’avoir Dieu pour Père (Sagesse 2. 16) « Celui qui m’accueille, accueille Celui qui m’a envoyé. » (Marc 9. 37) Il nous reproche de désobéir à Dieu (Sagesse 21. 14) « Vous annulez le commandement de Dieu pour observer votre tradition. » (Marc 7. 9)
La Passion de Jésus est bien la Passion du Juste (Sagesse 2. 18 à 20) Au pied de la Croix, c’est ce que reconnaît le centurion, selon l’expression rapportée par saint Luc : « Sûrement, c’est homme était un juste. » (Luc 23. 47) Mais elle est davantage.
NOUS SOMMES CONCERNES
La lettre de saint Jacques reprend ces deux conceptions de la vie qui nous concernent tous : celle de la justice en Jésus-Christ et celle qui, malgré les apparences immédiates, sera un échec, source des conflits et de la mort.
« Vous êtes pleins de convoitise et vous n’obtenez rien. Vous êtes jaloux et vous n’arrivez pas à vos fins. » Ces passages sont réalistes. C’est bien l’homme qui détruit et lui qui engendre la souffrance, les inégalités, les guerres. « Vous ne recevez rien parce que votre prière est mauvaise : vous demandez des richesses pour satisfaire vos instincts. » (saint Jacques 4. 3)
Au contraire, la sagesse qui vient de Dieu est d’abord droiture et, par conséquence, elle est paix féconde. Elle donne son fruit aux artisans de paix. » (saint Jacques 3. 17 et 18) « Heureux les artisans e paix. » (Matthieu 5. 9)
A nous donc d’accueillir le Fils de l’Homme dans toute sa vérité et toute sa réalité, y compris dans la Passion et sa mort, pour partager, dans sa Résurrection, la Vie divine de Celui qui nous l’a envoyé. (Marc 9. 37)
L’explication donnée aux apôtres par le Christ veut éclairer leur incompréhension qui n’est pas un rejet impie. Le silence, dans lequel ils s’enferment, vient de leur crainte à le questionner pour obtenir le sens de ce que le Maître affirme.
L’ENJEU EST UNIVERSEL
La réalité que Jésus nous propose est différente de celle que pouvait entrevoir l’auteur de la Sagesse quelques dizaines d’années avant l’ère chrétienne. Jésus est rejeté pour d’autres raisons.
D’abord comme gêneur, par le fait qu’il met à jour la vérité. Une vérité qui brise l’enfermement dans lequel s’est enfermé l’impie. « La vérité vous rendra libres. »
Il n’est pas seulement un juste parmi les justes, avec sa personnalité originale. Il n’est pas seulement la mauvaise conscience des dévoyés. Comme Messie, il est autrement dérangeant. Il restructure le Peuple de Dieu sur la base de Dieu lui-même.
Ses adversaires ne sont pas dupes quand ils le présentent comme redoutable à l’autorité civile de Pilate qui, lui, avait bien compris que Jésus ne cherchait pas à l’affronter directement. « Je ne trouve en lui aucun délit » dira-t-il (Jean 18. 38). Mais la peur des uns et des autres engendrent la condamnation à mort. La prétention de Jésus est plus radicale qu’une prétention sociale ou politique.
Il n’est pas seulement un fils, comme tous les membres du Peuple de Dieu. « Vous êtes des fils pour le Seigneur. » (Deutéronome 14. 1) Il est le Fils, il est l’Unique. Et cela, les bénéficiaires de l’ordre établi ne peuvent le tolérer. Dans le face à face du Sanhédrin, les chefs religieux se sentent obligés de poser la vraie question qui les oppose à Jésus, parce qu’ils ne sont pas des impies et que ce juste n’est pas un juste comme les autres. « Je t’adjure par le Dieu vivant : dis-nous si tu es le Christ-Messie, le Fils de Dieu. » (Matthieu 26. 63)
Dans l’horizon du Livre de la Sagesse, ce qui est promis au Juste, c’est l’éternité bienheureuse de l’âme. La perspective de la résurrection n’est pas encore intégrée dans ce monde juif marquée par la philosophie grecque qui ignore l’éventualité d’une résurrection personnelle. (Le Livre de la Sagesse a été vraisemblablement écrit à Alexandrie, dans la communauté juive.)
Enfin rien non plus n’évoque la mission de salut que le Juste persécuté exercera à l’égard de la multitude des hommes. Même si ce passage de la Sagesse est extraordinairement évocateur, le dernier mot, dans l’Ancien Testament, reste au poème du Serviteur persécuté et souffrant, en Isaïe 53. 11 : « Après les épreuves de son âme, il verra la lumière. Par ses souffrances, mon serviteur justifiera les multitudes en s’accablant lui-même de leurs fautes. » Paroles que Jésus rappelle à ses apôtres au soir du Jeudi-Saint : « Ceci est mon sang qui garantit l’alliance de Dieu et qui est versé pour la multitude. » (Marc 14. 24)
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Cette alliance, l’Alleluià nous la fait chanter au seuil de la lecture évangélique : « Par l’annonce de la Bonne Nouvelle, Dieu nous appelle à partager la gloire de Notre Seigneur Jésus-Christ.» selon les mots de saint Paul dans la deuxième lettre aux Thessaloniciens (2. 14).
Si dès maintenant et plus encore, au terme de notre existence humaine, Dieu nous accueille, il nous faut dès maintenant accueillir Celui qu’il a envoyé. En prenant un enfant comme signe de cet accueil, Jésus leur rappelle que nous devons accueillir tout homme rencontré dans sa misère, sa pauvreté, sa solitude, sa faim. « Quand t’ai-je rencontré, Seigneur ? » Quand tu as accueilli ce pauvre, cet abandonné, cet affamé.