Homélie pour le dimanche 10 mai
Lectures bibliques :
Lecture des Actes des Apôtres. 10. 25 à 48 : « Les païens avaient reçu à profusion le don de l’Esprit-Saint. »
Psaume 97 : « La terre toute entière a vu la victoire de notre Dieu. »
Lettre de saint Jean. 1 Jean 4. 7 à 10 : « Dieu est amour … il a envoyé son Fils dans le monde pour que nous vivions par Lui. »
Evangile selon saint Jean. Jean 15. 9 à 17 : « C’est moi qui vous ai choisis. »
***
Les Actes des Apôtres nous offrent une vision de l’Eglise qui rejoint la réalité que nous vivons aujourd’hui.
LE SIGNE DE DIEU
Le chapitre 10 n’est pas le simple descriptif d’un événement. C’est un des grands tournants de la vie de l’Eglise naissante, dont nous devons suivre le déroulement afin de vivre de l’intérieur la décision qui lui donnait, à ce moment-là, la possibilité de son épanouissement dans le monde grec et romain.
Beaucoup de choses sont en jeu et, en premier lieu, la fidélité à la pensée de Dieu, exprimée par Jésus de Nazareth, le ressuscité. Nous pouvons aussi mieux ressentir le pourquoi de l’orientation prise par les apôtres, à la suite de saint Pierre.
Les explications de saint Pierre n’emportent pas immédiatement les convictions. C’est un signe venant de Dieu qui sera déterminant. Cette irruption de l’Esprit-Saint, inattendue, rappelle à tous la Parole de Jésus au soir du Jeudi-Saint : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi. C’est moi qui vous ai choisis… qui vous choisis. Quand viendra le défenseur que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui vient d’auprès du Père, celui-ci témoignera de moi. » (Jean 15. 9 et suivants)
Quand arrive le moment de décider de l’accueil des non-juifs, Pierre pourra s’appuyer sur cette confiance et sur cette parole. Il délie l’entrave qui empêche les non-juifs de rejoindre pleinement le Royaume de Dieu.
L’ESPRIT DE DIEU AGIT COMME IL VEUT.
Pierre veut entraîner la jeune communauté à accepter le centurion Corneille et, au delà de lui, tout païen. Une attitude que le Pape François nous rappelle sans cesse.
Et Dieu ratifie ce qu’il dit. L’Esprit de Dieu va reposer sur un païen. Même si ce centurion est un « craignant Dieu », même s’il est sympathisant du peuple juif, il n’en reste pas moins à la porte. Il n’est pas circoncis.
Bien des païens, agrégés au peuple juif, l’étaient par le rite de la circoncision. Nous en voyons parmi les compagnons d’Etienne, le premier martyr (Actes 6. 5). Corneille n’est pas et ne sera pas circoncis. Désormais l’accès du Royaume dépend de l’efficacité de la Parole de Dieu, du Verbe de Dieu. Il ne dépend plus de l’application de la loi de Moïse. Il dépend de l’Esprit que Jésus envoie : « Le pardon des péchés est accordé, par son nom, à quiconque met en lui sa foi. » (Actes 10. 43).
Le centurion romain pourra entrer dans le peuple du Royaume. Il ne sera pas une exception d’ailleurs. Tous ceux qui l’entourent reçoivent l’Esprit et seront baptisés. Désormais, l’Evangile n’est plus le privilège des seuls Juifs, pourtant dépositaires de la Promesse.
L’Esprit de Dieu repose sur le Christ qui incarne en lui toute l’humanité.
Saint Luc avait relevé cette parole du Christ : « Il faut proclamer en son nom la conversion, pour la rémission des péchés, à toutes les nations en commençant par Jérusalem. » (Luc 24. 27). « Vous recevrez une puissance venant du Saint-Esprit sur vous et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et en Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » (Actes 1. 8).
C’est la mission de saint Pierre de rendre possible cette propagation de l’Evangile, tout autant que la réalisera saint Paul, auprès des Hellénistes, en rejoignant le collège apostolique. (Actes 9. 28)
L’ENTREE DES PAIENS DANS L’EGLISE
Cette entrée est donc le fait de l’Esprit-Saint lui-même qui bouscule les apôtres. A cette date, ils étaient encore tout imprégnés de l’obligation de prolonger la révélation mosaïque sans la renier, mais en l’incluant dans la révélation évangélique. Pierre veut les y conduire, mais ce discernement ne leur est pas facile.
Pas plus qu’à nous d’ailleurs dans des circonstances qui peuvent présenter quelques similitudes. L’Esprit-Saint alors nous bouscule, ne serait-ce que par ce concile Vatican II inattendu par ses orientation et ses décisions.
A Césarée, c’est Dieu lui-même qui prend en main les événements, au moment où Pierre explique à la communauté le sens du message dont il tire lentement les conclusions : « Son message, il l’a envoyé aux fils d’Israël. » Pierre dépasse déjà le peuple juif, car Israël, ce sont aussi ces Samaritains avec qui les habitants de Judée évitaient de parler. Pierre fait même un pas de plus : « Le Christ est le Seigneur (« kurios ») de tous les hommes. »
Il n’a pas le temps de terminer sa longue démonstration que l’Esprit-Saint, sans en attendre la conclusion, s’empare de tous ceux qui l’entendaient. Pierre en tire les conséquences. Nous sommes dans une autre logique : « Peut-on refuser l’eau du baptême à ceux qui ont reçu l’Esprit-Saint comme nous. »
LA PENTECOTE DES PAIENS
Plusieurs commentateurs emploient cette expression : « pentecôte des païens ». Elle est éclairante, mais elle peut devenir fausse si nous l’entendions comme la fondation d’une nouvelle Eglise. En fait, l’Esprit renvoie à la Parole de Dieu qui est le Verbe, Jésus-Christ. Il n’est aucune autre Parole de vie pour les Juifs comme pour les païens. Il construit le Corps qui est l’Eglise.
L’Evangile de ce dimanche le rappelle : « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour. Comme moi j’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure en son amour. » (Jean 15. 10).
A Césarée, Corneille, dans une vision, reçoit l’ordre de faire venir Pierre auprès de lui. C’est un appel de l’ange de Dieu qu’il transmet. A Joppé (Jaffa aujourd’hui), Pierre, de son côté, reçoit dans une vision l’ordre de ne plus faire de distinction entre aliments purs et aliments impurs. Ce n’est pas à lui de décider : « Ce que Dieu a rendu pur, ce n’est pas à toi de le dire souillé. » (Actes 10. 15).
Les émissaires de Corneille arrivent à Joppé et Pierre les reçoit. Tout s’éclaire. C’est l’Esprit de Dieu qui introduit les trois messagers, comme Abraham au chêne de Mambré a reçu trois messagers. Pierre leur offre l’hospitalité. Puis il part avec eux le lendemain et l’Eglise l’accompagne par la présence de quelques frères de Joppé.
Arrivés à Césarée, la rencontre de Pierre et de Corneille se fait au milieu de ses amis rassemblés. L’auteur du livre des Actes a pris soin de ne pas utiliser le mot grec « ecclesia » qui signifierait l’Eglise. Il s’agit d’une assemblée, ce n’est pas encore l’Eglise.
Pierre ne se justifie pas. Il explique l’enjeu de l’événement : « Je saisis que Dieu n’est pas partial. Dans toutes les nations, celui qui le craint et pratique la justice lui est agréable. » (Actes 10. 35). Il est l’écho de la première lettre de saint Jean lue en ce dimanche : « Tous ceux qui aiment sont enfants de Dieu et ils connaissent Dieu. » (1 Jean 4. 7). Corneille était un « craignant Dieu » et, selon la parole de sa vision, « Ta prière a été exaucée et tes aumônes je les ai remémorées. » Il peut atteindre cette connaissance de Dieu au sens plénier que lui donne la tradition biblique.
Parce qu’ils sont bien de ceux qui aiment, ces païens peuvent recevoir à profusion le don de l’Esprit qui est l’Esprit d’amour. Ils peuvent chanter le psaume 97 : « La terre toute entière a vu la victoire de notre Dieu ! acclamez Dieu, terre entière ! »
L’EGLISE DE JESUS-CHRIST
L’Esprit leur est venu de par l’initiative divine, sans l’accompagnement d’aucun geste, pas même l’imposition des mains, pas même avec cette mention soulignée lors de la Pentecôte : « Ils étaient en prière. » Par contre, ils reçoivent le baptême par un geste qui est le signe de l’appartenance à l’Eglise.
L’attitude des divers participants de cet événement souligne qu’existe déjà une hiérarchie, non pas de commandement, mais une hiérarchie qui confirme que tout vient de Dieu. « Confirme tes frères », avait dit le Christ à Pierre. Dieu n’agit pas en marge de l’Eglise. L’Esprit ne parle pas en dehors de l’Evangile. L’Eglise entend rester fidèle à l’Esprit de Dieu. C’est cela que nous pourrions appeler la hiérarchie dans l’Eglise.
Le centurion romain, même avec tous les mérites qu’expriment les qualificatifs mentionnés (Actes 6. 1 et 2), ne reçoit pas une révélation. Il reçoit l’ordre de faire venir quelqu’un qui lui révélera l’Evangile. Et c’est Pierre qui a reçu cette charge. Il est le garant de l’Eglise. Pierre authentifie le caractère divin de l’événement. Il fait reconnaître par l’Eglise la grandeur de l’initiative divine : c’est bien l’Esprit qui est venu.
Il est actuellement des dérives spirituelles qui sont dues à ce refus ou à cette négligence d’inscrire nos actes et notre foi dans la foi de l’Eglise. « Nous voici devant toi pour écouter ce que le Seigneur t’a prescrit de nous dire. » (Actes 10. 33). Nous avons encore besoin aujourd’hui de cette attitude ecclésiale du centurion.
L’Eglise est le lieu où toute initiative, apparemment humaine, prend sa valeur de grâce dans l’Esprit de Dieu. « C’est lui qui nous a aimés. » (1 Jean 4. 10). « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi. C’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous alliez, que vous donniez du fruit, et un fruit qui demeure. » L’Eglise authentifie que ce n’est pas une illusion personnelle. Ce que nous vivons ainsi est bien l’œuvre de Dieu.
***
Notre réponse ne peut se contenter de n’être que celle qui vient de nos seuls points de vue. Elle doit reconnaître et rejoindre le don de Dieu. « Purifie-nous et nous correspondrons davantage aux sacrements de ton amour » nous fait dire la prière sur les offrandes en ce dimanche.