Témoignage d’un prêtre haïtien du diocèse de Lille

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René Longor est prêtre du diocèse de Jacmel, à environ 80 km de Port-au-Prince. En France depuis 2007, pour des études de Gestion à la Faculté Libre des Sciences Economiques de la Catho de Lille, il est en mission à la paroisse Saint-Christophe de Tourcoing-Centre.
 
Tout a commencé dans l’après-midi du 12 janvier à 16h53, heure d’Haïti. J’étais en réunion avec les autres prêtres de la paroisse Saint-Christophe de Tourcoing. Je suis rentré chez moi pour commencer à réviser mes cours et je démarre l’ordinateur pour voir quelles nouvelles les amis m’ont laissées sur Internet. Et là, un prêtre haïtien m’appelle pour m’informer qu’un séisme a ravagé Haïti. Je me dis que ce n’est pas vrai !
Je vais vérifier sur Internet et vois la nouvelle ! Et là, la déchirure commence dans mon coeur. J’ai passé toute la nuit sans réviser, à appeler Haïti avec mon portable, faute de téléphone fixe. En vain. J’ai essayé de joindre une tante aux Etats-Unis, à New York. Elle m’a dit qu’elle a reçu un message de mon oncle, Jean-Charles Pierre, prêtre, qui est actuellement dans la rue, dans un garage. Il y a encore des secousses. Elle me dit avec une voix tremblante et en pleurant que tous les bâtiments sont effondrés y compris ceux des facultés de l’Etat et de Notre-Dame, la faculté catholique. Et là, je lui ai demandé : « Et Emile, mon frère qui étudiait dans cette fac ? » Aucune nouvelle. On sait qu’une de mes soeurs est vivante. Mais, on n’a aucune nouvelle d’Emile et d’Enita, l’autre soeur. Je me dis qu’ils sont peut-être sous les décombres comme les autres. « Et alors, tu me caches la nouvelle ? » Elle a eu du mal à me répondre tellement elle pleurait.
C’est après avoir passé deux jours et deux nuits en appelant au téléphone et cherchant des contacts sur Internet qu’un cousin m’a dit qu’ils sont tous vivants et réfugiés sur un
terrain, loin des maisons, dans une prairie pour échapper à toutes autres éventuelles secousses. Ils vivent loin de leurs maisons, avec toutes les victimes, dans des savanes, dans les hauteurs de Delmas à Port-au-Prince ; ils couchent, tous, sur des draps et de la paille. Et là, c’est comme si je n’ai pas voulu croire qu’Emile est bien vivant. Je lui dis : « Où est Emile ? » avec un ton vif. Il me répond qu’il est sorti aller donner des soins à l’hôpital La Paix, à Delmas. « Et Enita ? » Elle est avec eux et sa petite fille de sept mois et un jour, à ce moment-là.
Il me dit que tout est dévasté. Il ne reste plus rien dans le pays. Ni nourriture, ni eau pour personne ; même si on a de l’argent, on ne va pas en trouver.
Je me dis que c’est devenu trop dur ! Ma sœur me témoigne qu’elle a croisé des morts et des morts pour rejoindre les autres à pieds, avec sa fille bien emmaillotée dans un drap de bain, dans son berceau.
 

Jamais on ne pourra dénombrer la quantité de morts. Les larmes ne cesseront jamais de couler dans les cœurs et les yeux des Haïtiens.

D’après les témoignages que j’ai reçus, jamais on ne pourra dénombrer la quantité des morts. En entendant un survivant dire qu’il a enterré tout seul avec son camion Mark de bascule des dizaines de morts, je me dis que les larmes ne cesseront jamais de couler dans les coeurs et les yeux des Haïtiens après ce cataclysme. En Haïti, on évalue déjà le nombre de morts à 110 000. Il y a encore beaucoup de bâtiments effondrés, y compris le grand séminaire, qui contiennent des corps sous les décombres.
J’ai passé des heures à appeler Islande, Rémy et Phanor pour avoir de leurs nouvelles, en vain. Je ne sais pas s’ils sont vivants. Ils habitaient une zone très précaire sûrement détruite par le séisme.
De la prière, il nous en faut beaucoup. Je sais qu’ils souffrent de la faim, de la soif, des courants d’air, de la promiscuité, de la vie des clochards, des odeurs de cadavres… Merci de penser à eux en ces moments de grandes épreuves. Un soutien moral leur est d’une grande importance.
Hier, j’ai envoyé seulement une modique somme de 100 euros à Enita pour acheter du lait et de la nourriture pour sa petite fille de sept mois et cinq jours qui dort avec elle à la belle étoile, dans des savanes.
 

L’espérance est bien présente

Même moi qui suis à environ 7 000 kilomètres, une fois saluée une personne je lui parle du séisme en Haïti sans qu’elle me questionne là-dessus.
Au plus profond d’eux-mêmes, les Haïtiens sont très croyants. Il n’y a aucune fatalité. C’est une catastrophe naturelle !
Au coeur de cette réalité sombre, l’espérance est bien présente. Elle se manifeste dans la mobilisation du secours international, auprès de ces quelques étudiants qui ont eu la vie sauve. Ils sont motivés plus que jamais à boucler leurs études pour aller s’engager à fond à la reconstruction d’Haïti ; pour peu qu’ils puissent continuer leurs études.
Vendredi 22, je célébrai une messe spécialement pour les victimes ! Je collecte de l’argent pour le Secours catholique et différentes Caritas en Haïti. C’est modique, mais une goutte qui va contribuer à diminuer l’enfer de la souffrance du peuple haïtien en ce moment.

René Longor

Témoignage paru dans la revue diocésaine « Église de Lille » N ° 3 , Janvier 2010. Avec l’aimable autorisation de l’auteur.

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