« Berezina ou Corinthe ? », par Mgr Bernard Podvin

Mgr Bernard Podvin

Mgr Bernard Podvin, Porte-parole de la Conférence des évêques de France, s’exprime au sujet de l’avenir des communautés de l’Eglise catholique en France, dans un article publié dans la « Documentation catholique« , le 3 avril 2011.
 
Facile, concernant l’Eglise catholique, de tenir un discours défaitiste ! Dernier morceau choisi de cette littérature : un livre au titre évocateur « La grande braderie ». Ouvrage se voulant enquête rigoureuse forçant une prétendue « omerta » ecclésiale. Nous vendrions nos « bijoux de famille » au plus offrant ! Cette « retraite » immobilière et financière n’étant que la traduction matérielle de notre effondrement pastoral. N’en déplaise à ces auteurs mortifères, et sans éluder la gravité des questions vocationnelles, ce n’est pas ce climat funeste qui se vérifie aujourd’hui dans les diocèses de France. Ce ne sont pas les lugubres sonnettes de la Bérézina. Mais la confiance apostolique de Corinthe ou d’Antioche. Un peuple est à aimer. Fût-ce avec de petits moyens. Disons le franchement, l’épiscopat français n’avait pas adopté, depuis plusieurs années, la voie retentissante, au sens médiatique, quant au devenir de la communauté chrétienne. Cette humilité l’honorait mais risquait de tenir sous le boisseau la qualité d’une recherche pourtant bien réelle. Il fallait (il faut toujours) communiquer. Une étape indéniable fut franchie par la publication de : « Entre épreuves et renouveaux – La passion de l’Evangile ». Cet ouvrage donnait, sur un ton paulinien, des repères anthropologiques et spirituels. Pour l’avoir expérimentée en plus d’un diocèse, cette grille de travail est un outil précieux pour que la Communauté forge son discernement.

Pour bien signifier que « Demain, la vie de nos communautés » n’est pas un thème réservé, le Conseil Permanent de la Conférence des Évêques en a pris l’animation. Le sujet revenant, depuis trois ans, à plusieurs reprises en Assemblée plénière, afin de l’émonder au sens évangélique du terme. Une recherche étoffée par quatre monographies d’évêques disant comment leurs diocèses affrontent les mutations (Viviers, Belley, St Etienne et Marseille témoignèrent). Deux théologiens donnèrent un repérage ecclésiologique. L’assemblée de Lourdes avait également fait le point sur les mouvements apostoliques. Bref, une convergence de consultations et recensions venait au jour. Allait-ce provoquer une déclaration finale des Évêques à Lourdes, en novembre 2010, comme pour parachever l’ensemble ? Une parole publique était attendue par le terrain. Surtout depuis deux années d’actualité ecclésiale difficile !

Le Conseil Permanent prit une option plus pragmatique. Non des directives « venant d’en haut » et illusoirement transposables en tous lieux. L’idée fut plutôt de relayer en provinces ecclésiastiques la recherche d’actions pastorales innovantes. Non point spectaculaires, mais reconnues comme marquant une indéniable progression dans l’évangélisation. Un principe simple donc : quinze provinces « élisant » par leur discernement trois ou quatre initiatives diocésaines. Une petite soixantaine de réalisations concrètes, touchant toutes générations et tous domaines apostoliques. Pour reprendre une formule de Mgr Charrier, évêque de Tulle, en charge du dossier :  » Au terme de ce travail, pas de ligne unique pour l’Eglise qui est en France. Pas de texte conclusif. Mais 55 propositions à faire fructifier. » Cette remontée par provinces n’est pas un catalogue de bons points. Comme le note Isabelle de Gaulmyn (La Croix 20 décembre 2010) : « Paradoxalement, le fait même de recenser ces exemples est une manière de montrer que, sur le terrain, personne ne se résigne à voir l’Eglise mourir »
La recherche innovante est constitutive d’une lucidité quant aux défis. Les questions majeures de l’Eglise sont inhérentes à cette découverte d’initiatives. On pourra y lire spirituellement une véritable dimension pascale : Comment veiller à ce que le ressourcement dans la Parole de Dieu devienne une expérience personnelle et communautaire ? Comment aider chacun face aux redéploiements des tâches et des responsabilités à exercer l’autorité avec humilité? Quel avenir pour le laïc coordinateur en paroisse? Quelles sont les missions essentielles et prioritaires des curés de paroisse ? Comment réhabiliter le ministère de prêtre diocésain?
Pour mesurer la diversité de ces cinquante cinq initiatives, prenons le temps d’en explorer trois. La première (Agen) concerne l’évangélisation par les jeunes. La seconde (Toulon) explique le redéploiement des pôles missionnaires d’un diocèse. La troisième (Lille) décrit une nouvelle manière de concevoir le Conseil diocésain de pastorale.
 

Agen

En août 2010, cinq jeunes ont vécu une semaine d’évangélisation, à Villeneuve sur lot. Deux par deux, ils sont allés à la rencontre des habitants. L’objectif était de permettre à des personnes, baptisées ou non, de renouer un dialogue avec l’Eglise. Les jeunes devaient faire ces visites dans un esprit de gratuité. Aller chez les gens, quels qu’ils soient, frapper à leur porte, sans avoir le motif premier de les « convertir », mais les écouter, telles étaient les dispositions requises. La phrase de l’Evangile qui a guidé leur démarche : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8). Une assemblée paroissiale avait pour but de témoigner de tout ce qui s’était vécu, lors de ces visites. Un prêtre accompagnait ces jeunes. Il leur a demandé de s’engager à dire la prière de l’Angélus, chaque jour. Creuset de la préparation de la mission : « Ce n’est pas nous qui venons chez les gens, c’est bien Dieu qui vient les visiter. La prière de l’Angélus nous donne de croire que l’œuvre de Dieu prendra chair ».

Cette proposition de « nouvelle évangélisation » a été longuement réfléchie en Conseil presbytéral et en Conseil pastoral diocésain. Elle sera reconduite chaque année dans l’une des paroisses du Lot et Garonne. Ecrivant à leur évêque, voici ce que les jeunes ont perçu : « Je suis heureux d’avoir participé à cette mission et j’espère que notre témoignage aura apporté quelque chose à ceux qui nous ont ouvert leur porte et aura suscité une interrogation sur leur foi ». (Thomas). « Cette mission n’a pas été des plus faciles, mais je suis très contente d’y avoir participé. Certaines rencontres seront inoubliables ». (Clémentine).
 

Fréjus-Toulon

Le principe des pôles missionnaires paroissiaux concrétise, en termes de réaménagement pastoral, les perspectives de la nouvelle évangélisation. Face au vieillissement et à l’essoufflement de certaines paroisses, il invite les fidèles et les pasteurs, ensemble, à un sursaut de foi pour relever le défi missionnaire. Le mode de fonctionnement des ces pôles, élaboré en lien avec l’Institut missionnaire diocésain (organe de formation et de soutien des actions d’évangélisation, dans la perspective de la nouvelle évangélisation) a été approuvé par le Conseil épiscopal et presbytéral et promulgué en 2003. Les aspects les plus saillants sont les suivants :

• Le choix de la paroisse, comme lieu de communion et de mission.
• Une équipe sacerdotale rassemblée autour d’une vision.
• La mise en place d’une fraternité paroissiale composée des prêtres et de laïcs engagés.
• Une dynamique missionnaire structurée selon quatre axes : la dimension d’évangélisation, la dimension catéchuménale de formation, la dimension liturgique et la dimension diaconale.
• Un objectif de croissance de la communauté chrétienne, organisée à partir d’une structure cellulaire, c’est-à-dire la prise de conscience que la communauté paroissiale se distribue en autant de « communautés ecclésiales de base » ou ecclesiolae (Redemptoris Missio n° 51).

Chaque cellule privilégie les relations de proximité, d’accueil personnalisé, de prière, d’accompagnement, de stimulation fraternelle par l’échange spontané et l’interpellation mutuelle, en se rapportant organiquement à la paroisse. Chaque ecclesiola doit être un lieu d’accueil et de cheminement. Ce processus de démultiplication doit se coupler avec le souci de la croissance personnelle des membres et de leur insertion dans la vie de la communauté.

La mise en place d’un pôle missionnaire paroissial requiert d’abord le rassemblement de l’équipe sacerdotale autour d’une vision commune. Cette équipe s’adjoint ensuite des consacrés et des laïcs pour constituer une « fraternité paroissiale ». Elle doit témoigner de la possibilité d’une vie de communion en étant d’abord un cénacle de prière, puis en se formant à la mission. C’est à partir d’elle que le projet missionnaire du pôle apparaît.
Une première expérience a été suscitée sur la paroisse de Brignoles.
 

Lille

Depuis de nombreuses années, Mgr Ulrich s’interrogeait sur le réel impact dans la vie diocésaine d’un conseil diocésain de pastorale constitué statutairement d’un nombre restreint de membres. Deux observations ont retenu son attention : « La constitution de ce conseil est très complexe et suppose de telles délégations qu’on finit par n’avoir pas de véritable configuration d’un diocèse à travers ce groupe ; par ailleurs, même si la communication concernant son travail et ses conclusions se fait à travers la presse diocésaine (revue, site, radio), on peut dire que la communication capillaire auprès des réseaux ecclésiaux est quasiment vouée à l’échec ».

L’idée s’est donc imposée de constituer une assemblée beaucoup plus nombreuse. D’abord expérimentée en Savoie, elle commence à Lille. « Sont présents les différents conseils diocésains dans leur entier, les doyens, et trois représentants des doyennés, dont une personne doit avoir moins de trente-cinq ans ; en Savoie, nous avions même choisi que ce soient les paroisses qui soient représentées par leur curé et une personne de l’équipe d’animation. Le chiffre total peut avoisiner deux cents personnes ».

L’intérêt de cette méthode est triple :
• Une représentation de l’Église diocésaine, à travers ceux qui y exercent des responsabilités réelles et permanentes, des prêtres et des diacres, des laïcs en mission, salariés ou bénévoles.
• Un laboratoire d’unité pour une Église diocésaine : en Savoie les trois diocèses avaient besoin de cette identification, et, à Lille, la taille du diocèse et sa configuration (la métropole lilloise constitue les deux tiers de la population) requièrent que l’on trouve les moyens de rapprocher fréquemment les acteurs principaux de la vie diocésaine.
• Un groupe repérable dans la vie diocésaine qui peut être en communication rapprochée avec la plupart des instances diocésaines et locales.

Il s’agit donc d’une assemblée, dont l’expression est notoirement consultative.
Ses avis peuvent être recueillis, le cas échéant et selon la volonté de l’évêque, par des votes. Pour éviter toute précipitation, le vote n’est pas demandé à la fin d’une séance, mais au début de la séance suivante, après compte-rendu synthétique des échanges et formulation de questions claires et précises.
C’est le bureau, présidé par l’évêque ou par le vicaire général, qui assure la continuité du travail. Ses qualités principales résident dans une bonne écoute de l’assemblée, et dans l’énergie de son animation ; l’animateur permanent doit être apte à faire face à un tel groupe.

Exemples de sujets abordés : la communication diocésaine, la pastorale des vocations, les familles, l’organisation diocésaine de la solidarité, l’information sur les politiques locales d’aménagement du territoire en relation avec l’organisation ecclésiale, la mise en route ou l’évaluation d’un projet diocésain, la préparation d’un synode …
 

Qu’en est-il de l’Eglise

On le voit, par ces trois illustrations, la recherche se poursuit. Les diocèses vont travailler le dossier de Lourdes. La Croix parle, à ce sujet, de « Révolution silencieuse de l’Eglise sur le territoire français ». N’y a-t-il pas plus important, encore ? Paul VI posait, en 1974, une question non dépassée : « Qu’en est-il de l’Eglise ? Est-elle ancrée au cœur du monde, et pourtant assez libre et indépendante pour s’adresser au monde ? Fait-elle preuve de solidarité avec les hommes, et témoigne t’elle en même temps de l’absolu de Dieu ? » C’est à la profondeur de cette interrogation que peut durablement se discerner le devenir des communautés.

Mgr Bernard Podvin
Porte-parole des évêques de France
 

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