« Familles : Trouvez un cap vers l’avenir ! » par le cardinal Ricard
Catéchèse sur la famille par le cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux et Bazas, pour le Festival des Familles en Gironde (27/09-4/10/2015), en lien avec le Synode des évêques sur la famille (Rome, 4-25 octobre 2015).
Du 27 septembre au 4 octobre [s’est tenu] dans notre diocèse un Festival des familles. Il sera suivi à Rome par la XIVème assemblée du Synode des évêques, ayant pour thème : « La vocation et la mission de la famille dans l’Église et dans le monde contemporain ». Ces deux événements sont une invitation à nous redire quelles sont nos convictions concernant la famille et de quelle Bonne nouvelle sur la famille notre foi dans le Christ nous appelle à être porteurs.
Que de bouleversements dans nos vies familiales !
Nous avons vécu ces dernières décennies de profonds bouleversements concernant la famille, le mariage, le couple, les relations aux enfants ou aux grands-parents. L’individualisme qui valorise la toute-puissance du désir de l’individu (droit au bonheur, droit à l’enfant….) et le développement des techniques biomédicales (avec la conviction qu’on peut aujourd’hui « fabriquer » un enfant) ont modifié la vie des familles et des couples. Pour beaucoup, les points de repère ont bougé, leurs représentations aussi. Faut-il adopter de nouvelles normes ? Certains s’interrogent, d’autant que de puissants courants culturels et médiatiques se font terriblement prescripteurs. L’Église, elle-même, est sommée de se « moderniser » et se mettre à l’unisson de l’opinion publique si elle veut se faire entendre. Les sondages d’opinion semblent de nos jours un magistère sans appel.
Loin de nous appeler à nous rendre sans condition à la « modernité », cette crise qui touche notre société nous invite, certes à faire une critique de certaines de nos façons de penser ou de vivre (place de la femme, type d’éducation des enfants….), mais surtout à redire les convictions qui nous habitent. Avoir l’intelligence de ses convictions, les expliciter et les partager, est une responsabilité vitale vis-à-vis des générations qui viennent. Dans une société pluraliste, où les références éthiques seront de plus en plus diverses, les catholiques devront être au clair sur les convictions qui les animent afin de les partager à leurs contemporains. Saint Pierre ne nous y invite-t-il pas, lui qui écrit : « Soyez toujours prêts à défendre l’espérance qui est en vous contre quiconque vous en demande raison. Mais que ce soit avec douceur et respect. » (1 Pi 3, 15-16).
Etre au clair sur nos convictions
Contrairement à ce que peuvent prétendre certains vulgarisateurs de la « théorie du Gender (genre) », tout n’est pas qu’une question de culture. La famille s’enracine dans ce qu’il y a de plus corporel en l’homme. Le bébé qui naît a un sexe et un nombril. Par son sexe, il est mâle (masculin) ou femelle (féminin), comme dit la Bible en Gen 1, 27 ; par son nombril, il manifeste qu’il n’est pas à lui-même son origine et que ce sont d’autres qui l’ont conçu et mis au monde. Chacun naît fils ou fille de. La famille va donc être ce lieu où s’articulent la différence des sexes et la différence des générations. Comme le dit Fabrice Hadjadj : « La famille noue trois types de liens : conjugal (de l’homme et de la femme), filial (des parents aux enfants), fraternel (des enfants entre eux) » (Qu’est-ce qu’une famille ? , 2014, p.33). Il en signale aussi trois autres : le lien avec les oncles et tantes, celui avec les grands-parents et celui des beaux-parents. À partir du choix initial de l’homme et de la femme qui s’unissent, tous ces liens sont donnés. On ne choisit ni ses enfants, ni ses parents, ni…sa belle-mère !
La famille est un lieu fondamental pour le petit d’homme. Elle lui offre un lieu où il apprend à parler, à vivre sa relation aux autres, à grandir, à se sentir aimé, et nous savons combien cette expérience de se savoir aimé est vitale pour son propre épanouissement personnel. Sa famille lui permet de se situer dans le temps et dans le monde (dans une généalogie, une histoire et une géographie familiales). Elle le situe dans la société (il reçoit un nom et naît dans un milieu social). Nous découvrons ainsi que dans sa structure profonde, la famille est inscrite comme une réalité fondamentale dans le dessein de Dieu.
Une Bonne Nouvelle pour toutes les familles
Pourtant cette réalité est souvent blessée. Cette famille idéale où toutes les relations seraient vécues dans un véritable amour de l’autre n’existe pas, ou plutôt elle est donnée comme une aventure à vivre et une tâche à réaliser, avec ce que cela demande comme conversion personnelle et don de soi à l’autre. En effet, des amours peuvent être fragiles (nous le constatons de plus en plus tous les jours). Certains peuvent être possessifs ou captateurs (dans l’Évangile, Jésus prend des distances par rapport à une famille qui veut l’accaparer : cf. Mc 3, 21 et 31-35). Des fratries peuvent être conflictuelles (nous le voyons dans la Bible). Des familles peuvent éclater par jalousie ou conflits d’intérêt. Que de divisions dans les familles autour des questions d’héritage ! Nous sentons bien que la famille a besoin d’être guérie, sauvée, aidée.
C’est là que le Christ vient à nous, non pour nous faire un cours sur la famille mais pour nous inviter à le suivre et à apprendre à aimer comme lui et avec lui. Il nous appelle à nous mettre à l’école de l’amour véritable, celui qui ne cherche pas à s’emparer de l’autre mais à se donner à lui : « Il n’y a pas de plus grand amour que de se dessaisir de sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 13). Toutes nos relations familiales (conjugales, parentales, fraternelles…) ont à se laisser modeler, transformer, transfigurer par ce souffle d’amour que nous offre le Ressuscité (cf. Jn 20, 22). Il est important de vivre ce compagnonnage avec le Seigneur dans notre vie familiale. Sachant nos limites, nos résistances à aimer, nous avons tous à nous approcher de la miséricorde de Dieu pour qu’il nous accueille et nous donne ce fruit de l’Esprit dans parle Saint Paul : « Le fruit de l’Esprit est charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, maîtrise de soi » (Gal. 5, 22-23). Cette compassion du Christ s’ouvre à tous sans exception, y compris à ceux qui ont l’impression d’avoir échoué dans leur vie conjugale, dans l’éducation de leurs enfants ou qui sont englués dans des conflits familiaux. À tous, le Christ ouvre un avenir et les appelle à prendre avec lui le chemin de l’amour.
La famille est une belle aventure. Elle se construit chaque jour. Heureux ceux qui prennent le Christ comme le roc sur lequel ils peuvent bâtir leur maison. Jésus l’a promis : « Quiconque écoute ces paroles que je viens de dire et les met en pratique, peut se comparer à un homme avisé qui a bâti sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison : c’est qu’elle avait été fondée sur le roc » (Mt 7, 24-25). Voilà la Bonne nouvelle pour la famille dont nos avons à être porteurs. Nous avons à témoigner qu’avec le Christ, cet amour qui se donne est possible, qu’il est gage de durée…et d’éternité !
Finalement, nous sommes invités moins à brosser un modèle qu’à entrer dans une expérience. Cet appel s’adresse à tous, sans exclusion : « Viens et vois », « Viens et bois à la source d’eau vive de l’amour du Seigneur ». Tu y expérimenteras un dynamisme renouvelé. Dans cette nouvelle capacité d’aimer, chaque couple, chaque famille trouvera un cap vers l’avenir !
Cardinal Jean-Pierre Ricard
Archevêque de Bordeaux
Évêque de Bazas
Source : « Église catholique en Gironde » de septembre 2015.