« Une épreuve de vérité pour l’Eglise » par Mgr Dagens, évêque d’Angoulême, membre de l’Académie française
Face à ces tensions et à ces ruptures, le pape, en tant qu’évêque de Rome, a la responsabilité de garantir et de défendre cette unité fondée sur la foi catholique reçue des apôtres. Notre pape Benoît XVI vient d’exercer cette responsabilité en levant les excommunications concernant les quatre évêques ordonnés à Écône en 1988 par Monseigneur Marcel LEFEBVRE.
Pour ceux qui ont été témoins de cette rupture et qui en ont souffert, comme pour ceux qui sont aujourd’hui témoins de cette volonté de réconciliation de la part du pape, il doit être clair que ces événements ne peuvent pas être interprétés de façon superficielle, selon un simple jeu de rapports de forces ou d’idées. Car il s’agit de la vérité de l’Église et de son unité réelle, qui font appel à ce qu’il y a d’essentiel dans l’identité catholique : la participation au mystère du Christ, qui désire inlassablement « réunir les enfants de Dieu dispersés ».
Raison de plus pour comprendre que cet acte de réconciliation ouvre sur une épreuve de vérité, aussi bien pour ceux que l’on appelle des intégristes que pour les fidèles qui vivent de façon ordinaire dans la communion de l’Église.
– Le pape Benoît XVI a voulu ouvrir une porte ou tendre la main, comme l’on dit. Comment cette porte sera-t-elle franchie ? Comment la main tendue sera-t-elle accueillie ? À quel prix, au prix de quelles conversions intérieures le dialogue souhaité sera-t-il renoué ? Quand je parle de conversions intérieures, je pense à des personnes dont la mémoire est parfois encombrée par des ressentiments ou des peurs qui ne seront pas facilement surmontés. Mais il faut aller au-delà de ces ressentiments et de ces peurs.
Je pense aussi à certaines des revendications que des groupes intégristes mettent en avant, spécialement dans le domaine de la liturgie, du respect des rites et des règles de la liturgie. En deçà de ces revendications, on perçoit quelquefois d’autres insistances théologiques : spécialement autour du mystère du mal et du salut, avec une vision très négative du monde et de l’humanité, comme si, finalement, le manichéisme avait raison et comme s’il fallait absolument opposer le camp des bons et le camp des méchants, aussi bien dans le domaine politique que dans le domaine religieux.
Ce n’est plus la liturgie qui est alors en question, ni la théologie de l’Église, c’est la vérité même du Dieu Sauveur et son action réelle à l’intérieur de notre humanité blessée. L’épreuve de vérité porte sur le cœur même du mystère de la foi. Un grand travail de compréhension est dès lors nécessaire qui exige une pédagogie d’approfondissement théologique et spirituel. Il faut souhaiter que ce travail soit possible.
– Mais la décision prise par le pape Benoît XVI est aussi une épreuve de vérité pour nous, évêques, prêtres, fidèles laïcs, qui adhérons sans hésiter à la Tradition catholique et qui estimons que le Concile Vatican II s’inscrit intégralement à l’intérieur de cette Tradition. Quand je dis intégralement, je veux dire qu’il me semblerait difficile de distinguer ce qui, dans les Constitutions et les Décrets du Concile, serait conforme à la Tradition et ce qui ne le serait pas. Comment ne pas reconnaître que ce Concile a été un Concile authentiquement théologique, et non pas pastoral, comme on l’a dit parfois pour le dévaluer, et que de grands théologiens français, nourris de la Tradition catholique, comme Henri de LUBAC, Jean DANIÉLOU et Yves CONGAR ont été intimement associés à son travail ?
On comprendrait mal que, pour revenir à la Tradition, on renonce, ne serait-ce que partiellement, au Concile, surtout si l’on laissait entendre que depuis cinquante ans, l’Église catholique en France, et ailleurs dans le monde, aurait plus ou moins fait fausse route.
Mais si la main tendue aux intégristes nous obligeait à un examen de conscience sur le chemin parcouru par l’Église, il ne faudrait certainement pas le regretter. Nous ne pourrions pas nier que la mise en œuvre du Concile s’est parfois référée, de façon naïve, à un principe d’ouverture au monde qui a pu provoquer chez certains comme un aplatissement de la foi. Et quand les renouveaux annoncés se réduisaient à des réformes de structures, ils ne pouvaient pas répondre à ce qui était espéré.
Mais l’heure n’est plus à ces facilités et à ces illusions. Les difficultés de la mission chrétienne sont aujourd’hui trop évidentes. Qu’elles proviennent des résistances de la culture ambiante ou de l’affaiblissement des institutions catholiques, elles nous ont conduit et elles nous conduisent à vivre le mystère de l’Église de l’intérieur de notre foi au Christ elle-même inséparable du témoignage rendu à la charité du Christ.
C’est pourquoi nous ne pouvons pas accepter certains discours qui nous soupçonnent de pratiquer des stratégies de rupture, alors que nous avons de plus en plus réconcilié, dans la vie ordinaire des communautés chrétiennes, la vie sacramentelle et la vie fraternelle, le culte et la mission. Ce sont les grandes affirmations du Concile Vatican II qui nous ont encouragés à ces conversions, surtout quand il s’agit de comprendre l’Église non pas comme un système que l’on façonnerait à sa guise, ou selon ses préférences culturelles ou politiques, mais comme étant « dans le Christ, comme le sacrement, c’est-à-dire le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Lumen gentium 1)
Pour les années qui viennent, l’important n’est donc pas d’infléchir ou de relativiser le Concile Vatican II, mais de le comprendre et de le mettre en œuvre comme un appel à aller à la source, selon le désir même du bienheureux Jean XXIII et selon ce principe de développement organique que Benoît XVI met si fortement en valeur. De Jean XXIII à Benoît XVI, l’unité de l’Église passe par ce développement organique, qui n’exclut pas les tensions et les crises, mais qui permet de les assumer et de les dépasser sans ruptures.
Mgr Claude Dagens
Evêque d’Angoulême
Membre de l’Académie française
Paru dans La Croix le 3 février 2009